La Lettre aux éducateurs de Nicolas Sarkozy, publiée à la rentrée scolaire, est exemplaire de sa façon de faire : discours flatteur et contradictoire. Écrite dans un bon français agréable à lire, preuve que Sarkozy n’en est pas l’auteur, elle est faite pour tromper.
Voyons-en quelques aspects.
Page 1 : Il fallait que chacun entrât dans un moule unique, que tous apprennent la même chose, en même temps, de la même manière. Le savoir était placé au-dessus de tout. (…) L’exigence et la rigueur de cette éducation en faisaient un puissant facteur de promotion sociale. Beaucoup d’enfants néanmoins en souffraient et se trouvaient exclus de ses bienfaits.
Il y a contradiction entre le moule unique, puissant facteur de promotion sociale, et l’exclusion.
Page 2 : Il serait vain pourtant de chercher à ressusciter un âge d’or de l’éducation, de la culture, du savoir qui n’a jamais existé.
S’il n’a jamais existé, de quoi s’agit-il dans cette « éducation rigoureuse qui était un puissant facteur de promotion sociale » ?
Il est sensible dans ces passages que l’auteur tente de marier l’eau et le feu, les mensonges historiques des sociologues de la mouvance « pédagogiste » avec la réalité de la promotion ouvrière et du progrès technique engendrés pendant les Trente Glorieuses par l’école issue du Conseil National de la Résistance (il ne cherche évidemment pas à rendre hommage au CNR, c’est le contraire, on le sait par les déclarations de Denis Kessler du MEDEF, ami de Sarkozy).
Page 4 : C’est la raison pour laquelle nous devons conserver, même si nous devons le rénover, notre modèle d’école républicaine qui brasse toutes les origines, toutes les classes sociales, toutes les croyances, et qui s’impose de rester neutre face aux convictions religieuses, philosophiques ou politiques de chacun en les respectant toutes.
L’auteur commet là quelques erreurs remarquables :
- l’école républicaine brasse peut-être des classes sociales (curieux : il paraissait qu’il y avait des exclus ? encore une contradiction), mais ne « brasse » pas des croyances : le devoir de l’école laïque est d’étudier et d’examiner les faits historiques et humains, parmi lesquels les croyances et les religions, mais à la lumière de la raison. L’étude attentive n’est pas du tout un « brassage » qui conduirait à une indistinction et à une fusion ; il aurait dû écrire : « brasse des enfants qui par ailleurs ont des croyances diverses. »
- « rester neutre face à… » : cette conception de la neutralité, qui est de la même veine que le brassage ci-dessus, n’est pas la laïcité de notre Constitution française, c’est la conception des institutions européennes qui apparaissait entre autres dans la constitution Giscard, rejetée par le peuple français le 29 mai 2005. Nous notons que dans leur lignée, la laïcité est remplacée par la neutralité, la distinction de ces deux notions méritant une brève explication : la laïcité sépare la sphère publique d’avec la sphère privée, et à l’école n’admet aucune religion. La neutralité et le « brassage » font le contraire, les admettent toutes ; pour promouvoir le « vivre ensemble », souci obsédant de la pensée dominante, on les introduit toutes.
Le lecteur voudra bien nous excuser d’un parallèle qui nous saute aux yeux : le principe de la « concurrence libre et non faussée » qui était le maître mot de la défunte constitution Giscard, c’est exactement la même chose, c’est la neutralité commerciale de la circulaire Lang de 2001 : dans le marché école on vend à égalité les logiciels X, les boissons Y… ou les religions Z.
Page 4 encore : Ce modèle s’est affaibli, ses principes ne sont plus assez respectés. Si je souhaite aller progressivement vers la suppression de la carte scolaire, c’est précisément pour qu’il y ait moins de ségrégation.
Rappelons que la carte scolaire a été créée par un ministre du Général de Gaulle pour justement supprimer la ségrégation entre les lycées de la bourgeoisie des centres villes, et les collèges et cours complémentaires accueillant des élèves de classes populaires… On savait depuis longtemps que Sarkozy n’a rien de gaulliste, n’épiloguons pas. Lors des débats de la campagne électorale il a été amplement démontré que la suppression de la carte scolaire allait aggraver les inégalités, et le début de l’application de cette mesure cet été l’a prouvé. Il n’empêche : contre la réalité sociale et scolaire, l’auteur ment sans aucun complexe.
Pages 6-7 : Trop longtemps, la passivité de l’enfant qui reçoit le savoir fut de mise dans notre éducation. (…) Notre éducation doit devenir moins passive, moins mécanique. Elle doit aussi réduire la place excessive qu’elle donne trop souvent à la doctrine, à la théorie, à l’abstraction devant lesquelles beaucoup d’intelligences se rebutent et se ferment. Il nous faut faire une place plus grande à l’observation, à l’expérimentation, à la représentation, à l’application.
Dans ce paragraphe l’auteur ne se contredit pas, certes, mais enfonce une porte ouverte : tout le monde est hostile à une instruction (et non une éducation) mécanique, où l’élève serait passif et où l’abstraction exclurait l’observation. S’étant ainsi rendu sympathique au lecteur par ces bonnes intentions, il porte contre l’école des accusations inexactes qui reproduisent platement les thèses à la mode, des sociologues de l’éducation, qui depuis vingt ans n’ont vu ni élèves ni programmes ni manuels scolaires, qui sont actuellement incapables de traiter les questions des programmes anciens parce qu’elles demandaient de la réflexion et non de la passivité ; qui ne savent pas que nos facultés scientifiques se vident parce qu’on n’enseigne plus ni théorie ni expérimentation. Ce qui va faire le désastre de l’industrie.
L’auteur dit
- que l’école n’accorde pas une place suffisante à l’observation, alors qu’au contraire les élèves sont saturés d’observation, mais d’une observation qui ne mène à rien : l’« apprenant » étant censé construire lui-même son propre savoir, on le prie d’observer sans lui livrer la clef qui lui expliquerait le résultat de ses observations. C’est une observation qui ne mène pas (ou très difficilement, pour les meilleurs élèves) à l’abstraction.
- que l’école est trop abstraite : dans le savoir auquel parviennent réellement les élèves, c’est faux. Et pourtant, les exigences intellectuelles affichées dans les programmes se situent à un niveau de synthèse générale incompatible avec les connaissances réelles des élèves et leur capacité d’abstraction à un âge donné, par exemple en sciences naturelles ou en histoire au collège.
L’école des pédagogistes est donc à la fois pas assez abstraite et trop abstraite, démagogique et élitiste. Mais l’auteur se garde bien de le dire.
Page 8 : Nul ne doit entrer en 6e s’il n’a pas fait la preuve qu’il était capable de suivre l’enseignement du collège. Nul ne doit entrer en seconde s’il n’a pas fait la preuve qu’il était capable de suivre l’enseignement du lycée et le baccalauréat doit prouver la capacité à suivre un enseignement supérieur.
On peut commenter diversement ce paragraphe. Une première façon est de rappeler que pour les fonctionnaires enseignants, ce sont les textes réglementaires et non le bavardage présidentiel qui font l’organisation scolaire, et que ceux-ci, issus de la loi Jospin-Fillon, ordonnent la quasi-interdiction du redoublement, c’est-à-dire le contraire de ce que prétend ce texte. Donc le discours présidentiel ment.
Mais une autre interprétation est possible, que nous inspire la lecture des programmes, et l’examen des cahiers d’évaluation de sixième, cette année ils sont une copie de ceux de cours élémentaire : ces élèves qui n’ont toujours rien appris de nouveau, ils sont sans doute capables de suivre un enseignement qui prolonge ce vide… Dans ce cas le discours ne ment pas, il est simplement à peu près aussi trompeur que les affiches de la campagne électorale disant : « Tout est possible. »
Autrement dit, qu’est-ce que l’enseignement du collège ? qu’est-ce que l’enseignement du lycée ? l’auteur flatte la nostalgie des parents et grands-parents pour l’examen d’entrée en sixième, mais il ne promet pas de rétablir cet examen.
Page 9 : Les établissements dans lesquels vous enseignerez auront une plus grande autonomie dans le choix de leur projet, de leur organisation. L’évaluation sera partout la règle et les moyens seront répartis en fonction des résultats et des difficultés que rencontrent les élèves.
Rappelons les lecteurs aux textes ici aussi : depuis la loi Jospin (perpétuée Fillon) les établissements scolaires sont censés choisir leur projet (nous en avons parlé dans un numéro précédent d’UFAL Ecole), mais attention, « leur » projet est celui imposé par le rectorat, l’organisation est la liste des classes et des postes imposés par le rectorat, l’évaluation est celle imposée par la LOLF, Loi organique sur les lois de finances, les moyens sont répartis selon la LOLF ; quant à « en fonction » des résultats… il vaut mieux rappeler qu’on ne sait absolument rien de la nature de la fonction en question : doit-on prier le lecteur qui serait tenté de partir sur un nuage rose, de relire ses rudiments de mathématiques avant de laisser voguer son imagination ?
L’auteur, à proprement parler, ne ment pas ici, il utilise simplement la croyance naïve et spontanée que toute fonction est certainement continue, linéaire et croissante.
La notion de projet d’établissement est anti-républicaine et va contre les objectifs affichés.
Elle est garantie d’inégalité. Evaluation par qui ? il suffira de donner de bonnes notes aux élèves pour qu’ils soient censés avoir progressé.
Dans l’école que j’appelle de mes voeux où la priorité sera accordée à la qualité sur la quantité, où il y aura moins d’heures de cours, où les moyens seront mieux employés parce que l’autonomie permettra de les gérer davantage selon les besoins, les enseignants, les professeurs seront moins nombreux. Mais ce sera la conséquence de la réforme de l’école et non le but de celle-ci. Et, je m’y engage, les moyens qui seront ainsi dégagés seront réinvestis dans l’éducation et dans la revalorisation des carrières. Il s’agit d’être plus efficace, non de rationner. Et il s’agit d’être efficace non seulement pour atteindre un objectif économique, non seulement pour que demain notre économie dispose d’une main d’oeuvre bien formée, mais aussi, et peut être surtout, pour que nos enfants soient porteurs de valeurs de civilisation, pour qu’une certaine idée de la civilisation continue de vivre en eux.
Nous sommes prévenus : les dénégations sont des confirmations. On ne voit pas comment en réduisant le nombre d’heures de cours on peut rendre plus savants des élèves déjà très ignorants.
Si ce n’était pas l’intérêt supérieur des enfants, de la connaissance et de la nation, qui est ainsi bafoué, on serait presque tenté d’applaudir à ce talent de camouflage.
Mais l’heure n’est plus à rire. Elle est à la révolte.