Une coagulation des colères ? Que le terme est mal choisi ! La coagulation désigne la constitution d’une masse par des éléments identiques. Parlons plutôt d’agrégat pour désigner le mouvement en cours tant ses composantes sont diverses et variées.
Certains avaient théorisé un « mai-68 à l’envers », d’autres, pourtant d’essence contre-révolutionnaire s’imaginent en 1788, à la veille d’une révolution. Pourtant, si l’on doit se référer au passé, réflexe pavlovien en période de crise, c’est bien vers les années 30 qu’il faut regarder.
On pouvait la croire disparue, ou plus lucidement réduite au silence. La droite factieuse, celle des ligues, de la révolution nationale et du nationalisme intégral de Maurras est de retour sur la scène publique et dans la rue. Réveillée par Sarkozy, elle a été réactivée par les hésitations et les lenteurs de Hollande pour faire adopter sa promesse électorale du mariage homosexuel.
Les mouvements qui émergent depuis plus d’un an ont pour caractéristiques d’être contre-révolutionnaires, de contester la légitimité des élus et des institutions, et de défendre un ordre moral centré sur des stéréotypes patriarcaux. Le point commun est donc bien le rejet de la République, de ses principes et de ses valeurs.
Les moyens de mobilisations sont des plus classiques et consistent en un détournement, voire un retournement, des combats de toujours de leurs ennemis : contre la dictature, pour la liberté, pour « la vie », contre la christianophobie ou l’islamophobie, ce qui est toujours plus rassembleur que de se dire contre l’État républicain, contre l’égalité, contre le droit à disposer de son corps en général et contre les droits des femmes en particulier, ou encore contre la laïcité.
Le gouvernement et le Président de la République ne pouvant agir seuls, les factieux dénoncent les repoussoirs de toujours : les lobbys traditionnels comme les juifs et les francs-maçons, mais aussi le lobby LGBT, histoire de se mettre au goût du jour. Antisémitisme et homophobie servent de liant.
Même ultra-minoritaire, cet agrégat rassemble de plus en plus largement : aux réactionnaires et aux cléricaux ont suivi les identitaires et maintenant les extrémistes factieux.
La jonction entre la bourgeoisie (Manif pour tous) et les classes populaires et moyennes (Bonnets rouges, dieudonnistes, etc.) est en train de s’effectuer, de même que celle entre les intégristes catholiques et les islamistes.
Les nouvelles technologies et les réseaux sociaux ne sont pas pour rien dans ces étonnantes jonctions : les contre-vérités « buzzent », la désinformation se propage plus vite que l’information et la superficialité des analyses transforment les opinions en vérités.
Les passerelles qui ont permis cette agrégation sont peu nombreuses. Il y a tout d’abord les Associations familiales catholiques, très actives dans les mobilisations de la Manif pour tous, et ses relais cléricaux et cléricalistes. Une fois la figure médiatique Frigide Barjot remerciée, la droite catholique a repris en main le mouvement, qui s’est divisé pour ratisser plus large vers les identitaires et les intégristes catholiques. L’autre passerelle, que personne n’avait vu venir, est Farida Belghoul. Connue en 1984 comme une des initiatrice de la deuxième Marche pour l’égalité et contre le racisme, elle est aujourd’hui proche d’Alain Soral et de son association Égalité et réconciliation, lui même proche de Dieudonné, et tout deux adeptes de transgressions antisémites sous couvert d’antisionisme. Farida Berghoul est à l’origine de l’initiative Journée de retrait de l’école qui incite les parents à retirer leurs enfants de l’école une journée par mois pour s’opposer à une supposée entrée de la théorie du genre dans l’école. Or la lutte contre une « théorie du genre » fantasmée puis démonisée est le nouveau cheval de bataille des intégristes catholiques de Civitas et l’épouvantail agité par les Associations familiales catholiques pour conserver leurs nouveaux adhérents engrangés avec la Manif pour tous.
Les intégristes catholiques, dont certains ont été réintégrés dans l’Église catholique romaine par Benoît XVI, tentent d’affaiblir l’École laïque en rependant de fausses rumeurs. Ils tentent de semer le doute dans les esprits en faisant passer l’éducation à l’égalité hommes-femmes pour une théorie transhumaniste de création d’un être humain sexuellement non différencié. La vérité c’est qu’au nom de leur croyance, ils veulent conditionner la vie sociale à l’état de nature (appelée « loi naturelle ») alors que l’histoire de l’émancipation humaine a toujours été d’en sortir. Ces intégristes (de tous bords d’ailleurs, et il convient ici de rappeler les offensives des créationnistes protestants et musulmans) sont pour la stagnation de l’espèce humaine dans une société figée idéalisée et mythique ressemblant fortement à celle du Moyen Âge…
Pour terminer, il faut dire un mot du terreau qui a permis que tout cela se produise. D’abord une crise sociale violente et des amortisseurs sociaux qui arrivent à saturation, avec une pression néo-libérale qui menace de faire tomber les digues (la fiscalisation à 100% de la branche famille de la Sécurité sociale en est un exemple). Le ras-le-bol fiscal n’en est qu’une conséquence indirecte puisqu’il traduit en fait un rejet de l’injustice fiscale et de l’indécence de la régressivité de l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés pour les plus riches, à un moment ou la solidarité nécessaire est mise à la charge quasi-exclusive des classes moyennes. Mais il y a un contexte européen aussi, avec une montée de l’influence des cléricalismes et des courants réactionnaires en Europe de l’Est et du Sud. Il y a enfin une crise identitaire focalisée sur l’appartenance religieuse et un néo-racisme différentialiste unis dans le rejet de l’universalisme.
L’Union des FAmilles Laïques appelle tous les citoyens à la vigilance et au rejet de ces actions anti-républicaines.
Les familles ont droit à la paix civile, la laïcité en est plus que jamais la garantie.