Le billet d’ Azar Majedi sur la situation pakistanaise :
Voici quelques semaines j’ai vu deux films courts, l’un était un bulletin d’informations, l’autre un documentaire. Ils n’ont apparemment aucun rapport entre eux. Cependant, ils montrent des vérités sur le soit-disant « monde musulman »
Le premier concerne le retour de Bénazir Bhutto au Pakistan. C’est la première fois qu’un chef de gouvernement pakistanais est présenté tant par le journaliste que par elle-même, comme la première femme musulmane leader d’un pays musulman. La presse internationale a essayé de montrer cela comme une information capitale. Nous avons même dû assister au vol qui la menait son entourage et elle, de Dubaï à Karachi. Nous avons dû vibrer au son de sa voix brisée par l’émotion à l’idée de revoir son pays bien-aimé. Le même journaliste a rappelé que cette femme, première musulmane chef d’Etat, élue et renversée deux fois, s’est rendue coupable de détournement et de blanchiment d’argent et qu’en exil à Dubaï, elle a amassé des millions de dollars, judicieusement dispersés dans des banques internationales.
Bénazir Bhutto a fait une transaction avec le Président Musharraf : lui apporter son aide en tant que leader d’opposition évincé dans la crise politique qu’il traverse, en échange de la récupération de son argent bloqué dans les banques pakistanaises. En pourparlers secrets pendant quelques temps, ils ont finalement conclu cet accord. Musharraf est dans une profonde crise politique. Depuis l’attaque terroriste du 11 septembre, il est devenu de plus en plus proche des Etats-Unis et ceux-ci l’ont grassement remercié pour les services rendus. Les islamistes pakistanais toujours flattés par la puissance, se sont félicités de cette manne récoltée par Musharraf qui avait été auparavant un grand allié des talibans. Les chefs talibans avaient fui le Pakistan après l’attaque militaire occidentale menée par les EU. Les Madrassa islamiques, où les auteurs d’attentat-suicide sont formés et où les Islamistes recrutent leurs victimes, sont un facteur important de la société pakistanaise. Les tensions entre le gouvernement de Musharraf et les Islamistes se sont amplifiées après le siège de la Mosquée Rouge.
Le scénario du retour de Mme Bhutto est classique, c’est même un cliché : tandis que le dictateur militaire est en difficultés, le leader d’une opposition plus modérée, dont l’essentiel de l’activité quand elle était au pouvoir, a été de piller le pays et le peuple, est dépeint comme une héroïne de la démocratie. Les médias internationaux connaissent trop bien cela pour essayer de la vendre comme l’ange de la liberté au peuple qui en est privé, qui est pris entre deux fléaux, une dictature militaire d’un côté, et de l’autre, une dictature islamique. Ce jeu de stratégie politique et médiatique est trop transparent pour ne pas s’en apercevoir. Cependant, ce qui m’a frappée était la façon dont Mme Bhutto a été présentée à plusieurs reprises, comme la première « femme Musulmane leader dans le monde Musulman. » Pourquoi les media l’ont-elle qualifiée ainsi à plusieurs reprises ? Dans quel but ?
Dans un monde sous terrorisme islamique et dans la course au pouvoir par l’Islam politique, trouver « des figures musulmanes modérées » est devenue une stratégie. Le problème a été posé aussi bien par des politiciens, des stratèges, des universitaires que par des extrémistes musulmans, donc, selon eux, la panacée serait les musulmans modérés. Particulièrement s’ils sont féminins, car ils sont plus attrayants. C’est pourquoi nous ne cessons d’entendre que Mme Bhutto est la première femme musulmane leader. C’est à dire qu’elle serait une bonne alternative aux extrémistes. Cependant, on ne peut s’empêcher de poser quelques questions pertinentes. Mme Bhutto a-t-elle fait des changements dans la vie des femmes pakistanaises, quand elle menait le pays ? Son gouvernement a-t-il changé de manière significative les lois islamiques concernant des droits de la femme et les privilèges des hommes ? A-t-elle même essayé de desserrer l’étau des islamistes sur le pouvoir ? A-t-elle même essayé de fermer les madrassa tristement célèbres ? La réponse à toutes ces questions est clairement NON.
Maintenant, laissons là Mme Bhutto et voyons la deuxième histoire.
Au moment où Mme Bhutto était constamment dans les media, j’ai reçu quelques courriers électroniques m’invitant à voir un documentaire. J’étais impatiente, j’ai cliqué sur le lien pour voir la première femme conducteur d’autobus sous le régime islamique iranien. Au fur et à mesure du visionnage, je me sentis de plus en plus enthousiaste et envahie par une profonde joie à voir cette femme courageuse, décidée et confiante dans un pays en proie à l’ Islam.
La première femme que j’ai vue conduire un bus, c’était en 1974 à Paris. Quand je suis montée dans l’autobus et que je me suis rendu compte que le conducteur était une femme, je me souviens que j’étais encore plus excitée que lorsque j’ai vu la Tour Eiffel pour la première fois. Je ne pensais pas que 33 ans plus tard je ressentirai la même chose à propos d’une autre femme chauffeur de bus.
Pour moi, cette femme symbolise le mouvement de résistance des femmes sous loi islamique. Cette femme avec son assurance naturelle, ses mots, son comportement « qui va de soi », sa décontraction devant la caméra, sa façon de décrire son travail, révèle les profondes racines et le phénomène de masse du mouvement de libération des femmes en Iran. Elle règne sur son autobus, elle dicte ses propres lois. Dans cet autobus, les hommes montent par la porte arrière et les femmes par l’avant, contrairement aux lois islamiques en vigueur. Certains hommes restent perplexes de devoir monter par l’arrière mais ils n’osent pas poser de questions. Elle discute même avec les quelques collègues masculins qui la harcèlent en conduisant. Elle admet qu’elle a donné une tape à l’un d’eux. Quand on lui demande pourquoi, elle répond d’une voix calme et naturelle : « Nous sommes des bulldozers qui aplanissons la route pour d’autres femmes. »
Les conversations des passagers sont intéressantes. Les femmes semblent recevoir l’approbation de leur conducteur. Elles espèrent qu’un cas comme celui-là aura un effet positif sur la répartition des rôles dans la société. Quelques hommes semblent perplexes, mais l’atmosphère est si chargée en faveur des droits des femmes, qu’ils essayent d’être prudents dans leurs déclarations. Dans cet autobus, l’offensive des femmes est facilement discernable. Ces 10 minutes de documentaire disent plus sur le mouvement de libération en Iran qu’un livre de 500 pages.
Je dois admettre quand j’ai lu le titre du film que je me représentais au volant du bus, une femme grande et forte. Cette femme a en fait, une allure plutôt fragile et ses lunettes de soleil la font ressembler davantage à un mannequin qu’à un conducteur d’autobus dans un pays gouverné par des misogynes islamistes. A la fin du film, presque naturellement, j’ai comparé ces deux femmes « pionnières » du monde dit « musulman ». L’une appartient à la classe dirigeante, privilégiée, riche, aux moyens énormes, deux fois chef de gouvernement. Qu’a-t-elle fait pour combattre les valeurs islamiques, la misogynie au pouvoir absolu au Pakistan ? Les femmes ont-elles vu la moindre amélioration de leur condition lorsqu’elle détenait le pouvoir ? A-t-elle essayé d’être un bulldozer pour la libération des femmes pakistanaises, ne serait-ce qu’une fois ? NON.
Au pouvoir et en exil, elle a essayé d’apaiser les islamistes. Et la première femme chauffeur de bus en Iran ? Uniquement par le simple choix de son activité, elle défie le système entier des valeurs dirigeant cette société. Elle donne des électrochocs à des milliers d’hommes et des femmes chaque jour. Quiconque monte dans ce bus, une fois l’effet de surprise passé, s’interroge sur les rôles des hommes et des femmes dans la société. Quand ils arrivent à la maison sans encombre, ils réfléchissent sûrement à deux fois avant d’appeler une femme « la faible » (terme par lequel les hommes traditionnels qualifient couramment les femmes).
Je crois que nous devrions appeler cet autobus, l’autobus de la liberté. Une demi-heure de voyage dans cet autobus donne à chacun plus de nourriture pour la pensée que des heures de meeting sur la libération des femmes. Son existence est une déclaration contre les valeurs machistes traditionnelles et l’Islam. Cette femme est dans son essence même, un leader du mouvement de libération des femmes, un bulldozer qui aplanit le sol pour les femmes qui osent de nouveaux défis, brisent les murs, traversent de nouvelles frontières. Vive la Libération des Femmes !