L’Union nationale des associations familiales (Unaf) n’a pas dérogé à la tradition : tout comme elle s’était jadis opposée au droit à l’avortement, à la reconnaissance des enfants adultérins, à la suppression du divorce pour faute et au PACS, c’est sans surprise que l’Unaf vient de prendre position contre l’ouverture du mariage aux couples de même sexe.
Le résultat du vote au Conseil d’Administration de l’institution familiale est sans appel : seule une petite minorité de cinq administrateurs s’est prononcée pour cette ouverture (l’Ufal et le Cnafal, mais également deux administrateurs de la CSF et le président de Familles Rurales qui n’ont pas suivi le mot d’ordre de leur mouvement), tandis qu’une écrasante majorité (28 administrateurs) votait contre cette mesure.
Sur la question de savoir s’il fallait ouvrir l’accès à la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes, le résultat a été encore plus massif, puisque seuls deux administrateurs, dont le président de l’Ufal, se sont prononcés favorablement.
Ce résultat manifeste de manière particulièrement criante le décalage entre l’Unaf et la société française : cette institution est censée représenter l’ensemble des familles, mais 85 % de ses membres sont hostiles au mariage ouvert à tous, alors que les Français interrogés y sont pour 60 % d’entre eux favorables (65 % en août, 58 % en octobre).
On lira, dans ce communiqué, les arguments avancés par l’Unaf pour étayer sa position. À vrai dire, ils se réduisent à un seul, pour le moins comique : l’ouverture du mariage à tous et la reconnaissance de l’homoparentalité par la loi auraient des conséquences négatives non seulement pour les seuls couples concernés et leurs enfants, mais pour tous, puisque « les 14 millions de pères et de mères se verraient ainsi dépossédés du droit d’être reconnus comme tels par la loi » par le simple fait de remplacer les mots « père » et « mère » par « parent ». À ce compte-là, l’Unaf devrait attaquer les directeurs d’école chaque fois qu’ils annoncent une réunion de parents d’élèves pour subversion de la famille. Plus sérieusement, l’Unaf méconnaît un fait, pourtant attesté par l’anthropologie et la psychanalyse : « père » et « mère » sont moins des rôles déterminés par le sexe que des fonctions symboliques qui diffèrent selon les cultures et qui évoluent en fonction des changements sociaux. Ce n’est donc pas à la loi de figer ces rôles dans le marbre.
Comme seul argument contre l’accès à l’adoption plénière pour les couples de même sexe, l’Unaf craint que cela ne laisse croire « qu’il est possible de naître de deux personnes de même sexe ». L’Unaf pense-t-elle sincèrement que les enfants élevés par des couples de même sexe pourraient croire cela ? Que des parents pourraient être tentés de le faire croire ?
L’Unaf, en entretenant la confusion entre filiation (acte juridico-social) et procréation (acte biologique), se range dans le camp de la réaction, celui qui refuse toute évolution juridique pour mettre en phase notre droit avec les évolutions scientifiques et sociétales.
L’Unaf lance un leurre pour sauver la face
Afin de ne pas apparaître totalement conservatrice sur la question de l’homosexualité, une courte majorité du Conseil d’Administration (18 voix contre 15) a proposé de mettre en place une « Union civile réservée aux couples de même sexe et leur octroyant de nouveaux droits non acquis dans le cadre du PACS ».
La tactique pour les promoteurs de cette union civile est double : tenter d’éviter l’ouverture du mariage aux homosexuels et ne pas améliorer le Pacs qui fait dangereusement concurrence au mariage.
En effet, en proposant un contrat qui apporte de nouveaux droits aux couples de même sexe, l’Unaf veut faire croire que cela serait un compromis acceptable. Or ce n’est qu’un leurre déjà utilisé par Nicolas Sarkozy en 20071 . Ce n’est qu’un leurre, car non seulement cela ne règle absolument pas la question de l’égalité qui sous-tend la demande d’ouverture du mariage aux couples homosexuels, mais en plus cela contrevient à notre constitution : mettre en place une loi pour les seuls homosexuels est tout simplement anticonstitutionnel dans un système politique qui ne reconnaît pas de différences entre ses citoyens et donc ne peut pas les discriminer en fonction de leur orientation sexuelle ou de leur sexe. Cela revient à proposer une ségrégation entre les familles hétérosexuelles et homosexuelles : ce n’est pas acceptable. Comme en 2007, cet ovni juridique ne sert donc qu’à empêcher une avancée politique.
Ne pas améliorer le Pacs est aussi un objectif pour les tenants du mariage. En effet, il peut sembler curieux que ceux qui veulent éviter l’ouverture du mariage à tous les couples ne défendent tout simplement pas une amélioration du PACS et préfèrent proposer un nouveau contrat. Or cette position est cohérente si l’on se place dans le cadre de la défense d’un mariage respectant les valeurs chrétiennes2. Éviter l’ouverture du mariage civil leur parait primordial, mais améliorer le Pacs cela conduirait encore plus de couples hétérosexuels à le préférer et cela entrainerait donc une réduction comme peau de chagrin du nombre de mariage. La comparaison entre nombre de mariages célébrés par an et le nombre de Pacs enregistrés est encore en faveur du mariage – 250 000 contre 200 000 en 2010 – mais pour combien de temps avec les mêmes droits pour chacun ?
Cette analyse de la position défendue par l’Unaf est nécessaire, car l’Ufal se situe, elle, à l’exact opposé : nous voulons à la fois ouvrir le mariage à tous les couples qui le souhaitent, améliorer le Pacs et obtenir une égalité en droit de tous les couples avec ou sans enfants quelque soit la forme d’union qu’ils choisissent. Nous allons profiter des débats parlementaires pour faire progresser notre position, seule garante d’une égale reconnaissance de toutes les familles.
- Extrait des propos du candidat à la présidentielle Nicolas Sarkozy dans Têtu en avril 2007 : « La question des enfants est centrale. Pour autant, si je suis mon raisonnement, puisqu’on ne choisit pas sa sexualité, fonder une discrimination sur quelque chose qu’on ne choisit pas, c’est une injustice majeure. Je suis donc pour une union civile homosexuelle qui ne passe pas par le greffe du tribunal d’instance, mais par la mairie. C’est logique. Et je vais ajouter ceci que je n’ai jamais dit encore : cette union civile, à la mairie, entraînera une égalité fiscale, sociale, patrimoniale totale avec les couples mariés, qui ira, par exemple, jusqu’au droit à la pension de réversion pour le conjoint homosexuel. » [↩]
- et plus largement de la plupart des religions, mais seul le christianisme est (sur)représenté au sein de l’Unaf [↩]