César et Dieu, de notre ami Michel Seelig, mosellan et néanmoins universitaire, a l’ambition de retracer « deux millénaires de relations entre cultes et pouvoirs ». Vaste programme, mais pari tenu du point de vue de l’historien et du militant laïque.
L’historien, disons-le d’emblée, est irréprochable. Il cite toujours ses sources, et nous propose une bibliographie abondante et riche, dépourvue de parti pris, allant de Jean Baubérot à Catherine Kintzler en passant par Emile Poulat ou Jean-Paul Scott, pour nous en tenir à l’histoire moderne. Mais l’histoire ancienne et médiévale est très utilement traitée, et le lecteur y acquerra bien des connaissances qui font trop souvent défaut, même aux plus cultivés. Le souci d’objectivité n’empêche par l’accent toujours mis sur les problématiques et les débats les plus récents entre spécialistes, discrètement mais systématiquement éclairés par le regard du militant laïque. On émettra juste une petite réserve sur l’allusion un peu rebattue à un passage de l’Evangile (Marc, Matthieu et Luc) dans lequel Jésus, loin de prôner la « séparation », évite simplement un piège des pharisiens (faut-il payer l’impôt aux Romains ?) –mais après tout, c’est l’occasion d’un bon titre !
Michel Seelig fait partie de ces laïques de conviction, attachés à la défense rigoureuse des principes, qui ne cessent de se livrer à la critique rationnelle de toutes les dérives, dénis, et accommodements raisonnables des partisans de la « laïcité adjectivée », ou aujourd’hui « des laïcités » (le pluriel concret ayant pour objet de dissoudre le principe, qui ne s’exprime qu’au singulier). La « tentation concordataire » actuelle (voir notamment « l’organisation du culte musulman » tentée par le pouvoir macronien), à laquelle l’auteur est sans doute particulièrement sensibilisé par ses racines mosellanes, est soulignée et critiquée efficacement.
Ajoutons que l’approche juridique de Michel Seelig est pratiquement sans défaut, et s’entoure de la même rigueur. Un seul petit bémol, page 206 : les arrêts de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 14 mars 2017 sont trop vite présentés. Ils omettent le fait que l’interdiction du voile à l’entreprise ne peut être imposée pour plaire à un client((Ce qui a valu la condamnation de l’entreprise française Micropole par la Cour de cassation)), mais seulement en cas d’affichage par l’entreprise d’une politique générale de neutralité1. De même, l’avis (en fait les « constatations ») du Comité des droits de l’Homme de l’ONU du 10 août 2018 est simplement signalé, le temps n’ayant apparemment pas permis la critique. Mais ce sont là des détails de peu d’importance : tout le reste est d’une rigueur et d’une finesse juridique parfaites. Et puis, ne serait-ce que par pur copinage, on ne peut que dire du bien d’un ouvrage qui cite l’UFAL, et l’auteur du présent compte-rendu…
En résumé, cet ouvrage est indispensable à la réflexion politique, juridique et philosophique sur la laïcité, qu’il vient enrichir de la dimension historique -laquelle ne commence pas en 1789, mais des siècles auparavant ! Voilà qui permettra aux militants laïques de mettre en perspective et leurs analyses, et leurs actions.
- Validation du licenciement prononcé par l’entreprise belge G4S [↩]