Fatima Afif, ex-directrice adjointe de la crèche associative privée « Baby Loup » (78), a demandé, lors de l’audience du Conseil des prud’hommes du 08/11/2010, la condamnation de son employeur à 80 000 euros de dommages et intérêts. Elle avait été licenciée, en décembre 2008, pour avoir refusé d’ôter son voile sur les lieux de travail, contrairement aux dispositions du règlement intérieur.
La salariée a saisi la Halde, dont un avis de mars 2010, a estimé le licenciement discriminatoire. Toutefois, Jeannette Bougrab qui a succédé le 16/04/2010 à Louis Schweitzer1 à la direction de la Halde (et vient d’être nommée Secrétaire d’Etat au sein du gouvernement Fillon 3), a marqué net-tement son désaccord avec cet avis.
Mais une note du service juridique de la Halde, du 02/11/2010, précise que la neutralité exigée des agents du service public ne peut s’appliquer à la crèche qui «relève du droit privé» et n’est pas une association transparente (créée par une collectivité pour exercer des missions de service public). Elle ajoute que la Halde ne peut revenir sur sa première délibération sans étendre « la portée du principe de laïcité de l’Etat aux associations transparentes, voire aux personnes privées gérant un service public…(..) Seul le législateur apparaît habilité à fixer de nouvelles règles en la matière ».
Sans esprit de polémique (rappelons que l’existence de la Halde est menacée, lorsqu’il faudrait plutôt améliorer son fonctionnement), la question peut être examinée sous le seul angle de la léga-lité des règlements intérieurs des structures privées accueillant des mineurs, qui prohibent le port de signes religieux ostentatoires, qu’elles reçoivent des subventions publiques ou non2.
A cet égard, Natalia Baleato, directrice et fondatrice de la crèche « Baby Loup » a déclaré (Le Monde, 08/11/10) : « Il y a 55 nationalités différentes ici. Comment respecter d’un point de vue pratique les exigences philosophiques ou religieuses de chaque famille ? ». Au vu des conventions internationales de protection des droits fondamentaux, cette réflexion est pertinente. En effet, un règlement intérieur interdisant le port de signes religieux aux salariés peut être fondé sur le respect du droit fondamental des parents au choix de l’éducation de leurs enfants.
Ce droit est consacré par ;
- La Déclaration universelle des droits humains du 10/12/1948 (DUDH) qui dispose : « Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants » (art. 26 al. 3).
- La Déclaration sur l’élimination de toutes formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction du 25/11/1981 (résolution 36/55) selon laquelle : « Tout enfant jouit du droit d’accéder, en matière de religion ou de conviction, à une éducation conforme aux vœux de ses parents » (art. 5 al. 2).
- Le Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels du 16/12/1966 (PIDESC) qui stipule : « Les Etats parties (..) s’engagent à respecter la liberté des parents et, le cas échéant, des tuteurs légaux de (..) faire assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants, conformément à leurs propres convictions » (art. 13 al. 3).
- La Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne (entrée en vigueur le 01/12/2009) qui prévoit : « le droit des parents d’assurer l’éducation et l’enseignement de leurs enfants con-formément à leurs convictions religieuses, philosophiques et pédagogiques…» (art. 14 al. 3).3
Or, si les Déclarations sont des sources de droit incomplètes car dépourvues de sanctions, le PI-DESC (entré en vigueur en France en 1981) et la CDFUE peuvent être invoqués par les citoyens des états signataires4. Par ailleurs, la Cour de Strasbourg reconnaît le droit des parents au respect de leurs convictions religieuses et philosophiques5 (voir aussi, en droit interne, l’autorité parentale : cf. Code civil art. 371-1 et s).
Les parents employeurs directs d’assistant(e)s maternel(le)s ou d’enseignants peuvent donc se prévaloir du droit au choix de l’éducation de leurs enfants, mais les structures privées accueillant ces derniers, ne sont pas directement titulaires de ce droit.
Néanmoins des règlements intérieurs d’entreprises privées prohibant le port de signes religieux ont été jugés opposables aux salariés sous certaines conditions, rappelées au demeurant par la Halde6. Ainsi, le juge français a pu justifier une restriction au port du foulard par la relation avec la clientèle7 sous réserve du respect de l’article L.1121-1 du Code du travail : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
Dans le cas de « Baby Loup », la prise en compte de la diversité des choix éducatifs des parents, « clients » de l’association, peut justifier son exigence de neutralité confessionnelle, sans porter atteinte à l’article 1121-1 du Code du travail ni attendre une hypothétique intervention du législateur.
- Il a écrit : « Nicolas Sarkozy semble estimer que la religion peut être un facteur d’ordre et de cohésion sociale (…) il me semble que l’attribution d’un rôle social à la religion, loin d’être un facteur d’ordre, peut au contraire se transformer en facteur de conflits. Je ne suis donc en aucun cas favorable à la remise en question de la loi de 1905 » Les discriminations en France. p.156 – Éditions Robert Laffont – 2009. [↩]
- Il est rappelé que les établissements d’enseignement hors contrats avec l’Etat ne peuvent légalement recevoir de financements publics ; sauf pour l’enseignement secondaire de manière résiduelle et sous certaines conditions. Il en est de même pour les crèches confessionnelles. [↩]
- Le droit au choix à l’éducation permet aux parents d’ inscrire leurs enfants dans un établissement d’enseignement privé confessionnel. Les instruments de protection des droits fondamentaux ne font pas obligation aux Etats de financer ou non de tels établissements mais ils doivent; assurer à l’enfant une protection effective contre les pratiques traditionnelles préjudiciables à sa santé; veiller à ce que la discipline scolaire soit appliquée de manière compatible avec la dignité de l’enfant. Inculquer à l’enfant le respect des droits de et libertés fondamentales et des principes consacrés dans la Charte des Nations Unies. Convention internationale des droits de l’enfant du 20/11/1989, art. 24,28,29. [↩]
- Pour la CDFUE. Si l’affaire touche au droit communautaire, la Cour de justice des communautés européennes -CJCE- peut être saisie directement ou à défaut à titre préjudiciel par les juridictions nationales auxquelles l’application de la Charte est demandée. Sinon, les juridictions nationales appliquent la Convention européenne des droits humains -CEDH- sous le contrôle de Cour de Strasbourg. Pour le PIDESC. L’Assemblée générale de l’ONU a adopté le 10/12/2008 un Protocole facultatif qui entrera en vigueur lorsque 10 Etats l’auront ratifié. Il permet à un individu de saisir le Comité des droits économiques, sociaux et culturels contre son propre Etat, après épuisement des voies de recours internes, en cas de violation d’un des droits garanti par le PIDESC . [↩]
- Cour EDH – Arrêt Lautsi c/ Italie du 03/11/2009 qui vise notamment l’article 2 du Protocole n° 1 de la Convention européenne des droits humains sur le droit à l’instruction. [↩]
- Délibération de la HALDE n° 2009-117 du 06/04/2009. [↩]
- une cause réelle et sérieuse de licenciement le refus d’une salariée en contact avec les clients, d’enlever son voile. Le retrait du voile pouvant être imposé dès lors qu’il est fondée sur une cause objective, liée à l’intérêt de l’entreprise. CA Paris, 16/03/01, Mme Charmi c/ SA Hamon – Semaine juridique E. page 1339 note Puigellier. [↩]