L’Eglise catholique prend le risque de la reprise du culte : retour à ses privilèges distinctifs ?
Y aurait-il une religion plus religieuse que les autres ? Un culte qui, au nom de ses conditions particulières d’exercice, prétendrait à un traitement privilégié ? Dans une République laïque, une telle incongruité devrait se heurter au principe d’égalité et à son corollaire, celui de laïcité. C’est pourtant ce que vient d’obtenir pour elle-même l’Eglise catholique, en s’affranchissant des restrictions de santé publique acceptées par tous les autres cultes. Mieux : sans avoir à le demander officiellement.
Acte 1 : le Président de la République reçoit « les principaux cultes » (entendons : ceux qu’il reconnaît tels, selon une logique quasi-concordataire) en audioconférence((De mauvaises langues ont prétendu qu’une (et une seule) association laïque aurait, par sa (très marginale) participation, été manipulée (ainsi d’ailleurs que les Obédiences maçonniques), pour couvrir du manteau « interconvictionnel » ces conférences. Sans doute une grossière calomnie, dont les laïques sincères qu’elle vise ne manqueront pas de faire litière par leur refus de participer à la manœuvre présidentielle.)) les 23 mars et 21 avril. « La laïcité ne fait pas obstacle » (comme on dit) à ce que les pouvoirs publics entendent les responsables des cultes lorsque des mesures de restriction des déplacements et rassemblements doivent être prises dans l’intérêt général de la lutte contre une pandémie. Protestants, évangéliques, musulmans, juifs, bouddhistes, orthodoxes, prennent acte sagement de ce que les cérémonies religieuses ne reprendront que le 2 juin ; le plus fort, c’est que l’Eglise catholique évite alors de se différencier trop ostensiblement des autres « autorités religieuses » consultées. Mais « en même temps », elle déploie (et fait déployer) une intense campagne pour que les messes de la Pentecôte puissent être célébrées le 31 mai.
Acte 2 : le décret du 11 mai 2020 pris pour l’application de l’état d’urgence sanitaire interdit tout exercice du culte dans un lieu public, de façon « générale et absolue ». Restriction certes à la liberté de culte garantie par la loi de 1905, mais très légitimement justifiée par des considérations d’ordre public. AUCUNE des autorités religieuses ne conteste devant un juge la légalité de cette mesure, MEME PAS l’Eglise catholique. Pourtant, celle-ci en a la compétence en vertu de la même loi de 1905 (ses associations diocésaines sont considérées comme des associations cultuelles prévues par la loi).
Acte 3 : divine surprise, dans le silence des autorités de l’Eglise, le Conseil d’Etat est saisi en référé-liberté pour atteinte à la liberté de culte par… des particuliers (inspirés sans doute par le Saint-Esprit), ainsi que plusieurs organismes des courants catholiques intégristes, traditionalistes, voire antirépublicains. Evidemment, le 18 mai, la Haute Juridiction ne peut que retoquer une disposition aussi mal rédigée (c’est trop bête !), en enjoignant au Gouvernement de renoncer à interdire tout exercice du culte, et de préciser les conditions dans lesquelles celui-ci pourrait être repris.
Acte 4 : miracle, le Gouvernement était justement en pourparlers depuis plusieurs jours avec la Conférence des Evêques de France sur les conditions de la reprise des célébrations religieuses. Il ne lui reste donc plus, après consultation des autorités religieuses par le ministre de l’intérieur, qu’à publier fissa (dans la nuit du 22 au 23 mai) la version bis de son décret, autorisant les cérémonies cultuelles sous certaines conditions.
Victoire pour la liberté de culte ? Vous n’y êtes pas ! Le Grand Rabbin de France maintient la fermeture des synagogues ; le CFCM (culte musulman) met en garde contre la réouverture précoce des mosquées ; les protestants s’en tiennent au calendrier initialement prévu, et les évangéliques appellent à la plus stricte prudence, compte tenu des risques particuliers auxquels exposent leurs pratiques cultuelles. Seule gagnante : l’Eglise catholique. Elle aura sa Pentecôte, à deux jours près. Et tant pis pour les risques sanitaires. Chapeau l’artiste : le tout en se parant du manteau de la liberté de culte, et sans se mouiller dans un contentieux juridique avec le Gouvernement !
Contentieux qui eût été fort mal venu, puisque, dès le 4 mai, Edouard Philippe s’était publiquement dit prêt à « étudier la possibilité que les offices religieux puissent reprendre à partir du 29 mai » -date fétiche pour la seule Eglise catholique : le cléricalisme préfère le lobbysme discret au contentieux tapageur. Et pourtant, de son côté, le Président de la République, peu suspect de « laïcisme » et d’anticatholicisme, avait indiqué fermement à plusieurs reprises que les cultes ne pourraient être célébrés avant le mois de juin… Allez comprendre…
Il reste que les laïques, attachés au respect du libre exercice des cultes (pourvu que soit assurée la liberté de conscience), peuvent à juste titre se préoccuper des risques sanitaires que nos concitoyens catholiques pratiquants (4% de la population française) encourent, et font encourir à leur prochain. Le principal de ces risques, à supposer les gestes barrières, le port du masque et la distanciation physique parfaitement respectés, vient incontestablement de la communion. Car il faut bien que le célébrant tende une hostie au communiant, qui la porte immédiatement à sa bouche –pour s’en tenir à l’espèce du pain. Elle reste donc une pratique dangereuse, du fait l’absorption de substances éventuellement contaminées. Révérence gardée, chacun a en tête l’ingestion de la viande de pangolin, initiatrice supposée de la pandémie.
En bonne logique la communion « physique » devrait donc être, pour le moment, exclue : or le décret remanié dispose au contraire que le masque peut être « momentanément retiré pour l’accomplissement des rites qui le nécessitent ». Donc, malgré tous les avis scientifiques et médicaux, le Gouvernement accepte que les pratiquants soient exposés –et exposent leur entourage- à la contamination par voie orale. Il n’est pas sûr que la croyance en la transsubstantiation((Dogme catholique depuis le concile de Trente [1545-1563])), selon laquelle l’hostie est réellement (et non symboliquement) le corps du Christ, puisse être considérée comme une garantie suffisante d’asepsie, du point de vue bassement profane de la santé publique. Les autorités de la République sont-elles si pressées d’accorder à l’Eglise catholique des privilèges distinctifs qu’elles aient perdu de vue la protection sanitaire des populations ?