En avril dernier, le Conseil Européen a adopté un rapport invitant les Etats membres à dépénaliser l’avortement – si ce n’était pas encore fait – et à en garantir les conditions d’accès. S’il s’agit là d’une grande victoire pour le camp féministe, plusieurs autres évènements en France et en Europe doivent néanmoins nous amener à rester vigilants.
Cet hiver, la Cour de cassation a accepté que soit inscrit dans un registre d’Etat civil un fœtus et cela quelque soit son stade de développement. Cette nouvelle offensive de l’extrême droite catholique est un premier pas vers la reconnaissance de statut juridique de « personne » à l’embryon pouvant déboucher sur une remise en cause pure et simple du droit à l’avortement.
En France, la nouvelle loi contre les discriminations rend désormais possible l’enseignement non mixte à l’école. Régression de taille puisque la non mixité, facteur contribuant à la méconnaissance des sexes, ne peut avoir pour conséquence que de faire perdurer les préjugés sexistes.
Le récent jugement du tribunal de Lille qui a annulé un mariage pour cause de non virginité de l’épouse traduit bien le retour à cette mentalité rétrograde. La mariée avait menti. Mais, dans une telle situation, qui ne mentirait pas pour échapper au poids des traditions patriarcales ? Le jugement de Lille est donc catastrophique à plusieurs niveaux. D’abord parce qu’un tribunal républicain, censé garantir l’égalité républicaine et donc l’égalité des sexes, a décidé que la virginité d’une femme pouvait être une « qualité essentielle » du mariage. On peut se demander quel aurait été le jugement si c’était l’homme qui n’était plus vierge. Le mariage aurait-il été annulé ? Le ridicule de la situation aidant, on n’ose le croire. Au final, le jugement de Lille ne peut qu’accentuer la pression sur les femmes musulmanes afin qu’elles restent vierges jusqu’au mariage.
Mais il y a plus inquiétant encore. A la façon d’un Nicolas Sarkozy qui compte sur plus de « spiritualité » pour résoudre la crise des banlieues, les décideurs européens font désormais appel aux religions pour résoudre les problèmes actuels. Dans le cadre de la préservation de l’environnement, le président de la Commission Européenne, José Manuel Barroso, vient de recevoir les chefs religieux de l’Europe. En effet, Barroso souhaite que les religions interviennent pour protéger la planète. Janez Janša, président du Conseil de l’Europe qui était présent lors de cette rencontre, a insisté sur le fait que l’environnement présentait une « dimension sacrée » commune aux trois monothéismes. Entendons nous bien. Qu’on encourage des religieux à se servir de leur aura pour faire passer des messages responsables auprès de la communauté des croyants n’est pas choquante en soi. Mais qu’on le fasse en lieu et place de tout projet politique crédible et en faisant appel au « sacré » est à proprement parler scandaleux. Si le premier argument avancé pour défendre une cause ne relève plus d’un intérêt commun à tous mais d’un caractère « sacré », où va-t-on ? Imagine-t-on seulement la teneur des futurs débats sur l’euthanasie et l’avortement ?
Lors de cette rencontre mêlant politiques et religieux, la place de l’islam en Europe a également été abordée. Il a notamment été question de « dialogue interculturel » et de « respect mutuel » pour « rapprocher les gens » et « préserver la paix ». Qu’en est-il exactement ? On peut en effet s’interroger sur le sens de ces déclarations à priori pleines de bonnes intentions mais qui pourraient nous faire très vite déchanter. S’agit-il là de lutter efficacement contre le racisme envers les musulmans qui devient effectivement préoccupant – en témoigne le récent clip de Geert Wilders – et qui doit être combattu au même titre que toute autre forme de racisme ? Ou s’agit-il de ces fameux « accommodements raisonnables » qui au nom du « respect de la culture de l’autre » ouvrent grand la porte au relativisme culturel et cèdent face aux revendications fondamentalistes les plus rétrogrades ?
Plus que jamais l’Europe est le théâtre de l’affrontement de deux modèles. L’un communautariste et religieux. L’autre universaliste et laïque. Face à l’offensive des communautaristes de gauche comme de droite, il ne faut pas se laisser tenter par une alliance avec un communautarisme pour lutter contre l’autre communautarisme sous prétexte que l’un des deux serait potentiellement plus dangereux que l’autre. Toute alliance de ce type décrédibilise le combat laïque et antiraciste à un point où il sera difficile de faire marche arrière. Tout au contraire, il ne faut accepter aucun compromis et mener de front à la fois le combat laïque, féministe et antiraciste. En réalité, ces trois combats ne font qu’un puisqu’ils convergent vers une même universalité des droits.
En février 2007, les premières rencontres internationales laïques de Montreuil s’étaient conclues avec la création d’un Bureau Laïque International (BLI). Aujourd’hui, le secteur féminisme et laïcité de l’UFAL se renforce avec mon arrivée et celle d’Horria Saïhi, journaliste et réalisatrice algérienne. Il convient de poursuivre le travail amorcé par Jocelyne Clarke et Bernard Teper en internationalisant notre combat universaliste. D’abord en Europe pour créer demain les conditions d’un vrai rapport de forces et ainsi peser sur les institutions. Mais également dans le reste du monde notamment les pays musulmans en pleine ébullition intellectuelle. Les esprits libres de ces pays doivent être soutenus pour faire en sorte que nos idées y progressent. C’est seulement à cette condition que naîtront les démocraties sécularisées de demain et que n’apporteront jamais les guerres de civilisation menées par Bush et consort.