La récente parution du livre Les Ogres de Victor Castanet vient de révéler au grand public le scandale des crèches privées lucratives. Après le scandale des EHPAD mis en lumière dans Les fossoyeurs, l’auteur a démontré que les mêmes causes produisent malheureusement les mêmes effets. A l’instar des EHPAD, le secteur des crèches, pourtant financé essentiellement par les Caisses d’Allocations Familiales et les collectivités, a permis à des opérateurs privés à but lucratif de se comporter en véritables prédateurs d’argent public pour générer des profits illégitimes et ce, au détriment de la sécurité des enfants et du bien-être des familles.
L’instauration d’un Service public de la petite enfance (SPPE) devait être l’occasion de mettre fin à ces dérives insupportables. L’UFAL a accueilli avec un certain enthousiasme le projet gouvernemental visant à inscrire le secteur des EAJE (Établissements d’accueil du jeune enfant) dans le cadre d’un véritable service public de nouvelle génération. Notre mouvement a ainsi réalisé fin 2022 une contribution complète et détaillée afin de peser dans le débat public. Cette contribution de l’UFAL, tout en dessinant les contours du futur SPPE, réaffirme notre attachement à la mission des CAF qui assurent, partout en France, une mission essentielle de financement de l’activité des crèches et d’accompagnement des collectivités dans leurs projets d’investissement dans le domaine de la petite enfance.
Malheureusement, la loi portant création du SPPE a déçu les espoirs qu’elle avait pu faire naître. En particulier, le secteur des crèches privées lucratives, composé de micro-crèches PAJE et de structures à but lucratif financées par la Prestation de Service Unique, n’a guère été incité à modifier ses pratiques, à l’origine des scandales pointés par l’ouvrage de Victor Castanet. Il ne s’agit certainement pas de jeter le discrédit sur l’ensemble du secteur de la petite enfance, mais de démontrer une fois encore qu’un service public, surtout dans un domaine aussi important pour la vie sociale que l’accueil des jeunes enfants, n’est guère compatible avec la recherche effrénée de profit.
À la suite de la parution du livre, six municipalités de gauche ont récemment plaidé au Sénat pour une réforme structurelle du financement des crèches. Cependant, en dépit de leurs intentions louables, les six municipalités ont conclu à la nécessité de mettre fin au financement par les CAF du secteur de la petite enfance. Partant du postulat que le mode de financement actuel de l’activité des crèches, à savoir la Prestation de Service Unique (PSU), était devenu inadapté, les promoteurs de cette initiative en appellent désormais à placer le financement des EAJE dans le giron du budget de l’Éducation nationale.
L’UFAL est fortement interpellée par cette initiative qui viserait à retirer aux CAF leurs attributions, pourtant essentielles et reconnues, en matière de financement du secteur de la petite enfance de notre pays. Notre mouvement réaffirme tout son attachement aux missions de Sécurité sociale exercées par les CAF, et rappelle que ces dernières sont des opérateurs de service public modernes, efficaces et disposant d’une expertise inégalée dans le domaine de la petite enfance, de l’enfance et de la jeunesse. En outre, le financement des équipements sociaux par les CAF repose sur un principe de démocratie sociale situé au plus près des besoins des populations, ce qui l’immunise contre l’arbitraire de décisions bureaucratiques prises dans l’opacité des cabinets ministériels. À l’inverse, un basculement du financement des crèches dans le budget de l’État aurait pour conséquence de soumettre le financement des EAJE aux aléas des arbitrages budgétaires, a fortiori dans un contexte de crise des finances publiques.
Pour autant, l’UFAL considère que le constat d’une inadaptation de la PSU aux besoins de financement des EAJE est fondé. La PSU consiste en effet en un financement à l’acte des EAJE sur la base des heures déclarées par les équipements, avec pour corrélat d’inciter certaines structures peu scrupuleuses à démultiplier les heures facturées, tout en comprimant leurs coûts de fonctionnement et leurs effectifs. En outre, depuis plusieurs années, sont venues se greffer à la PSU de nouvelles modalités de financement CAF sous forme de « bonus » divers fondés sur des critères variés et de plus en plus illisibles pour les structures qui les perçoivent, plongeant les acteurs de la petite enfance dans une insécurité juridique et financière patente.
Notre mouvement appelle les pouvoirs publics et le Conseil d’Administration de la CNAF à envisager une remise à plat des critères d’attribution de la PSU par les CAF. Nous invitons les décideurs publics à se saisir de notre contribution sur le SPPE qui pose les termes d’une réorganisation complète du financement des EAJE par les CAF. Au cœur de ce dispositif repensé, il s’agirait notamment d’asseoir le financement des EAJE sur des financements pérennes basés sur une dotation d’équilibre global fondée sur des critères simplifiés.
Le financement rénové serait calculé en fonction du nombre et de la qualification de professionnels de la petite enfance, et non plus en fonction de l’activité des structures. Il en résultera une simplification et une homogénéité du financement CAF sur l’ensemble du territoire. Le financement serait simplifié et intégrerait les bonus divers ; il serait facilement lisible par les communes et homogène sur l’ensemble du territoire. Il prendrait la forme d’un budget global accordé aux établissements, éventuellement majoré de financements variables en fonction des caractéristiques des établissements : accueil d’enfants porteurs de handicap, zones défavorisées, horaires atypiques, financements de projets éducatifs innovants, accueil d’enfants pour des parents en situation d’insertion professionnelle, etc.
Par ailleurs, la branche famille doit maintenir et renforcer sa capacité d’intervention financière décidée au niveau local : subventions de fonctionnement, subventions et prêts pour l’investissement. La sanctuarisation des budgets locaux d’action sociale doit permettre aux Conseils d’Administration des CAF de soutenir financièrement les équipements sociaux. Enfin, les CAF doivent pouvoir, à titre temporaire, assurer une gestion directe d’équipements d’accueil du jeune enfant dès lors que l’offre n’est pas satisfaite sur un territoire jugé prioritaire.
Cette réforme est devenue indispensable et urgente pour mieux réaffirmer le rôle politique des CAF en matière de financement des EAJE et, plus globalement, pour assurer l’égalité de traitement de l’ensemble des familles tout en œuvrant pour l’aménagement des territoires. Mais surtout pour réaffirmer solennellement que la sécurité et le bien-être des enfants ne sauraient être plus longtemps sacrifiés sur l’autel de la recherche effrénée de profits.
L’UFAL se tient à la disposition de l’ensemble décideurs, publics et privés, qui souhaiteraient se saisir de notre contribution pour un Service public de la petite enfance, moderne, efficace et républicain.