Proposition de loi tendant à redonner un caractère universel aux allocations familiales
M. Olivier HENNO, rapporteur
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Intervention de l’UFAL
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Audition du 12 janvier 2022 à 16h30
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Quels sont selon vous les objectifs pouvant être assignés aux allocations familiales ?
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Envisager la politique familiale pour le XXIème siècle implique de nous interroger sur les finalités-mêmes de la politique familiale pour mieux la repenser.
En premier lieu, il y a lieu de défendre et promouvoir le rôle capital des Caisses d’allocations familiales comme opérateur central de la politique familiale française. L’UFAL affirme son attachement au maintien de la branche famille au cœur de la Sécurité sociale française. Notre mouvement s’oppose par conséquent à tout projet politique qui ambitionnerait de fusionner les CAF avec les services sociaux des collectivités territoriales départementales ou inter-communales. Outre sa complexité technique et humaine, un tel projet consisterait à placer un service public de la Nation (la branche famille de la Sécurité sociale) dans la gangue des politiques territoriales par essence hétérogènes. Par ailleurs, cela mettrait fin au rôle central des partenaires sociaux qui demeurent les dépositaires de la politique d’action sociale des CAF.
Le financement de la politique familiale par la cotisation sociale, autrement dit le salaire socialisé des travailleurs, demeure à nos yeux un impératif catégorique en dépit du mouvement au long cours de fiscalisation des prestations familiales en vue d’alléger le coût du travail. Le mouvement de contestation sociale inédit né du mouvement des gilets jaunes est là pour nous le rappeler : en substituant continuellement les taxes et autres impôts affectés (CSG, TVA sociale …) à la cotisation sociale, les pouvoirs publics ont nourri un sentiment d’exaspération sociale au sein des classes populaires qui non seulement n’ont guère bénéficié de progression des salaires mais subissent en outre de plein fouet les conséquences d’un matraquage fiscal inégalitaire. Par ailleurs, l’histoire nous donne des enseignements essentiels sur les conséquences de la fiscalisation de la Sécurité sociale : à chaque fois que l’impôt se substitue à la cotisation sociale, les prestations sociales ont vocation à être placées sous conditions de ressources et se transforment en dispositifs de soutien redistributif qui excluent les classes moyennes. Or les catégories de travailleurs situées juste au-dessus des seuils de perception des prestations familiales sont les plus enclines à nourrir un sentiment d’exclusion des politiques sociales : trop pauvres pour disposer d’une épargne suffisante à consacrer à la couverture de leurs besoins sociaux de long terme et trop riches pour bénéficier des prestations sociales placées sous conditions de ressources, les classes moyennes inférieures vivent un sentiment d’exclusion et de déclassement qui fissure la cohésion sociale entre l’ensemble des Français. Réhabiliter les salaires et la cotisation sociale pour financer la politique familiale n’a rien d’incongru car les conditions sociales matérielles des familles contribuent de manière directe à la productivité du travail et constituent un investissement social de première importance pour les nouvelles générations qui seront les travailleurs de demain.
Par ailleurs, l’UFAL estime que la politique familiale française doit rompre avec sa vocation nataliste ce qui explique qu’elle est encore de nos jours essentiellement orientés vers les familles de 2 enfants et plus. L’exclusion des familles à enfant unique du bénéfice des allocations familles constitue en effet un archaïsme auquel il convient de mettre fin de manière urgente. Si le soutien à la natalité n’est pas en soi condamnable, l’UFAL estime, d’une part, que la politique familiale ne devrait opérer aucune stigmatisation des familles en fonction du nombre d’enfants : la politique familiale doit poursuivre pour objectif de permettre aux familles d’avoir le nombre d’enfants désiré, ce qui ne doit nullement exclure les familles à enfant unique, injustement évincées de la politique familiale actuelle. D’autre part, la politique familiale doit poursuivre un objectif social et politique nettement plus large et ambitieux : elle doit participer de manière essentielle à l’investissement social de la Nation consenti à l’endroit des nouvelles générations, dont la pleine insertion dans la Nation républicaine implique d’œuvrer dans le sens
1) d’une amélioration du bien-être familial (incluant les parents),
2) d’une socialisation précoce des enfants et
3) d’une élévation sociale et culturelle des enfants perçus comme les citoyens de demain.
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Quelle appréciation faites-vous de l’introduction à partir de 2015 d’une modulation des allocations familiales selon le revenu du foyer ?
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La réforme Ayrault de la politique familiale mise en œuvre en 2013 constitue la dernière réforme austéritaire en date en matière de soutien aux familles. Parmi l’ensemble des mesures décidées visant à faire réaliser 2,2 milliards d’euros d’économies à la branche famille, l’annonce du plafonnement des allocations familiales est la mesure qui a le plus attiré l’attention de l’opinion publique. Il s’agissait en réalité de légitimer la fin de l’universalité des allocations familiales à des fins pures et simples d’économies.
Depuis 2015 a été introduite une modulation des allocations familiales en dépit de l’opposition quasi unanime des associations familiales (dont l’UFAL). Depuis cette date, les allocations familiales demeurent certes universelles mais leur montant est divisé par 2 pour les ménages dont le revenu dépasse 6000 € par mois et par 4 pour les ménages situés au-delà de 8000 € de revenus.
Le principe de modulation des allocations familiales constitue une remise en cause du principe égalitaire qui régissait les allocations familiales. Ces dernières, de par leur universalité et leur uniformité (montant identique pour l’ensemble des foyers) avaient pourtant une signification symbolique importante : tout comme la maladie, les charges de famille devraient avoir le même sens politique et social pour l’ensemble de la population. La remise en cause du caractère égalitaire et universel des allocations familiales fait en effet peser un risque majeur de délitement de la cohésion sociale entre les familles. Par le principe de cohésion sociale, il s’agit en effet de réaffirmer que certaines situations sociales doivent avoir la même reconnaissance politique pour l’ensemble de la population : il s’agit de reconnaître par la loi de la République l’existence d’un « nous » collectif, condition indispensable d’une République sociale qui reconnaît pour chacun des droits et des devoirs identiques.
Pour les classes intermédiaire et moyenne, la remise en cause des droits sociaux et des services publics a une signification symbolique considérable, singulièrement à l’égard de la frange de la population qui contribue le plus au financement du système de protection et qui se voit progressivement exclue d’un système de Sécurité sociale de plus en plus orienté vers la lutte contre la pauvreté et non vers l’amélioration du bien-être collectif des familles.
Avec la modulation des allocations familiales, ce sont les classes moyennes de travailleurs (certes aisés) qui se verront amputer d’une majeure partie des allocations familiales alors même qu’elles contribuent majoritairement à leur financement via les cotisations sociales patronales calculées sur leur salaire (et dont la progressivité induite par les exonérations bas salaires fait reporter majoritairement sur cette catégorie de salariés) et la CSG (qu’ils acquittent directement).
L’argument le plus fréquemment érigé pour justifier la modulation des allocations familiales est qu’il serait choquant qu’elles bénéficient aux très hauts revenus. Le plafonnement est ainsi drapé de justice redistributive (démagogique) et il est fréquemment mis en avant qu’il permettrait d’éviter aux milliardaires de bénéficier d’allocations familiales dont ils n’ont nullement besoin. En réalité, le seuil de modulation (6000 €) correspond aux revenus d’un couple d’enseignants du secondaire en milieu de carrière… Nous sommes donc très loin des milliardaires, d’autant qu’il y a fort à parier que ce seuil pourrait être abaissé à l’avenir.
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L’assignation d’une logique de redistribution verticale aux allocations familiales vous semble-t-elle justifiée ? Un tel objectif de réduction des inégalités de revenus a-t-il été rempli ?
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Bien que partie intégrante de la Sécurité sociale et financée (encore) majoritairement par des cotisations sociales patronales, la branche famille se caractérise par son uniformité et son unité. Les prestations familiales sont en effet identiques pour l’ensemble de la population et la branche famille du régime général est chargée du versement des prestations familiales pour presque 100% de la population. En effet, depuis 1978, le bénéfice des prestations familiales n’est plus soumis à une condition d’assurance, autrement dit de cotisation préalable dans l’emploi salarié. L’universalité des prestations familiales qui en découle peut apparaître comme un progrès indéniable en permettant d’ouvrir un droit à prestations familiales à l’ensemble des familles, y compris celles situées durablement en marge de l’emploi. Au cœur du dispositif de prestations familiales, les allocations familiales constituent le socle universel des prestations familiales puisqu’elles sont versées sans exclusives à l’ensemble des familles de plus de deux enfants. Elles sont un mode de prise en charge égalitaire et horizontal des charges de familles qui intègrent fondamentalement la politique familiale dans le champ du droit social et lui confèrent une dimension salariale au sein du système de Sécurité sociale.
Cette universalisation n’était malheureusement qu’un progrès en trompe l’œil. Loin de poser la politique familiale comme un socle de prestations universelles pour toutes les familles, cette suppression de la condition d’assurance a en réalité marqué le tournant de la politique familiale qui s’est transformée peu à peu en un dispositif redistributif à destination des familles les plus modestes. Dès lors, les allocations familiales sont devenues rapidement une exception au sein du corpus des prestations familiales, lesquelles ont évolué fondamentalement dans le sens d’une assistance ciblée vers les familles les plus pauvres. Ce glissement résulte d’un projet politique au long cours visant à transformer la politique familiale en un volet de la politique redistributive des revenus qui éloigne structurellement la branche famille du champ du droit social. Aussi, la majorité des prestations familiales sont actuellement versées sous conditions de ressources, et versées aux familles les plus modestes et son financement repose de plus en plus fondamentalement sur la fiscalité de type CSG.
Cet état de fait a été largement renforcé par le fait que la branche famille est dépositaire de la gestion et du versement (mais pas du financement) de prestations à caractère social qui sortent littéralement du champ de la politique familiale stricto sensu. Cette évolution des missions de la branche famille vers la gestion des dispositifs de lutte contre la pauvreté a atteint son acmé avec la dévolution aux CAF, en 1988, de la gestion du RMI, devenu RSA depuis 2010. La gestion par les CAF des dispositifs de solidarité (AAH, RSA, et prime d’activité) a contribué à faire glisser fondamentalement la branche famille de la Sécurité sociale dans un rôle de gestionnaire délégué de la lutte contre la pauvreté au détriment de ses missions fondamentales de soutien aux familles dans un cadre universel et adossé aux droits des salariés.
Il n’est nullement question de considérer que la lutte contre la pauvreté et la réduction des inégalités ne sont pas un objectif majeur des politiques publiques. Toutefois nous estimons qu’il ne revient pas à la branche famille et à la Sécurité de poursuivre cet objectif de redistribution verticale qui devrait en tout état de cause ressortir à la politique fiscale républicaine de notre pays via l’impôt sur le revenu. Or, ce dernier a été fortement affaibli par des réformes successives qui ont réduit massivement son caractère universel et progressif. À l’inverse, la branche famille de la Sécurité sociale a pour vocation de réaliser une distribution horizontale de ressources salariales à destination des familles avec enfants. Longtemps qualifiées de sursalaire familial, les allocations familiales contribuent à reconnaître la contribution économique essentielle des parents avec enfants sans prise en considération du niveau de ressources du foyer.
Plus globalement, le projet politique de transformation de notre système social et familial en outil de redistribution engendre un risque de délitement citoyen se traduisant par une perte d’attachement à des valeurs républicaines qui n’ont plus de valeur universelle. Il s’agit du énième chapitre d’une spirale réformatrice visant à substituer au champ du droit social fondé sur l’extension des droits des salariés un système dual axé sur des dispositifs de lutte contre la pauvreté, parallèlement à une incitation forte des ménages aisés à recourir à des stratégies individuelles fondées sur la mobilisation de l’épargne et les stratégies patrimoniales.
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Avez-vous observé une incidence de la réforme sur les projets d’enfant des familles concernées par la baisse du montant des allocations ?
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Nous n’avons pas d’éléments pour estimer avec précision une telle incidence des réformes des allocations familiales. Toutefois, la baisse sensible de la fécondité observée depuis presque 10 ans, parallèlement à la précarisation manifeste de nombreuses familles avec enfants, constituent un signal fort qui tend à démontrer que la politique familiale ne remplit pas correctement son objectif d’accompagnement des familles.
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Le mécanisme de lissage par complément dégressif permet-il d’éviter de manière satisfaisante les effets de seuils induits par les plafonds de ressources ?
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Favorables à une stricte égalité du montant des allocations familiales sans référence aux revenus des familles, nous n’émettons pas d’avis sur d’éventuels mécanismes de lissage. Néanmoins les mécanismes de lissage mis en œuvre dans le domaine de l’assurance maladie (Aide à la complémentaire santé devenue Complémentaire santé solidaire) ou dans le domaine de l’activation des minima sociaux (RSA-activité devenu prime d’activité) nous renseigne sur les limites de mécanismes de lissage mis en œuvre : outre leur complexité de mise en œuvre et les effets induits en termes de non-recours aux droits, ces mécanismes ont pour effet de déplacer les effets de seuils sur les actifs à revenus modestes et intermédiaires qui sont les véritables laissés pour compte de notre système de solidarité.
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Quels sont les déterminants de la diminution de la natalité depuis une décennie ? Rendre le montant des allocations indépendantes du niveau de ressources de la famille vous semble-t-il à même de favoriser la natalité ?
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Les déterminants de la chute de la natalité sont nombreux et complexes et ne sauraient d’aucune manière être réduits aux seuls effets des réformes récentes des prestations familiales. Parmi les autres déterminants de la natalité nous pouvons citer :
– le report de l’âge de conception du premier enfant du fait d’une insertion plus tardive dans l’emploi : impact de l’allongement de la durée d’études et de la précarisation de l’emploi qui reporte l’âge moyen d’occupation d’un emploi stable en CDI
– les difficultés de conciliation entre vie professionnelle et vie familiale du fait des contraintes de logement dans les grandes agglomérations et du déficit de solutions de garde des jeunes enfants.
Néanmoins, la réforme austéritaire des prestations familiales mise en œuvre depuis 2013 parallèlement à l’échec criant de la PreParE ont, à nos yeux, directement contribué à renforcer l’insécurité matérielle des familles avec enfants. Les conséquences de ces réformes sont alarmantes : la natalité est en baisse constante depuis 2010 et le nombre d’enfants par femmes se situe à 1,83 enfants (vs. 2,03 en 2010). Plus grave, selon le bilan démographique de l’année 2020 publié par l’Insee, le solde naturel, c’est-à-dire la différence entre les nombres de naissances et de décès, n’a jamais été aussi bas depuis la fin de la seconde Guerre mondiale, et a même été négatif au dernier trimestre 2020 et au premier trimestre 2021. Les projections prévoient un solde migratoire supérieur au solde naturel pour les prochaines années.
L’UFAL ne considère pas que la politique familiale doit poursuivre un objectif nataliste, toutefois notre mouvement estime que les pouvoirs publics doivent permettre aux familles d’accueillir et d’élever dignement un nombre d’enfants conforme à leurs souhaits. Or, le nombre d’enfants désirés oscille aux alentours de 2,4, soit un écart de près de 0,6 point.
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Quels seraient selon vous les montants et les modes de calcul optimaux des allocations familiales ?
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L’UFAL défend un modèle d’allocations familiales reposant sur les principes suivants :
– une allocation familiale universelle et uniforme pour l’ensemble des familles sans modulations du montant ni conditions de ressources ;
– une extension des allocations familiales aux familles à enfant unique ;
– un complément forfaitaire d’allocations familiales pour les familles monoparentales en sus des actuels dispositifs d’allocation de soutien familial et d’intermédiation financière des pensions alimentaires ;
– le maintien des allocations familiales au-delà de 18 ans et leur évolution en une allocation familiale d’autonomie du jeune adulte directement versé à ce dernier.
En tout état de cause, nous estimons que le montant des allocations familiales de rang 2 devrait être revalorisé de 25% (soit 160 euros par mois) et le montant de l’allocation familiale de rang 1 ne devrait pas être inférieur à 80 euros par mois.
Financer un tel projet est possible dès lors que l’on envisage de redonner à la branche famille les ressources qui lui ont été détournées à l’occasion de réformes successives. En tout état de cause, le dispositif que promeut l’UFAL est difficilement envisageable à budget constant et a fortiori si la branche famille continue d’être une variable d’ajustement financière pour le gouvernement, rejoignant à ce titre les conclusions récentes du HCFEA.
L’UFAL estime que la politique familiale doit être financée prioritairement par une augmentation progressive et limitée de la cotisation sociale, en rompant avec la politique salariale austéritaire et l’affaiblissement continu de la cotisation sociale mis en œuvre depuis près de 30 ans.
Outre le fait d’affecter à la branche famille des ressources supplémentaires pérennes et sanctuarisées, une telle rénovation des allocations familiales pourrait s’appuyer parallèlement sur un redéploiement partiel ou total d’autres prestations familiales actuelles sous conditions de ressources telles que l’allocation de rentrée scolaire, le complément familial et l’allocation de base de la PAJE.
Avez-vous d’autres observations à formuler ?
A propos de l’allocation d’autonomie du jeune adulte
L’UFAL milite de longue date pour la création d’une allocation familiale pour le jeune adulte facilitant son autonomie sociale et financière jusqu’à l’entrée dans la vie active. Il s’agirait de créer une nouvelle prestation familiale, prenant le relais des allocations familiales et versée directement au jeune majeur poursuivant ses études ou cherchant un emploi et ce, jusqu’à son entrée dans un emploi stable (ou au plus tard jusqu’à ses 26 ans).
En tout état de cause, L’UFAL s’indigne de la précarisation accrue des jeunes adultes et des étudiants dont les conditions matérielles sont dépendantes des capacités financières très inégales de leurs parents. Il n’est plus acceptable que des milliers d’étudiants soient contraints de travailler ou pire, s’adonnent à des activités illicites ou dégradantes pour pouvoir continuer à payer leurs études à un âge capital où ils devaient consacrer leurs efforts à bâtir leur avenir.
L’allocation d’autonomie du jeune adulte que nous appelons de nos vœux devrait être d’un montant proche de l’actuel RSA, soit 500 euros par mois minimum. Cette prestation pourrait par ailleurs s’appuyer sur redéploiement des actuelles aides personnelles au logement qui participent à l’inflation des loyers étudiants.