Le processus de révision
Des trois lois de bioéthique de 1994, c’est celle « relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal » qui a fait l’objet d’une révision votée en 2004 (trois ans après le dépôt du projet de loi !), alors qu’elle aurait du avoir lieu en 1999.
La seconde révision, dont l’exigence était inscrite dans la loi de 2004 et qui devait avoir lieu en 2009, sera examinée par le Parlement très prochainement. La révision est d’autant plus urgente que le régime dérogatoire permettant la recherche sur les embryons conçus in vitro et les cellules souches embryonnaires vient à échéance en février 2011, et que l’article relatif à l’information de la parentèle en cas de maladie génétique grave est inapplicable.
Le projet de loi a été déposé en octobre 2010 postérieurement à la remise de nombreux rapports, avis ou études (rapport de la mission d’information parlementaire sur la révision de la loi bioéthique conduite par A. Claeys et J. Leonetti, rapport de l’Agence de la biomédecine, avis du comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, rapport de l’Office parlementaire de l’évaluation et des choix scientifiques et technologiques, étude du Conseil d’Etat).
Cependant le projet de loi écarte les propositions qui auraient été les plus novatrices, comme l’autorisation du transfert post-mortem d’embryon et l’insémination artificielle post-mortem, ou encore l’accès de l’assistance médicale à la procréation (AMP) aux célibataires ou aux homosexuels.
Ainsi, alors même qu’une majorité de Français est favorable à des applications sociétales des possibilités médicales d’AMP et que l’influence des lobbies religieux, aux premiers rangs desquels figurent les catholiques, est en perte de vitesse (leur discours ne s’étant pas renouvelé depuis les débats des premières lois de bioéthique), le gouvernement propose au Parlement un texte technique qui s’adapte tout juste aux récents progrès médicaux.
Comme on ne peut pas préjuger de la rapidité des évolutions de la recherche, ni de celles de l’opinion, et d’autre part, comme on ne peut pas laisser de vide juridique faute de révision à temps de la loi, l’UFAL approuve une loi cadre, avec des aménagements législatifs segmentaires et un processus d’évaluation et de débat régulier, selon un délai préétabli. En revanche, nous redouterions une loi trop générale qui renvoie à une multitude de décrets rédigés dans des cabinets ministériels sous influence.
Libérer du dogme la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires
Ce point du projet de loi est le plus sensible pour les tenants du respect de la vie dès la conception qui souhaitent que le principe reste l’interdiction. Par dérogation, ces recherches sont aujourd’hui rendues possibles sous conditions, en particulier celle de permettre un « progrès thérapeutique majeur ». Le projet de loi propose un élargissement grâce à une nouvelle formulation, celle de « progrès médical majeur ». Nous sommes favorables a minima à cette notion qui permet d’inclure le diagnostic et la prévention.
On s’attend à ce que les adversaires de ces recherches argumentent qu’il faut plutôt tout faire pour développer les techniques alternatives comme celles portant sur les cellules de sang de cordon ombilical ou sur les cellules reprogrammées en cellules souches pluripotentes induites (iPS). A cet égard :
- le cordon et le placenta, considérés comme déchets opératoires, ne posent pas de problème éthique dans le cadre d’un don anonyme ; leur prélèvement et leur utilisation sont visés par l’un des articles du projet de loi actuel. L’UFAL (article du 25 janvier 2010) a déjà dénoncé les visées mercantiles, au profit d’intérêt privés, d’une proposition ouvrant la voie à la création de banques privées de sang de cordon pour usage autologue (destiné à un hypothétique usage personnel futur) ; nous défendrons donc toutes les dispositions affirmant le contexte solidaire, public et gratuit, de l’accès à ces cellules ;
- face aux prises de positions idéologiques, il faut rappeler que la découverte des cellules iPS n’a précisément été possible que grâce aux recherches sur les cellules souches embryonnaires !
Comme le Collectif interassociatif sur la santé (CISS) se prononçant dans l’intérêt des malades [« La timidité ne soigne pas ! »], l’UFAL déplore que le projet de loi ne revienne pas sur l’interdiction de la recherche sur l’embryon et sur les cellules souches embryonnaires.
Le principe à poser en premier est celui de la liberté de la recherche, la loi n’a pas à dicter des axes prioritaires à celle-ci, quitte à ce qu’elle édicte des garde-fous dans l’application des résultats. Les choix de société pourront mieux s’exercer grâce au débat raisonné à partir de recherches effectuées en toute indépendance. C’est cela aussi la laïcité : préserver la science -y compris dans ses applications sur le vivant- des entraves des dogmes.
Qui peut bénéficier de l’assistance médicale à la procréation (AMP) ?
Le projet de loi prévoit que les couples pacsés pourraient désormais être éligibles dans les même conditions que les couples mariés, c’est à dire sans avoir à justifier qu’ils vivent en union stable depuis plus de deux ans.
L’UFAL défend la stricte égalité en droits de toutes les formes d’union et considère donc qu’il n’y a aucune raison d’exclure les couples homosexuels du bénéfice de l’AMP au motif d’un « moindre engagement » à l’égard des enfants à naître (argument également utilisé par les défenseurs d’un traitement différent des couples mariés par rapport aux personnes pacsées ou en union libre).
De même, il ne nous paraît pas défendable que les célibataires puissent adopter et ne pas avoir accès à l’AMP.
Nous considérons qu’il est temps que l’AMP ne soit plus simplement une réponse à l’infertilité mais permette aussi de répondre au désir d’enfant quelque soit son penchant sexuel ou son mode d’union.
Notons également que la technique de la vitrification des ovocytes n’est pas évoquée mais que la liste des techniques nouvelles autorisées serait fixée par décret. L’UFAL rappelle ici sa récente prise de position sur cette technique (cf. le communiqué de presse de l’UFAL du 8 novembre 2010) et ses réserves, exprimées ci-dessus, sur l’excès du recours aux décrets, comme sur les diktats envers les chercheurs.
La levée de l’anonymat des donneurs de gamètes dans le cadre de l’AMP avec tiers donneur
Il s’agit aussi bien de l’identité du tiers donnant des spermatozoïdes que des ovocytes, ce qui représente environ 500 dons pour 1 300 enfants nés par an (6% des enfants nés de l’AMP). L’enjeu de cette disposition serait de « responsabiliser le don » a dit le gouvernement… mais qui aujourd’hui fait un don de façon irresponsable ?
Pour la levée de l’anonymat, le projet distingue les données non identifiantes et les données identifiantes.
Les premières pourraient être recueillies systématiquement lors du don – certaines avec l’accord du donneur et dans une visée thérapeutique éventuelle pour l’enfant. Les données identifiantes nécessiteraient, elles, obligatoirement l’accord du donneur, d’où les disparités qui pourraient en résulter pour les enfants nés grâce à l’AMP avec tiers donneur si l’on admettait qu’à leur majorité ils puissent obtenir l’accès à de telles données.
Concernant les données non identifiantes, nous considérons que dans le cas de maladies prévisibles, il ne faut pas se contenter de stipuler une possibilité d’information mais une véritable obligation.
Par ailleurs, l’UFAL a toujours défendu le droit de l’enfant à connaître ses origines (en particulier dans le cas de l’accouchement sous X). Nous pensons que son intérêt doit prévaloir sur les conventions entre adultes. C’est pourquoi il est raisonnable d’encourager les parents à « révéler à l’enfant les conditions de sa conception » et d’encadrer cette information (qu’il risquerait d’apprendre inopinément à l’occasion d’un accident de santé). Si les données non identifiantes sont bonnes à connaître, nous sommes fortement opposés à la levée de l’anonymat pour les données identifiantes. Non parce que cela risquerait de réduire le nombre de dons, mais parce que cela conduit à une dérive biologisante de la filiation. Que la traçabilité génétique soit un progrès pour la thérapeutique, certes, mais cela ne doit pas conduire à reléguer au second plan la dimension sociale de la filiation. Adoptions et recompositions familiales montrent bien que la prise en compte du projet parental et celle de l’intérêt de l’enfant se concilient dès lors que les questions de l’un reçoivent des réponses des autres.
Et au-delà du texte proposé ?
D’une façon générale, nous estimons qu’il est toujours préférable d’autoriser en les encadrant très précisément des pratiques correspondant à une demande des personnes ou de la recherche, surtout lorsque la législation des pays avoisinants les permet, plutôt que de les interdire. L’autorisation des inséminations ou transferts d’embryon post-mortem ainsi que le double don de gamètes en sont des exemples.
En ce qui concerne l’embryon, un progrès important pourrait être réalisé en distinguant deux cas de figure, avec un cadre juridique propre à chaque situation :
– l’innovation thérapeutique portant sur des embryons destinés à poursuivre leur développement [aboutir à un être vivant];
– la recherche fondamentale portant sur des embryons qui ne sont pas destinés à se développer jusqu’à terme.