La crise politique que vit l’Algérie, présentée sous divers angles, est comme ailleurs, surtout une crise de projet de société.
L’opposition démocratique dans ce pays est d’essence laïque et une large partie de celle-ci assume sans équivoque sa nature et revendique fermement la nécessité de la séparation des deux sphères religieuse et politique. Elle fait face à une alliance entre le courant conservateur détenteur du pouvoir politique et économique ayant mené le pays vers la ruine d’une part, et à un courant islamiste, dont une frange terroriste, particulièrement virulent, détenant une redoutable stratégie, d’ampleur internationale. Cette lutte de visions de la société transparaît dans le combat mené pour l’abrogation de l’inique code de la famille, d’inspiration officiellement religieuse et qui, y compris après son récent remodelage, reste sexiste.
En plus, de la revendication féminine, les démocrates algériens ont posé de manière précise l’impératif laïque comme premier rempart contre toute forme de déni et d’atteinte à l’individu dans ce qu’il a de fondamental et d’universel, son appartenance de genre et sa liberté de pensée, de culte et d’expression. La laïcité apparaît ainsi comme la condition nécessaire, irréductible, pour le fonctionnement démocratique de l’Etat et pour l’instauration d’un Etat de droit.
Pourtant, cet aspect de la crise algérienne a le plus souvent été occulté par l’opinion internationale, privant la lutte laïque des algériens d’échos. Cette opinion s’est faite complice d’un effroyable huis clos, dans lequel la différence de moyens et des méthodes de lutte a été impitoyable pour les démocrates algériens. La société civile a déploré trop de pertes humaines. Condamnée à une amnésie et à une négation de sa lutte et de ses valeurs, elle est aujourd’hui « sidérée ». Les laïques et les féministes algériens tiennent tête sans recul, à leur adversaire idéologique, le plus liberticide qui soit : l’intégrisme. Mais l’insoutenable est la sympathie qu’exprime une partie de l’opinion occidentale, résolument laïque, envers une facette édulcorée de l’islamisme. Ceci est vécu comme un traître coup de couteau dans le dos.
Il est aberrant et extrêmement frustrant de constater de quelle façon Tarik Ramadan et ses semblables sont érigés en chefs de file tirant les sociétés dites « musulmanes » vers la modernité. Doit-on rappeler qu’en Algérie, durant les années soixante-dix, le dévoilement des femmes était largement consommé sans heurts et sans susciter la prétendue « ire » tant redoutée aujourd’hui de la société. A supposer qu’il existe aujourd’hui en Algérie et chez les musulmans, une susceptibilité envers la laïcité et la modernité, elle serait d’abord induite et cultivée par le discours et les idées régressives, passées pour émancipatrices, sous prétexte que la laïcité est incompatible avec l’islam.
N’est ce pas le comble des dénis que de ne pas reconnaître aux musulmans la légitimité de l’aspiration à la laïcité ? N’est-ce pas aberrant et douteux d’être résolument laïque en « Occident » et de nier l’universalité de cette valeur ? La laïcité, vécue, consacrée et à consolider, est l’aspiration de l’humanité toute entière – l’actuelle mobilisation populaire en Turquie est d’ailleurs une belle leçon contre le scepticisme européen. Elle est un fondement de l’organisation politique traditionnelle en Afrique du Nord, elle n’est donc ni nouvelle ni étrangère, encore moins relative ou choquante, pour un algérien. C’est ici un enseignement qui vient rappeler qu’un recentrage sur l’universalité de liberté de conscience est incontournable pour comprendre ce qu’est la lutte pour la laïcité à travers le monde et pour mieux l’appuyer.