Quand le cléricalisme viole la Constitution…
Selon LE FIGARO (31/10/2015), une expérimentation mise en place dès la rentrée 2016 dans certains lycées doit conduire à proposer des cours de religion aux élèves de confession musulmane dans les écoles d’Alsace-Moselle. « Piste sérieusement envisagée par les représentants des cultes locaux, sous l’œil encourageant de la préfecture du Bas-Rhin, désireuse de relancer, dans la foulée des attentats de janvier, « le dialogue interreligieux » » (sic).
Un archaïsme qui viole la liberté de conscience… et tombe en désuétude !
Rappelons que dans les trois départements sinistrés (par les deux occupations allemandes et le cléricalisme) du Haut-Rhin, du Bas-Rhin, et de la Moselle, s’applique toujours le régime des « quatre cultes reconnus », dit « concordataire », auquel la loi de 1905 avait mis fin dans le reste de la France. Il se limite au catholicisme, à deux cultes protestants et au judaïsme. L’UFAL demande, bien sûr, avec le Collectif laïque, qu’il soit mis fin à cette violation permanente de la liberté de conscience.
De surcroît, la loi ultra-cléricale « Falloux » du 15 mars 1850 (allez les jeunes !) y est toujours en vigueur : elle impose un enseignement religieux à l’école, intégré dans les programmes scolaires, qui sont amputés d’une heure à cet effet ! (Articles L481-1 et D481-2 du code de l’éducation).
Or, malgré son caractère obligatoire, ce catéchisme « quad-core » est de moins en moins suivi, spécialement au lycée. Voilà entre parenthèses qui fait litière du prétendu « attachement des populations » au statut local des cultes ! Le très prudent Observatoire gouvernemental de la laïcité lui-même (avis du 15 mai 2015) préconise de le rendre facultatif et de restituer à l’enseignement scolaire l’heure perdue. Selon les chiffres de cet organisme, « en 2010, si 63% des élèves suivaient l’enseignement religieux à l’école primaire, ils n’étaient plus que 30% au collège et 14% au lycée ».
S’il s’agit de sauver de la ruine cet héritage d’un passé réactionnaire en l’étendant au culte musulman, c’est au moins mal vu de l’expérimenter dans les lycées, où plus de 85% des élèves n’en veulent pas ! Mais ce n’est pas le pire.
Le dialogue interreligieux (exclusivement monothéiste), alibi du cléricalisme
Toujours selon Le Figaro, les responsables des cultes catholiques et protestants travaillent sur un programme « d’éveil culturel et religieux à toutes les grandes religions monothéistes », destiné aux élèves qui le voudront, « sans distinction de religion ». Façon de s’approprier, sans doute, le gâteau des heures rémunérées (par tous les Français…) –même s’il est douteux que les musulmans acceptent de se trouver à la remorque des « gens du livre ».
Questions pièges : et les Juifs ? Et que vont dire les évangéliques, ces monothéistes oubliés du statut local, mais de plus en plus nombreux ? Surtout, pourquoi seulement l’islam ? Et en vertu de quoi les seuls « grands monothéismes » ? Les bouddhistes, hindouistes, scientologues, animistes, etc. seront toujours incontestablement discriminés (sans compter nos amis pastafaristes ((Adorateurs d’un « spaghetti volant monstrueux », reconnus comme religion dans certains Etats des USA.)) ). Démonstration par l’absurde que l’égalité entre les cultes est irréalisable, car elle obligerait à les reconnaître TOUS, et ils sont par définition indénombrables. La seule solution logique est laïque : n’en reconnaître AUCUN !
Que cache donc cette mode du « dialogue interreligieux », en réalité strictement limité aux monothéismes (exactement comme l’enseignement du « fait religieux » à l’école) ? Que la préfecture (selon Le Figaro) le situe « dans la foulée des attentats de janvier » est simplement une abominable insulte aux victimes, toutes tombées pour la liberté de conscience, aucune pour le « dialogue interreligieux » ! C’est qu’en réalité, tout est bon pour relancer un cléricalisme en perte de vitesse… et sauver un « statut local » trop manifestement contraire à la liberté de conscience et discriminant envers les cultes non reconnus : il risque chaque jour de se voir contesté, avec des chances de succès, devant la Cour européenne des droits de l’homme. On essaye de faire taire les musulmans ?
La Constitution ne permet pas une extension du statut local
Hélas pour les promoteurs du néo-cléricalisme, le statut local ne peut être ouvert à un « culte du 5ème type ». Ainsi en a décidé le Conseil constitutionnel ((Décision n° 2011−157 QPC du 05 août 2011 Société Somodia)). On ne résiste pas au plaisir (pour une fois) de le citer :
« Considérant (…) qu’à défaut de leur abrogation ou de leur harmonisation avec le droit commun, ces dispositions particulières [aux départements du Bas−Rhin, du Haut−Rhin et de la Moselle]ne peuvent être aménagées que dans la mesure où les différences de traitement qui en résultent ne sont pas accrues et que leur champ d’application n’est pas élargi ; (…) »
Et, tenez-vous bien, il s’agit d’un « principe fondamental reconnu par les lois de la République », donc à valeur quasi-constitutionnelle, supérieure à la loi !
Résumons : tant qu’on n’y touche pas, le statut local reste en vigueur. Mais si l’on y touche, on ne peut que l’abroger, ou l’harmoniser avec le « droit commun » -en l’espèce, la loi de 1905 et celles sur la laïcité scolaire. Il est interdit d’accroître les différences avec ce droit commun –par exemple en ajoutant un cinquième culte aux quatre reconnus.
Faut-il que la République soit tombée bien bas pour que l’UFAL en vienne à citer des propositions de l’Observatoire gouvernemental de la laïcité et une décision du Conseil constitutionnel ! Décidément, les cléricaux, « ça ose tout, c’est même à ça qu’on les r’connaît » (Michel Audiard, mais il parlait des cons, espèce moins dangereuse et plus répandue…). Le statut d’Alsace-Moselle reste une épine dans le pied de la République, et peut servir encore à tous les mauvais coups : il doit être abrogé sans retard, avec la progressivité et l’esprit de concertation qui s’imposent, mais surtout sans retour !