Notre système de protection de l’enfance est inapproprié depuis de nombreuses années. Depuis 20 ans, les constats sont les mêmes : manque de structures adaptées, de professionnels spécialisés au sein des structures, de moyens en psychiatrie, échec scolaire et peu de perspectives professionnelles pour les jeunes ayant bénéficié d’une mesure d’assistance éducative. Les difficultés psychiatriques et sociales perdurent chez ces jeunes une fois devenus adultes (nombreux de Sans domiciles fixes ont eu un parcours d’enfant placé à un moment de leur vie et les prisons regorgent de personnes ayant eu un parcours chaotique dans leur prime jeunesse). Un jeune mineur placé peut se retrouver du jour au lendemain dans la rue malgré le dispositif de jeunes majeurs sensé maintenir un suivi éducatif, social et professionnel jusqu’à ses 21 ans. Les facteurs de ce statu quo sont bien sûr multiples. Aujourd’hui, on continue de reproduire les mêmes méthodes qu’hier en dépit de leur inefficacité.
Citons les principales lois relatives à la protection de l’Enfance :
- loi de 1970 qui limite le placement qu’en cas de danger réel caractérisé,
- loi de 2007 allant dans le même sens et ne prenant pas en compte l’intérêt du devenir de l’enfant et des dispositifs à mettre en place pour son évolution la plus favorable possible
- la dernière loi de 2016 diminue toutefois le pouvoir des parents. Elle recentre sur l’enfant, la nécessité d’un parcours continu et d’une stabilité. Mais le manque de moyens pour la mise en œuvre reste le vrai souci…
La recherche d’un équilibre entre le droit de l’enfant et celui de parents prévaut dans les différentes lois. Argument souvent fallacieux, car que signifie le droit de l’enfant en pleine construction, souvent vulnérable et dépendant de l’adulte ?
En France, en dépit de légères avancées (loi de 2016), l’idéologie consiste à maintenir le lien réel physique entre l’enfant et ses parents et on s’identifie davantage à la souffrance du parent plutôt qu’à celle de l’enfant. Aussi, le placement est parfois tardif, entrecoupé d’allers et retours entre l’enfant et son parent. Cette instabilité fragilise le mineur et l’enferme dans un conflit de loyauté.
Dans cette intention de ne pas couper le lien parent-enfant, des enfants placés sont régulièrement accueillis par des parents toujours aussi défaillants en fin de semaine ou en période scolaire, annihilant ainsi les bienfaits d’une séparation nécessaire. Les visites en présence d’un professionnel manquent de moyens pour une mise en œuvre de conditions adéquates favorisant des moments agréables et sereins entre le mineur et son parent. Le plus souvent, elles se réalisent dans des conditions insupportables : manque de formation du professionnel, de lieux adéquats, absence de plateau technique.
La visée du placement devrait avoir comme caractère essentiel de restaurer le mineur au niveau psychologique, éducatif, relationnel. Or, la plupart du temps, il consiste à envisager son retour en famille dès que cette dernière est jugée stabilisée. Les critères sont souvent subjectifs à défaut d’évaluation complète des mesures engagées. Cela peut se traduire par des retours en famille catastrophiques en dépit de suivis en milieux ouverts, la plupart du temps inefficaces et de courte durée. L’absence de dispositif et d’écoute adéquats dans le cadre du placement et une analyse des pratiques réduite à une part congrue limitent fortement les avancées favorables à l’évolution de l’enfant dans la durée.
En amont du placement, aucune prévention, digne de ce qualificatif, concernant les enfants à risque n’est prise en considération. Cette carence de prévention fait que de nombreux enfants dès leur plus jeune âge ne sont pas dirigés vers des services de pédopsychiatrie. Des signalements tardifs émanent de milieux scolaires quand les dégâts sont parfois irréversibles. Le manque de dispositifs pour les enfants ayant des difficultés scolaires (insuffisance de places, peu ou pas d’AVS, d’infirmières et d’assistantes sociales à temps plein, manque de lieux spécifiques, de places dans des établissements spécialisés) ont aussi des répercussions sur les possibilités des parents à prendre en charge leurs enfants sans « craquer » et peut « pousser » à la maltraitance…
À tout cela s’ajoute, parfois, l’inadaptation des structures. La plupart du temps les enfants sont dirigés vers des MECS (Maisons éducatives à caractère social). Ces établissements, équipés d’un plateau technique – regroupant psychiatres, psychologues – réduit au strict minimum, voire inexistant, disposent de peu d’éducateurs spécialisés, parfois sans exigences de diplôme ou revues à la baisse ! 10 ou 12 mineurs peuvent se retrouver avec un seul professionnel (appel à intérimaires mal formés, arrêts maladie non remplacés…) Des jeunes en grande souffrance morale, déficients, présentant des troubles du comportement ou psychiatriques se côtoient au sein d’un même groupe. Évidemment cela génère de la violence, un climat insécure. Les adultes, lorsqu’ils le peuvent, sont contraints de consacrer beaucoup de temps à la discipline, à la protection à minima des plus fragiles. Bien souvent, les besoins fondamentaux de ces jeunes passent à la trappe. Les plus explosifs, qualifiés d’« incasables », multiplient les ruptures.
Le manque de structures adaptées aux profils des enfants est criant. Que dire des nourrissons en pouponnières qui séjournent de nombreux mois dans ces lieux ? Ils passent entre les mains de nombreux professionnels sans lien pérenne avec un référent stable en dépit des soins et de l’attention accordés à l’enfant.
Enfin, n’ayant pas d’obligation, tous les départements ne mettent pas en place un dispositif d’accompagnement jeunes majeurs (contrats jeunes majeurs), dispositif qui réduirait l’errance de nombreux jeunes qui se retrouvent du jour au lendemain sans protection aucune dès leurs 18 ans.
Ces sorties « sèches » des mineurs du dispositif de la protection de l’Enfance sont lourdes de conséquences pour ces derniers.
Sorte de couvercles pour contenir la colère des travailleurs sociaux du secteur, les trois axes minimalistes de réflexion du Gouvernement :
- Améliorer le parcours de périnatalité des parents
Du 4e mois de grossesse et après la naissance, la Protection Maternelle et infantile (PMI) doit s’impliquer. L’UFAL se pose, légitimement, la question des moyens supplémentaires pour ces orientations faisant déjà parties du Plan Pauvreté paru à l’automne.
- Mobiliser contre les violences faites aux enfants
Le « 119 », existant depuis mars 1997, est trop peu utilisé. Et donc, concrètement, on fait quoi ?
- Renforcer les prérogatives de l’ASE
Le reportage de France 3 « enfants placés, les sacrifiés de la République », diffusé le 16 janvier, est accablant : foyers d’accueil surpeuplés, familles d’accueil pouvant être maltraitantes, hébergement de mineurs chez des marchands de sommeil. Mais, devant le Conseil National de la Protection de l’Enfance, la Ministre refuse de débattre, se contentant de la promesse de quelques places en internat. En plus de ces non-mesures annoncées, la compétence sera transférée aux départements. Où vont-ils bien pouvoir dénicher les financements dans un budget déjà raboté par les désengagements successifs de l’État ?
L’UFAL fait l’amer constat de la perpétuation et de l’amplification des mesures anti-sociales. La panne de l’ascenseur social ne fait qu’accentuer les inégalités. Les « sacrifiés de la République » sont de plus en plus nombreux !