La proposition 21 du candidat Hollande était claire : « Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. ». Bien que le mot « euthanasie » ait soigneusement été évité, c’est bien de cela dont il s’agissait et tout le monde l’avait bien compris. Dans son discours du 17 juillet à la maison médicale Notre Dame du Lac à Rueil-Malmaison, le président a de nouveau réussi la bravoure de parler de l’euthanasie sans en prononcer le nom. Pour annoncer qu’il allait tenir sa promesse de campagne (peut être la plus facile à tenir étant donné l’écrasante majorité de l’opinion favorable à la légalisation de l’euthanasie) ? Et bien non, il a annoncé la constitution d’une « mission », une de plus sur le sujet, qui devra rendre sa copie d’ici la fin de l’année.
Les deux principaux lobbys qui œuvrent contre la légalisation de l’euthanasie sont des organisations médicales et les églises. Ils ne représentent pas tous les médecins bien entendu, loin s’en faut, pas tous les croyants non plus, évidemment. Ces deux lobbys ont des motivations différentes. Les médecins argumentent à juste titre qu’ils sont là pour soigner et non pour donner la mort. Les représentants des religions, avec une forte sur-représentation traditionaliste et intégriste, sont vent debout parce qu’il s’agirait d’une transgression qui porterait atteinte au caractère « sacré » de la vie. Les premiers enferment la fin de vie dans une problématique uniquement médicale, et s’en trouvent prisonniers, alors que la vie et la mort, si elle est souvent entre leurs mains, ne leur appartient pas. Les autres illustrent que la religion n’a décidément d’autre but que de soustraire l’individu à ses libertés individuelles en s’arrogeant la prétention de régner sur les consciences.
On devine la méthode : une mission organise un grand débat et rend des conclusions conformes aux attentes du commanditaire. Le commanditaire devient alors celui qui suit les sages et non celui qui impose. Et pour faire plus vrai encore, le commanditaire choisit Didier Sicard, l’homme le plus à même de ne pas effaroucher les opposants à l’euthanasie, puisque cet ancien président du Comité Consultatif National d’Éthique (CCNE) incarne la synthèse des deux principaux lobbys anti-euthanasie : un médecin… très porté sur la religion. Le professeur Sicard se défend bien sûr de vouloir faire la part belle aux médecins et déclare souhaiter que le « débat soit plus sociétal que médical ». Pourtant, la composition de la mission ne plaide pas en ce sens : deux médecins, Régis Aubry (Président de l’Observatoire national de la fin de vie qui a remis un rapport largement consacré à la propagande anti-euthanasie en février dernier à François Fillon, alors Premier ministre) et Jean-Claude Ameisen (favorable à une « exception d’euthanasie » telle que définie par le CCNE), ainsi que deux cadres infirmiers, une psychologue et un philosophe.
Cette méthode est critiquable à plus d’un titre.
Tout d’abord, elle n’est pas d’un grand courage politique. Avec une telle méthode, gageons que l’avortement serait toujours interdit et la peine de mort en application !
Ensuite, à vouloir faire passer la mesure en douceur, le risque est grand de voir les positions se braquer avant même un débat parlementaire, alimentant ainsi des rancœurs futures. Puisque sur ce sujet aucun consensus n’est possible, le temps du « débat » sera plus mis à profit par les opposants pour mobiliser et radicaliser leurs troupes que pour… faire avancer le débat.
Le CCNE se sentant une fois de plus mis sur la touche a réagi très habilement en se rappelant au bon souvenir du Président tout en prenant appui sur la dernière Loi de bioéthique : « Conformément au souhait du Président de la République, le CCNE se tient prêt, dans le cadre de la saisine dont il sera ensuite destinataire, à engager une réflexion propre, et à prendre, si une réforme est envisagée, l’initiative d’un débat public sous la forme d’États généraux sur le sujet, ainsi que l’a prévu le législateur dans l’article 46 de la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique ».
Et si ce n’est pas seulement le manque de courage qui suscite une telle façon d’agir, alors pourquoi ne pas organiser un référendum ? Au moins le débat aura lieu dans la société et non dans différents cénacles de représentants d’officines corporatistes ou confessionnelles.
En conclusion, on peut dire que cette affaire n’est pas bien engagée et n’est pas de bon augure pour les réformes sociétales qui s’annoncent et pour lesquelles l’opinion est plus partagée.
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