Audition de l’UFAL, représentée par Charles Arambourou, par l’observatoire de la laïcité du 10 février 2014 dans le cadre du collectif laïque.
L’Union des familles laïques est une association familiale reconnue et membre de l’UNAF, subventionnée par la CAF. En tant que telle, elle a soutenu la loi sur le mariage des personnes de même sexe, et a participé aux travaux préparatoires auprès des ministres, et devant les deux Assemblées parlementaires. Elle a constaté, à cette occasion, que les manifestations, parfois violentes, des opposants à la loi, étaient encouragées et aidées par l’épiscopat catholique. Plus récemment, les manipulations de familles autour d’un prétendu enseignement d’une « théorie du genre » à l’école, ont vu se rejoindre extrémistes catholiques et musulmans. Ainsi, le cléricalisme reste une réalité, qui heurte de front le principe de laïcité et le fonctionnement même de la République. On entend par cléricalisme la volonté d’assujettir l’ensemble de la société aux règles particulières d’un groupe religieux. Bien évidemment, cela ne se confond nullement avec la liberté de croire et d’exercer un culte, que la laïcité protège au même titre que celle de ne pas croire.
Que ce durcissement des actions des lobbys cléricaux et rétrogrades prenne pour cible l’école publique nous inquiète particulièrement. Pour nous, l’école doit rester un espace protégé de tolérance mutuelle, et d’acquisition de l’autonomie par la raison et le savoir : la neutralité religieuse des activités d’enseignement en est la meilleure protection. La question des parents accompagnateurs bénévoles de sortie scolaire ne se pose aujourd’hui que parce que certains entendent en faire un test des limites de la République (selon le rapport Stasi de 2003). S’il n’existe pas de catégorie légale correspondant à ces missions d’exécution même du service public (sorties en piscine, bibliothèque, gymnase), il appartient à la loi seule de la créer. Les limites de la sphère publique doivent être définies très clairement : elles n’admettent pas de zone grise.
Nous réaffirmons à cet égard notre attachement aux principes de la République. Si la sphère de l’autorité publique (personnes et services publics) est assujettie au principe constitutionnel de laïcité, qui oblige notamment à la stricte neutralité religieuse, en revanche l’espace de la société civile est celui des libertés collectives et individuelles, qui s’exercent sous réserve de l’ordre public déterminé par la loi, et du respect des libertés d’autrui. Parmi ces libertés figure la liberté de religion et de conviction, qui peut donc avoir une expression publique. Cet espace ne doit pas être réduit à la sphère intime, domaine privé et individuel de la liberté de penser, de la foi ou de l’incroyance personnelle – véritable « troisième espace ».
L’UFAL dénonce ainsi deux dérives opposées de la laïcité : l’ultra-laïcisme, qui prétend étendre à l’espace civil l’obligation de neutralité religieuse, et la laïcité adjectivée (ouverte, positive, d’inclusion, etc.), qui consiste à chercher des « accommodements raisonnables » avec les seuls représentants des cultes. Non, la loi française n’interdit pas le port du voile islamique : il est d’ailleurs regrettable que les medias colportent l’inverse. Mais elle n’autorise pas non plus à réduire la liberté de conscience, assurée par la loi de 1905, à la seule liberté de religion. Je vise ainsi le « Guide de la gestion du fait religieux dans l’entreprise privée » édité par votre Observatoire, qui confond à plusieurs reprises la liberté de manifester sa religion (qui doit d’ailleurs être distinguée de la liberté de croyance) et la liberté de conscience.
Or la liberté de conscience est celle de « croire ou de ne pas croire ». Assurée par l’art 1er de la loi de 1905, elle est protégée par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme.
La Cour européenne des droits de l’homme a souligné à plusieurs reprises que la « liberté de pensée, de conscience, de religion » de l’article 9 était aussi un « bien précieux pour les athées, les incroyants, et les indifférents », définissant une « liberté négative » (ne pas croire ou refuser d’afficher sa croyance). Mieux, la Cour de Strasbourg a reconnu que les partisans de la laïcité exprimaient des « convictions au sens de l’article 9 de la Convention » — article applicable en droit français, avec une valeur supérieure à la loi.
Voilà qui nous ramène à l’actualité, notamment aux suites de l’affaire Baby-Loup. La Cour d’appel de Paris a en effet tracé une issue cohérente, qui consiste à reconnaître à cette association, qui se réclame de la neutralité et de la laïcité, le droit d’exiger de ses salariés la neutralité religieuse. Il s’agirait d’une « exigence professionnelle essentielle et déterminante » (à « objet légitime » et « exigence proportionnée »), autorisant des « différences de traitement » en matière d’emploi et de travail, fondées notamment sur « la religion ou les convictions ». Tels sont les termes de la directive européenne n° 2000/78 CE, transposée en droit français par la loi du 27 mai 2008 : « la religion ou les convictions ».
Or on lit avec stupeur dans l’avis du 15 octobre 2013 de votre Observatoire que vous contestez « la reconnaissance d’une “tendance laïque” dans un organisme privé dans son principe même au nom de la laïcité, principe supérieur et non simple opinion. ». Cette dernière assertion paraît méconnaître la jurisprudence de la CEDH sur les convictions laïques. Plus précisément, l’Observatoire a absolument raison dans la sphère publique, domaine du « principe de laïcité », mais absolument tort dans l’espace de la société civile, où s’exerce la liberté de conviction – y compris laïque –, protégée au même titre que la liberté de religion.
Cette confusion entre deux espaces et deux régimes juridiques se retrouve malheureusement dans la codification qui a suivi la loi française précitée du 27 mai 2008. Ainsi, à l’art. L.1132-1 du Code du travail, définissant les discriminations interdites, les mots « religion ou conviction » de la directive et de la loi française de transposition ont été remplacés par « convictions religieuses ». Voilà qui exclut toute autre forme de conviction, et contrevient gravement à la liberté de conscience. Seules les « opinions politiques » et les « activités syndicales ou mutualistes » sont protégées. Cette même trahison de la loi de transposition se retrouve d’ailleurs dans le Code pénal, à l’art. 225-1 pénalisant les discriminations. Une telle anomalie est-elle acceptable ? Se peut-il qu’en violation du principe de liberté de conscience et de l’art. 9 de la Convention européenne, les convictions non-religieuses, par exemple laïques, ne soient pas reconnues et protégées à égalité avec les croyances ?
Au-delà de l’affaire Baby-Loup, voilà, selon l’UFAL, le véritable scandale qui appelle l’intervention du législateur : remettre nos codes en accord avec le droit européen et la loi française de transposition. Il est plus que temps, au bout de 5 ans, d’appliquer enfin correctement la loi française de transposition du 27 mai 2008, et, 108 ans après la loi de 1905, de protéger les convictions non-religieuses, conformément à la « liberté de conscience ».
Je voudrais pour terminer rappeler notre attachement à une sortie progressive et concertée des régimes des cultes dérogatoires à la loi de 1905, notamment l’Alsace-Moselle. Une note détaillée vous a été remise à ce sujet. Évidemment, ce dossier n’est pas séparable de notre souci que soit donnée valeur constitutionnelle aux principes du titre 1er de la loi de 1905 : liberté de conscience, impliquant le libre exercice des cultes ; séparation interdisant la reconnaissance, le subventionnement ou le salariat des cultes. J’insiste enfin, après Martine Cerf, sur l’enjeu de la laïcité dans les collectivités locales, où l’interdiction de subventionnement est largement remise en cause.
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