Le site Le Plus, du Nouvel Observateur, publie une contribution d’un certain Jérôme Perronnet, Directeur général des services de Chanteloup-les-Vignes, ancienne commune d’implantation de la crèche Baby-Loup, soutenant que l’affaire « a affaibli la laïcité ». À lire la prose de son DGS, on comprend mieux l’absence de soutien de la commune à la crèche, contrainte aujourd’hui de s’exiler à Conflans-Sainte-Honorine ! Que l’auteur, présenté bien arbitrairement comme « un spécialiste de la laïcité » (depuis quand ?), conclue, faraud, que « la laïcité vaut bien une messe » donne la mesure de ses intentions : une messe d’enterrement ! Et un beau coup de poignard dans le dos de Baby-Loup.
La laïcité selon Perronnet se limiterait strictement à la loi et à la sphère publique : interdit donc d’en faire un libre choix associatif, comme Baby-Loup. Pire, soutient-il, les « idéologues » de la laïcité voudraient interdire la « visibilité des cultes », voire imposer « l’injonction de ne pas croire ». L’islam serait seul visé dans cette « croisade » qui procède du « choc des civilisations ». Seule solution pour lui : le « multiculturalisme de la société ».
On le voit, l’auteur n’hésite ni à assimiler la laïcité à la caricature qu’en fait le Front National, ni à reprendre l’antienne du « multiculturalisme », présenté comme la solution à « l’intégration » dans les rapports récemment remis sur la question au Premier ministre – et dont celui-ci s’est empressé de se démarquer.
Commençons par faire litière de ce dernier argument. Il est consternant que le DGS de Chanteloup-les-Vignes ne connaisse même pas le projet éducatif de Baby-Loup, subventionnée par la commune. Alors, rappelons-le, citant la Cour d’appel de Paris :
« (…) aux termes de ses statuts, l’association Baby Loup a pour objectif “de développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et d’oeuvrer pour l’insertion sociale et professionnelle des femmes” sans distinction d’opinion politique et confessionnelle » ;
N’est-ce pas exactement « regarder sa pluralité et ses cultures en face », comme le prône notre DGS ? Il serait mieux inspiré de relire ces excellents statuts plutôt que de donner à autrui des leçons d’action sociale aussi pompeuses que démagogiques (« les soutiens de la crèche, tous des privilégiés ! »). Enfonçons le clou, toujours en citant la Cour d’appel de Paris :
« (…) protéger la liberté de pensée, de conscience et de religion à construire pour chaque enfant » (…) « respecter la pluralité des options religieuses des femmes au profit desquelles est mise en oeuvre une insertion sociale et professionnelle aux métiers de la petite enfance, dans un environnement multiconfessionnel » : « ces missions peuvent être accomplies par une entreprise soucieuse d’imposer à son personnel un principe de neutralité pour transcender le multiculturalisme des personnes auxquelles elle s’adresse ; »
Effectivement : soit on « transcende le multiculturalisme » pour construire une société d’individus égaux et émancipés dépassant leur diversité, soit on s’y soumet passivement, déconstruisant le tissu social au profit d’une mosaïque de communautés diverses, et bientôt rivales et hostiles. La société est certes diverse, la République est une et indivisible.
Or la République ne se construit pas seulement pas la loi : elle repose aussi sur la société civile. Que deviendraient « liberté, égalité, fraternité » (conclusion facile de l’auteur) – ajoutons : la laïcité elle-même — sans l’action constante des milliers de citoyens et militants actifs des associations, partis politiques, syndicats ? Bref, que seraient les lois sans les convictions ?
Si la France a fondé l’école laïque en 1882, séparé les églises de l’État en 1905, et est devenue, en 1946, une République laïque, à qui le doit-on, sinon aux générations de Républicains qui, depuis la première Révolution (loi de 1795) en passant par celle de 1848, puis par la Commune, le programme de Belleville, Jules Ferry… ont défendu leurs convictions laïques jusqu’à les faire passer dans la loi ? Renier ses convictions laïques, voilà ce qui « affaiblit la laïcité ».
Et c’est bien ce à quoi voudraient nous inciter les jocrisses du « principe constitutionnel » (exclusif) de laïcité : renoncez à vos convictions, nous nous chargeons de la laïcité, réduite de préférence à sa plus simple expression. Jérôme Perronnet n’a rien inventé : la Ligue de l’Enseignement (oublieuse du « serment de Vincennes » de 1960, belle affirmation de conviction pourtant !) reprend l’antienne, tout comme les milieux catholiques (« la sphère publique, rien que la sphère publique »). Ce qui est particulièrement détestable chez le DGS de Chanteloup, c’est cette remise en cause a posteriori du choix associatif laïque fait par la crèche et accepté par la commune, cette palinodie préélectorale de qui a subventionné Baby-Loup plusieurs années. Haro sur Baby-Loup !
Or, s’il est licite d’avoir des convictions laïques, il l’est tout autant de fonder des associations qui s’en réclament… comme c’est le cas de multiples organismes, clubs, patronages, amicales, etc. depuis au moins un siècle en France ! Comment comprendre sinon que seuls les organismes religieux puissent imposer à leurs salariés une loyauté envers leurs propres convictions ? Une telle incongruité violerait les libertés fondamentales, puisque la Cour européenne des droits de l’homme reconnaît les « convictions laïques » à égalité avec les religions !
L’UFAL est précisément fondée sur de telles convictions, reconnues officiellement comme telles puisque nous siégeons à l’Union nationale des associations familiales, organisme investi de missions de service public, au titre des associations « laïques » (comme d’autres peuvent être catholiques). L’islam ne nous gêne pas particulièrement : ce que nous combattons, c’est la prétention d’imposer partout l’affichage d’une seule conviction, exactement comme nous dénonçons l’intégrisme catholique qui s’est déchaîné à l’occasion du « mariage pour tous », ou contre Christiane Taubira. Traitant à égalité toutes les religions, en bons laïques, nous agissons également contre tous les intégrismes.
La loi de 1905 ne « garantit » que le « libre exercice des cultes », sachant que « la liberté de conscience » (croire, ou non…), première, est « assurée » par la République. La liberté d’expression (ou d’affichage), elle, peut faire l’objet de restrictions, y compris dans l’espace public (art. 9 et 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme) : il doit pouvoir en être de même pour les salariés des organismes qui ont fait le choix « de conviction » de la laïcité.