L’invention de la liberté de conscience ou l’entrée dans la modernité, ouvrage collectif présenté par Gérard DELFAU (L’Harmattan, 2017)
On ne présente plus notre ami Gérard DELFAU, universitaire et ancien sénateur, militant infatigable de la laïcité et directeur de la collection Débats Laïques à L’Harmattan. Nous avions rendu compte de son dernier ouvrage La laïcité, défi du XXIème siècle : le voici qui récidive, cette fois à la tête d’une équipe pluridisciplinaire, pluri-convictionnelle, ou mieux pluriculturelle – car tous partagent des convictions laïques. Et de surcroît, en creusant le concept clé de la laïcité : la liberté de conscience. Voilà qui vole bien au-dessus des pitoyables querelles déclenchées par les ennemis de la laïcité – c’est-à-dire de la République –, fussent-ils déguisés en « universitaires » comme à Lyon 2.
Outre l’excellente et remarquablement claire synthèse de Gérard DELFAU, sur « l’invention de la liberté de conscience », on trouve des textes de cinq autres contributeurs, évidemment choisis pour la diversité de leurs horizons d’origine. André GOUNELLE, ancien professeur de théologie protestante, développe : « Réforme, pensée libre et protestantisme », un volet essentiel dans l’histoire du concept, que l’on oublie trop souvent. Il montre notamment comment le protestantisme, dépassant la simple « liberté de religion » (qui limite toujours la vision anglo-saxonne de la séparation), entre résolument dans l’ère de la modernité dès le XVIIIème siècle. Sans négliger les autres contributions, c’est nettement l’apport le plus nouveau (notamment parce que le protestantisme est trop largement méconnu).
Jacques HAAB, un de nos amis de l’association CEDEC (« Chrétiens pour une Eglise dégagée de l’école confessionnelle », excusez du peu !), fait le bilan, souvent sévère, des aggiornamentos et reculs successifs de l’Eglise catholique en matière de liberté de conscience –dont la hiérarchie freine le développement, et à laquelle l’école confessionnelle (principal souci de l’épiscopat en France) ne contribue certes pas !
Thierry MESNY, universitaire, est membre de l’ADLPF (Association des Libres Penseurs de France), à ne pas confondre avec la FNLP (Fédération nationale de la Libre Pensée), dont elle s’est dégagée par refus du sectarisme. Il développe la « conception plébéienne et militante de la liberté de conscience » propre à la Libre Pensée. Autre rappel indispensable et enrichissant de l’ADLPF, alors que la FNLP nous offre trop souvent la caricature d’une « libre pensée-unique » (à bas la calotte catholique, mais touche pas à mon imam !).
Didier MOLINES, Franc-Maçon, montre « l’émergence de la liberté absolue de conscience dans la franc-maçonnerie adogmatique » – c’est-à-dire celle qui n’oblige pas ses adeptes à croire en dieu et en l’immortalité de l’âme. Le lien s’impose entre les Constitutions du pasteur Anderson (1723) jetant les bases de la maçonnerie moderne, les Lumières, et le protestantisme. En 1877, grâce au Frère Frédéric Desmons (un autre pasteur !), le Grand Orient est devenu laïque, avant l’école de Jules Ferry et avant la République elle-même : l’influence de ses Loges aura été décisive pour ces deux avancées de la liberté de conscience.
Jacques-Louis PERRIN, professeur de classe préparatoire, étudie « l’émancipation progressive de la tutelle spirituelle, du gallicanisme aux Lumières ». Il rappelle utilement quelques bons auteurs oubliés (dont Jean Bodin, 1529-1596). Quand il évoque Pascal, penseur paradoxal, on se prend à souhaiter que le jansénisme (tour à tour dogmatique et libéral) fasse un jour l’objet d’une étude plus approfondie…
Les sots qui dénoncent une supposée « laïcité punitive » feraient bien d’apprendre l’histoire de la liberté de conscience. Ce livre y contribue : que les militants de la laïcité le lisent aussi ! Il ne prétend pas épuiser définitivement le sujet, bien qu’écrit par des plumes érudites et qualifiées. Mais le mérite essentiel de l’ouvrage, grâce à une écriture plurielle judicieusement organisée, est de nous faire prendre la hauteur et le recul intellectuel indispensables à l’action militante. Grâce à lui, on comprend mieux comment la laïcité n’est pas sortie tout armée du cerveau de quelques « laïcards », mais constitue la résultante du mouvement pluriséculaire d’émancipation des esprits, qui a traversé des courants philosophiques et convictionnels divers, parfois inattendus. Oui, la liberté de conscience est un progrès absolu de l’esprit humain, et toutes ses négations des régressions à combattre.