Une mission parlementaire bipartisane LREM-LR créée à la demande du gouvernement devait rendre ses conclusions sur la politique familiale ce mercredi 21 mars. Finalement, les deux députés en charge du rapport n’ont pas réussi à se mettre d’accord et Gilles Lurton, qui fait partie de l’opposition LR, a refusé in extremis de co-signer ledit rapport.
La pierre d’achoppement : la proposition de son collègue LREM, Guillaume Chiche, de supprimer le quotient familial et flécher l’argent ainsi économisé vers les allocations familiales, qui seraient désormais versées dès le premier enfant et davantage modulées en fonction des revenus.
Pour l’UFAL, la politique familiale constitue l’un des pans essentiels de la politique sociale du pays et doit représenter un trait d’union universel entre l’ensemble des familles, sans exclusives. Pour cette raison, l’UFAL a dénoncé sans relâche la réforme des prestations familiales mise en œuvre sous la mandature de F. Hollande, laquelle s’est traduite, entre autres mesures d’économies, par la modulation des allocations familiales selon le revenu et la réduction du plafond de quotient familial.
Pour autant, la proposition qui devait figurer dans le rapport parlementaire doit nous amener à examiner avec discernement la question de la politique familiale de notre pays. Rappelons que la politique familiale française repose sur l’action combinée de la politique de prestations familiales des Caisses d’allocations familiales (branche famille de la Sécurité sociale) et des réductions d’impôt sur le revenu liées au dispositif de quotient familial (demi-part supplémentaire par enfant à charge et une part à compter du 3e enfant).
La branche famille de la Sécurité sociale doit être l’acteur central d’une politique familiale universelle à destination de l’ensemble des familles
Pour l’UFAL, le rôle central de la politique de soutien familial des CAF ne fait aucun débat. Notre mouvement proclame depuis son origine son attachement à la branche famille de la Sécurité sociale, en tant qu’acteur central de la politique familiale de notre pays. Notre mouvement souligne également le rôle décisionnel essentiel exercé par les partenaires sociaux au travers de l’action sociale des CAF, l’importance de maintenir la branche famille dans le corps de la Sécurité sociale et par conséquent de sanctuariser son financement par la cotisation sociale, le salaire socialisé des travailleurs.
Cependant, l’UFAL ne saurait occulter les imperfections du système actuel de prestations familiales. En premier lieu, l’UFAL milite pour le versement des allocations familiales dès le premier enfant et dénonce en conséquence la nature nataliste des prestations familiales qui sont réservées aux familles de deux enfants et plus. De même, la multiplicité des prestations familiales, dont la plupart sont sous conditions de ressources, a transformé peu à peu la politique familiale des CAF en un dispositif de soutien aux familles les plus pauvres en lieu et place d’une politique familiale universelle, vecteur de cohésion sociale entre toutes les familles.
Cet état de fait a été renforcé par la réforme du système de prestations familiales entrée en vigueur en 2015. Le gouvernement socialiste a, entre autres mesures, fait adopter le principe d’une modulation des allocations familiales pour les ménages disposant d’un revenu supérieur à 6000 €. Loin d’être une mesure de justice sociale, le Gouvernement choisit de faire de la politique familiale un gisement d’économies et d’opposer les Français entre eux selon leur niveau de revenu. L’UFAL a dénoncé cette grave atteinte à l’universalité des allocations familiales qui tend à faire de la branche famille de la Sécurité sociale un opérateur d’État chargé de la lutte contre la pauvreté au détriment de ses missions fondamentales dans le domaine d’une politique familiale en direction de l’ensemble des familles. Attaché à l’héritage du Conseil National de la Résistance qui a fait de la Sécurité sociale une arme de protection des travailleurs, notre mouvement ne saurait accepter que l’une des 4 branches de la Sécurité sociale, la branche famille, ne puisse bénéficier à l’ensemble des familles qui contribuent à son financement au travers des cotisations et contributions sociales adossées à leur salaire. Il en va de la cohésion sociale de notre pays.
Le système de quotient familial, un système ambigu de soutien aux familles avec enfants
Le système de quotient familial suscite des questionnements légitimes. Fondé sur le principe d’une réduction d’impôt sur le revenu pour les familles avec enfants, le quotient familial vise à compenser la perte de niveau de vie des familles avec enfants par rapport aux foyers fiscaux, à revenus équivalents, sans enfant. En ce sens, le quotient familial (dont le coût est estimé à 12 milliards d’euros) contribue directement et positivement au soutien des familles par le biais du calcul de l’impôt républicain et progressif qu’est l’impôt sur le revenu auquel l’UFAL affirme son total attachement.
Le quotient familial pâtit toutefois de plusieurs faiblesses. Premièrement, derrière le quotient familial se cachent en réalité deux dispositifs distincts : le quotient conjugal pour les couples mariés ou pacsés et le système de (demi-)parts supplémentaires pour enfants à charge.
Le quotient conjugal favorise les couples par rapport aux célibataires et les couples mariés/pacsés par rapport à ceux en union libre. Pour notre mouvement attaché à la reconnaissance égalitaire de toutes les familles, quelle qu’en soit la forme, le principe de quotient conjugal pose quelques questions éthiques, d’autant plus que ce système favorise en réalité les couples marqués par d’importantes différences de revenus entre les deux membres du foyer. En un sens, le quotient conjugal vise à favoriser les familles dont l’un des deux conjoints est inactif (majoritairement les femmes) ce qui est contraire à notre vision de l’égalité femmes/hommes fondée notamment sur l’émancipation par le travail des femmes.
Mais surtout, le quotient familial profite par construction aux seules familles qui sont redevables de l’impôt sur le revenu, autrement dit les 50 % de foyers fiscaux les plus aisés de notre pays((Notons toutefois que c’est grâce au quotient familial que de nombreuses familles aux revenus modestes sont exemptées de l’impôt sur le revenu.)). Plus encore, l’allégement d’impôt permis par le système de quotient est d’autant plus profitable que le foyer fiscal est redevable d’un niveau élevé d’impôt du fait de revenus importants. Ainsi, à titre d’exemple, le gain fiscal pour un couple avec trois enfants touchant 30 000 € par an est de 1 500 € environ, tandis qu’un couple (toujours avec trois enfants) touchant 100 000 € par an voit son impôt allégé de 6000 €.
Le système de quotient familial n’est donc pas égalitaire et c’est sa principale faiblesse. Toutefois, il convient de nuancer cette conjecture, car le niveau de réduction d’impôt lié au quotient familial a été sensiblement réduit par son plafonnement, singulièrement depuis 2014 ; chaque demi-part pour enfant à charge est désormais plafonnée à 1500 € (environ) ce qui en réduit largement la portée. Par ailleurs, il convient de préciser que le quotient familial n’a pas de vocation redistributive ; il ne vise pas à corriger les différences de niveau de vie liées aux inégalités de revenus (cette correction procède du caractère progressif de l’impôt sur le revenu), mais à rétablir une relative égalité de niveau de vie entre les couples assurant des charges de famille et ceux sans enfants, pour un même niveau de revenus.
Conclusion : oui à l’allocation familiale dès le premier enfant, non à la transformation des CAF en une agence de l’État
L’UFAL en appelle-t-elle à la suppression du quotient familial et à l’individualisation de l’impôt sur le revenu ? Cette question a suscité d’importants débats dans nos rangs et l’UFAL ne s’est jamais prononcée publiquement pour la suppression du quotient familial, bien que cette mesure figure parmi les moyens envisagés pour la mise en œuvre d’une politique familiale renforcée à destination de l’ensemble des familles. Nous constatons néanmoins que le législateur a par plusieurs fois réduit le quotient familial et que ces réductions ont uniquement été motivées par des objectifs d’économies sans que le bénéfice fiscal induit ne profite à la politique familiale de notre pays.
En tout état de cause, l’UFAL estime que toute baisse du quotient familial doit impérativement être redéployée intégralement en direction de la politique familiale de notre pays et non pour accentuer la politique d’austérité.
L’annonce (avortée) d’une suppression du quotient familial afin de créer une allocation familiale versée dès le premier enfant pourrait en apparence aller en ce sens. Toutefois, la proposition du député Guillaume Chiche n’est pas sans poser d’importants problèmes. Premièrement, la proposition contenue dans le rapport ne rompt pas avec le principe de modulation des allocations familiales ; au contraire, la nouvelle allocation familiale serait encore davantage modulée. L’UFAL qui a toujours exprimé son attachement à l’universalité des allocations familiales ne saurait accepter cet état de fait. Notre mouvement s’est opposé radicalement à la modulation des allocations et ne saurait se satisfaire d’une allocation familiale, même versée à l’ensemble des familles, qui serait modulée en fonction des revenus, car cela reviendrait une fois de plus à exclure les classes moyennes du bénéfice de la politique familiale. Pis, un tel dispositif reviendrait dans les faits à faire payer aux classes moyennes avec deux enfants et plus l’allocation familiale pour les familles à enfant unique : en effet, pour ces dernières, la perte du bénéfice du quotient familial irait de pair avec une possible réduction de leurs allocations familiales, du fait de durcissement de la modulation en fonction du revenu. Elles seraient donc doublement pénalisées.
Autre point hautement problématique, le redéploiement des ressources fiscales induites par la suppression du quotient familial impliquerait une accentuation considérable de la fiscalisation du financement de la branche famille de la Sécurité sociale et signifierait la quasi-disparition de la cotisation sociale comme mode de financement central de cette branche de la Sécurité sociale. Dans ces conditions, nous pouvons légitimement craindre que les CAF ne sortent définitivement de l’orbite de la Sécurité sociale et ne se transforment en une agence publique de soutien aux familles les plus pauvres, voire en un dispositif déshumanisé de crédit d’impôt, avec les risques que cela suppose en termes de possible remise en cause à l’occasion des débats parlementaires.
Dépositaire de ressources fiscales votées annuellement par le parlement, la branche famille cesserait d’être l’un des derniers lieux d’exercice de la démocratie sociale. Rappelons que les Conseils d’Administration des CAF demeurent l’un des derniers lieux d’expression politique des partenaires sociaux qui s’exprime notamment au travers de la politique d’action sociale déployée dans les territoires : la politique d’accueil du jeune enfant, le soutien à la parentalité, l’aide à la conciliation vie privée/vie professionnelle, l’aide au temps libre, la politique de cohésion sociale dans les territoires n’auraient aucune existence concrète sans le financement essentiel des CAF découlant de la politique d’action sociale des CAF décidée par les partenaires sociaux. C’est la spécificité de ce service public majeur, héritier du programme national de la résistance qui pourrait disparaître. L’UFAL ne saurait accepter une telle perspective.
En conclusion, l’UFAL est très réservée quant à une suppression du quotient familial, sous couvert de la création d’une allocation familiale versée dès le premier enfant. L’UFAL milite certes ardemment pour l’extension du bénéfice des allocations familiales aux familles à enfant unique. Néanmoins la création d’une allocation familiale dès le premier enfant est un impératif social qui doit relever d’un choix politique de la Nation fondé sur le renforcement des moyens des CAF via la cotisation sociale. Rappelons à toutes fins utiles que la branche famille est structurellement excédentaire bien qu’elle se soit vue retirer d’importantes marges de manœuvre financière sous le gouvernement Hollande avec l’entrée en vigueur du pacte de responsabilité qui a réduit considérablement les taux de cotisations sociales affectées à la branche famille, le tout au nom d’une politique de relance de l’emploi qui est un échec patent. Nous estimons au contraire que la branche famille de la Sécurité sociale doit récupérer, en toute autonomie, les ressources nécessaires à la conduite de la politique familiale de notre pays passant en particulier par la création d’une allocation familiale dès le premier enfant. En d’autres termes, l’UFAL ne souhaite pas s’associer à un projet qui conditionnerait la création d’une allocation dès le premier enfant à la suppression du quotient familial.
Si le gouvernement souhaite faire aboutir un quelconque projet de suppression du quotient familial, l’UFAL estime, s’agissant de ressources fiscales nouvelles, que celles-ci devraient être maintenues dans le corps des finances publiques tout en étant intégralement redistribuées en direction des familles. Les ressources fiscales dégagées trouveraient notamment toute leur utilité dans une augmentation sensible des dotations des collectivités territoriales orientées vers la création de places d’accueil collectif du jeune enfant qui sont à un niveau insuffisant dans notre pays, et ce, malgré l’action résolue des CAF. Or l’accueil la politique d’accueil collectif du jeune enfant est l’un des besoins sociaux les plus essentiels pour les familles et constitue la voie privilégiée par l’UFAL afin de garantir une véritable conciliation entre vie professionnelle et vie privée, le tout, en favorisant la mixité sociale et la socialisation des enfants.