La directrice d’école que je suis, « lynchée » médiatiquement après avoir refusé, conformément à la décision prise en conseil des maîtres, qu’une mère d’élève accompagne son fils en sortie scolaire, prend enfin la décision de réagir.
Il est grand temps de faire connaître la réalité d’une situation qui donne lieu à des polémiques malsaines et d’ouvrir les yeux à ceux qui se laissent influencer par ce qui circule dans les médias. En effet, partout, on a lu, vu ou entendu les arguments de ces mères qui s’affirment discriminées et on ne se soucie guère de savoir ce qui se passe réellement dans les écoles.
Pourquoi dans mon école refuse-t-on que les enfants soient, non pas accompagnés, mais encadrés lors des sorties scolaires par des personnes portant ostensiblement une tenue ou un signe qui montre leur appartenance religieuse ?
C’est simple : la sortie scolaire, c’est la classe tout comme la classe de neige ou la classe verte. On est à l’extérieur de l’école mais c’est le temps de l’école.
Pour des raisons de sécurité, un enseignant, qui par exemple emmène ses élèves au musée, ne peut sortir seul avec ses élèves. A noter qu’il faut davantage d’accompagnateurs en maternelle qu’en élémentaire et que les maîtres doivent obligatoirement remplir des demandes d’autorisations de sortie qui sont signées par les directeurs, lesquels engagent leur responsabilité. Et c’est pourquoi toutes les attaques visent les directions d’école !
Non, à l’inverse de l’avis rendu par la HALDE le 14 mai 2007, on ne fait pas de « discrimination » quand on refuse qu’une personne aide les maîtres lorsqu’elle porte ostensiblement une tenue ou un signe qui montre son appartenance religieuse.
Je me rappelle de l’émoi ressenti lors d’un communiqué de la FCPE du 8 juin 2007 faisant suite à cet avis : « La HALDE rend leur dignité aux mères d’élèves ».
Non, La HALDE n’a pas rendu leur dignité aux mères d’élèves. Si la dignité consiste à défendre le port du foulard et à l’imposer lors des sorties scolaires, que doivent penser les hommes et les femmes qui se sont battus pour le libre accès à la contraception et Simone Veil pour le droit à l’avortement ?
A la FCPE, on salue la dignité des mères voilées alors qu’on bafoue celle des directrices et directeurs d’école qui ne font que respecter l’éthique laïque. Je doute que les fondateurs de la FCPE, à laquelle j’ai moi-même appartenu pendant des années, eussent pris cette même position !
Quant à l’ancien ministre de l’Education nationale, Xavier Darcos, il rappelait le même jour que «… le choix des parents auxquels il est proposé d’accompagner les sorties scolaires doit se faire sans aucune discrimination ».
Mais de quelle prétendue discrimination s’agit-il ?
Ces parents qui insistent tant ces dernières années pour participer aux sorties scolaires se basent sur cette phrase de la loi du 15 mars 2004 : « La loi ne concerne pas les parents ». Mais on a imprudemment (ou volontairement) omis d’aborder la situation de l’accompagnement des sorties scolaires, autorisant ainsi diverses interprétations.
Certes, les parents peuvent assister aux réunions dans les classes, être élus au conseil d’école, venir à la kermesse ou à la fête de fin d’année en portant des signes ou des tenues qui manifestent ostensiblement leur appartenance religieuse. C’est leur droit et il faut qu’il soit respecté.
Toute autre est la situation de l’encadrement des sorties scolaires. Là, il faut insister, on n’accompagne pas « son enfant » comme il est souvent réclamé, mais on encadre la classe et on aide le maître. Et si la maîtresse fait un malaise, c’est l’accompagnateur qui devra gérer la classe… Et si un enfant a un accident et que le maître doit appeler les secours, c’est encore l’accompagnateur qui devra s’occuper des autres élèves.
Dans la circulaire d’application de cette même loi du 15 mars 2004 il est précisé :
« Les agents contribuant au service public d’éducation, quels que soient leur fonction et leur statut, sont soumis à un strict devoir de neutralité qui leur interdit le port de tout signe d’appartenance religieux, même discret. ».
Evidemment, les parents qui aident à l’encadrement des sorties scolaires ne sont pas des agents du service public d’éducation mais ils y contribuent. Il faut vraiment qu’on admette cette réalité. De plus, l’Etat les couvre en cas d’accident.
Ils ne sont pas dans le cadre privé avec leurs propres enfants mais à l’école publique et, à ce titre, doivent se soumettre à un strict devoir de neutralité. Il n’est pas question de statut mais de fonction.
Et voilà qu’on nous rabâche à chaque fois le coup de la discrimination religieuse, du racisme et de l’islamophobie ! Les maîtres qui refusent la participation des mères voilées, tout comme ils refuseraient des parents montrant des signes de n’importe quelle religion, sont des enseignants de l’école de la République qui en défendent les valeurs. Et le respect de la laïcité en est une. Qui va s’en plaindre ?
Nous ne sommes pas des « laïcards », terme absurde et méprisant. Nous sommes simplement profondément attachés à la laïcité et devons maintenir les élèves à l’abri de toute considération idéologique, politique ou religieuse et préserver l’école de tous conflits relevant de ces préoccupations.
Mais cet attachement à l’école républicaine n’est pas partagé par tous. La FCPE de mon école, dans une lettre adressée au ministre de l’Education Nationale le 29 janvier, accusait la directrice de « pratiques discriminatoires » et « attentatoires à la dignité de la personne ». Ces propos ainsi que la lettre au ministre ont été postés sur le blog d’une mère d’élève élue FCPE livrant ainsi la directrice et ses collègues à une vindicte haineuse. Mais, après une interview donnée dans le Parisien le 5 février par la mère d’élève s’estimant discriminée, on a vu apparaître des commentaires différents et très nombreux ont été ceux en accord avec la position de l’école.
Alors que personne ne s’y attendait, le 3 mars, dans le Parisien, on annonce : « Luc Chatel a tranché. Les mamans musulmanes accompagnatrices pendant les sorties scolaires ne peuvent être voilées. Il le dit dans une lettre aux parents d’élèves d’une école de Pantin qui défendent une mère voilée privée de sortie ».
Dans sa conclusion, il a indiqué :
« … la décision de la directrice, qui est garante du bon fonctionnement du service public, m’apparaît aussi légitime que justifiée ». Et je peux vous dire que cette réponse a été appréciée à l’inverse des commentaires sur certains blogs racistes et xénophobes !
Deux mois sont passés et maintenant, on fait quoi ? Qu’en disent les politiques ? A droite, semble-t-il, on n’est pas si unis que ça sur la défense de la laïcité, en particulier sur l’avis donné par M. Chatel, et je ne reviendrai pas sur les dérives actuelles à ce propos…
On pouvait espérer que la gauche finirait par rompre avec l’angélisme et/ou l’électoralisme qui, soit dit en passant, ne paie pas. Eh bien non, silence total !
Un parti, le NPA se distingue pourtant et soutient ouvertement les mamans en question. Ce fut le cas à Montreuil, récemment, où un collectif « MTE », Mères toutes égales, s’est constitué pour aller manifester le 2 mai contre une école qui a mis cette phrase dans son règlement intérieur :
« Le directeur peut solliciter des parents bénévoles pour accompagner des sorties ou pour participer à des actions éducatives ; les parents volontaires pour accompagner les sorties scolaires doivent respecter dans leur tenue et leurs propos la neutralité de l’école laïque ». Cette phrase, elle devrait être dans tous les règlements !
Les photos que l’on peut voir sur internet et le reportage passé sur France 3 aux infos régionales le soir même montrent ces pauvres mamans scandalisées qui souhaitent rester auprès de leurs enfants pendant les sorties scolaires et qui leur font porter les pancartes car elles ne les ont pas envoyés à l’école ce jour-là en guise de protestation ! « Maman exclues, enfants humiliés ».
Par contre, on n’y a pas vu les hommes (pas sûr qu’il s’agisse uniquement de papas) bien visibles au départ du cortège…
Non, elles ne sont pas des mauvaises mères parce qu’elles portent le voile. Elles sont des mères comme les autres. Elles ne sont pas privées de sorties. Les sorties, c’est pour les élèves, pas pour les mères.
Et qui le soutient ce directeur d’école de Montreuil conspué par d’obscurs collectifs? Pas la municipalité de Montreuil qui a rendu public un communiqué de presse « Pour le respect de l’égalité des droits » dont l’extrait suivant est significatif : « … la modification du règlement intérieur de l’école Paul Lafargue, visant à interdire l’accompagnement de sorties scolaires par certains parents, a été désapprouvée par la municipalité ».
A l’inverse, le député Jean-Pierre Brard défend courageusement depuis des années, envers et contre tous, une stricte application de la laïcité dans les écoles. Ayant écrit à M. Chatel au sujet de cette affaire, il a reçu le 7 avril le même type de réponse que la directrice d’une école de Pantin que je suis.
Et les autres ? Les communistes, les socialistes, le Parti de Gauche, le MRC, les verts ? Ne savent-ils plus que la laïcité et l’école sont indissociables ? De quoi ont-ils peur ? Ne faut-il pas se rappeler que ces valeurs-là sont de gauche et qu’il a fallu tant d’âpres luttes pour en arriver à la loi de 1905 ? Oubliés les combats d’Aristide Briand et de tous les républicains pour faire voter cette loi et enlever les crucifix des classes !
Hélas, du côté du principal syndicat d’enseignants du 1er degré, même frilosité pour ne pas dire désaveu. Après, on s’étonne que Mme Le Pen monte dans les sondages et on le voit bien dans les commentaires laissés sur internet. Courage, fuyons, est-elle la nouvelle devise ?
Dans les écoles, les équipes pédagogiques sont parfois divisées et on se rappelle de ce qui se passait dans le secondaire quand le port de signes d’appartenance religieuse était autorisé dans certains collèges et proscrit dans d’autres. Depuis plusieurs années, dans certaines écoles, on a supprimé de nombreuses sorties scolaires, faute d’accompagnateurs, dans d’autres on évite au maximum de faire appel aux parents.
Malgré toutes ces précautions, certains se présentent sans avoir été sollicités et nous savons que des collègues préfèrent les emmener de peur d’être accusés de discrimination, de racisme ou de je ne sais quelle « islamophobie »…
Il faut vraiment que partout on comprenne qu’il est nécessaire de ne pas laisser perdurer une situation qu’on ne pourrait plus maîtriser par la suite. L’exemple du premier foulard porté par une collégienne à Creil en 1989 doit rester dans les mémoires et servir de leçon.
Après le colloque du 7 mai organisé par le Comité Laïcité République, et pour rendre hommage à Jean Jaurès que les participants ont pu voir à la tribune de l’Assemblée Nationale sur un magnifique tableau daté de 1907, on peut relire avec intérêt son discours de Castres du 30 juillet 1904, publié dans l’Humanité et intitulé « L’enseignement laïque » où il affirme que démocratie et laïcité sont deux termes identiques. Il y rappelait alors, et ce n’est pas Henri Pena-Ruiz qui le contredira, que :
« Dans aucun des actes de la vie civile, politique ou sociale, la démocratie ne fait intervenir, légalement, la question religieuse. Elle respecte, elle assure l’entière et nécessaire liberté de toutes les consciences, de toutes les croyances, de tous les cultes, mais elle ne fait d’aucun dogme la règle et le fondement de la vie sociale ».
« Mais, de même qu’elle a constitué sur des bases laïques l’état civil, le mariage, la propriété, la souveraineté politique, c’est sur des bases laïques que la démocratie doit constituer l’éducation ».
Luc Chatel a eu le courage de se prononcer et d’émettre un avis contraire à ceux de la HALDE et de Xavier Darcos. Dans les écoles, les uns s’appuient sur l’ancien ministre et d’autres sur le ministre actuel.
Je forme le vœu, qu’enfin, un consensus national et républicain, dépassant les clivages politiques, et avec l’assentiment des autorités religieuses, puisse permettre de régler une fois pour toutes, par un texte réglementaire, les conditions de la participation de parents aux sorties scolaires. Il faut garantir la neutralité dûe non seulement aux élèves mais aussi aux parents qui confient leurs enfants à l’école de la République.
Dans la mesure de nos moyens, nous devons tous nous efforcer d’y contribuer.