La crise a bon dos pour que la gauche finisse le boulot de la droite : détruire la protection sociale solidaire.
Après les attaques frontales, nous assistons à une stratégie qui consiste à enfoncer des coins pour ensuite pouvoir frapper dessus et faire exploser l’ensemble. Nous l’avions pressenti depuis un moment, c’est la politique familiale dans laquelle sera enfoncé le prochain coin. Pourquoi la branche famille ? Parce que c’est la moins sensible politiquement, et elle est paradoxalement plus défendue par un électorat réactionnaire alors qu’elle est plus indispensable aux couches populaires (qui peuvent bien entendu compter des réactionnaires, mais ce n’est pas dans cette catégorie sociale qu’ils se recrutent majoritairement !).
Pratique désormais bien rodée des libéraux (qu’ils soient ultra- ou sociaux-) : il faut commencer par préparer le terrain. Car leur problème, c’est que la branche famille est structurellement excédentaire. Elle est donc artificiellement mise en déficit (mesures pour faire baisser les ressources et transferts pour boucher les trous de la branche vieillesse).
Ensuite, la « crise » est invoquée, qui n’est que la résultante des choix de la financiarisation et du toujours « plus à quelques-uns et toujours moins au plus grand nombre ». Vient ensuite le plan médiatique : « comment ? dans notre situation économique catastrophique [ah bon, pourtant le PIB/habitant de la France n’a jamais été aussi élevé, où est l’erreur ?], on va donner autant d’allocations familiales à une famille riche qu’à une famille pauvre ? Et vous trouvez cela normal ? » Vite un sondage… ah vous voyez, les français ne trouvent pas cela normal ! CQFD ?
Eh bien non ! D’abord, la protection solidaire a été pensée et mise en œuvre au sortir de la seconde guerre mondiale dans une France exsangue. Bien sûr, la part qu’elle représente dans la richesse nationale a augmenté, mais qui peut croire que dans une France plus riche que jamais, les fondations même de la protection sociale devraient être remises en cause pour raison économique ?
Ensuite, la protection sociale solidaire est un outil de redistribution horizontale. Cela signifie que les bien portants payent pour les malades, que les actifs payent pour les retraités et les privés d’emplois, que ceux qui n’ont pas d’enfants payent pour ceux qui en ont, etc. Le caractère partiellement progressif du financement induit bien entendu un caractère redistributif « vertical » qui contribue à réduire les inégalités. C’est un effet de la justice sociale qui sous-tend le financement, mais ce n’est pas l’objectif premier de la protection sociale. La redistribution verticale (les riches payent pour amoindrir les inégalités sociales) possède ses outils propres, essentiellement par la fiscalité et notamment par l’impôt sur le revenu. La tendance étant à réduire l’efficacité de ces outils, particulièrement la progressivité de l’impôt et sa part dans les recettes de l’État, la contribution de la protection sociale dans la réduction des inégalités va croissante et devient un outil prépondérant de redistribution verticale.
Et c’est à ce moment de la démonstration que LE CHOIX intervient : soit on réhabilite les outils de redistribution verticale, soit on touche aux fondamentaux de la protection sociale solidaire, qui rappelons-le a permis à notre pays d’amortir la crise mieux que d’autre, et on ouvre alors grand la porte au système assurantiel, ce qui creuserait inéluctablement les inégalités économiques et sociales.
Le 28 mars, le Président de la République a annoncé son choix, qui engagera sa responsabilité : ça sera un coin dans la protection sociale solidaire au travers de la fin de l’universalité des allocations familiales. Le Premier ministre avait pourtant saisi fin janvier le Haut Conseil de la famille d’une réflexion sur le financement de la branche famille qui doit déboucher prochainement à la proposition de plusieurs scénarios permettant un retour à l’équilibre en 2016, scénarios sur la base desquels une décision devait être prise. Il vaut donc mieux être un « expert » du Comité Consultatif National d’Éthique, dont l’avis (…consultatif) sera suivi pour l’ouverture de l’AMP aux couples de lesbiennes, plutôt qu’un « expert » du Haut conseil de la famille, dont l’avis sera rendu après la prise de décision !
En décidant de différencier le montant des allocations familiales selon les revenus au prétexte de réaliser des économies, c’est la fin de l’universalité, c’est le coin sur lequel il sera aisé de frapper plus tard pour détruire un peu plus notre politique familiale (par abaissement du plafond, puis mise sous condition de ressources pure et simple). Les allocations familiales ne sont pas des revenus, mais des compensations de charges. Elles sont identiques quels que soient les revenus de la famille qui les perçoivent, de même que les remboursements de la sécurité sociale sont identiques quels que soient les revenus des patients qui les perçoivent. « Comment ? dans notre situation économique catastrophique, on va rembourser autant les dépenses médicales d’un patient riche que celles d’un patient pauvre ? Et vous trouvez cela normal ? »…