Un des grands mérites du rapport Clavreul est, en établissant des clivages pertinents, de contraindre les partisans d’une laïcité édulcorée à se démasquer. Citons-en deux, spécialement virulents((La Ligue de l’Enseignement, plus modérée, nous excusera de l’oublier. Elle se contente de traiter le rapport de « partisan », en reprenant à son compte sans trop d’examen les critiques de J.L. Bianco.)) : la Fédération nationale de la libre-pensée (FNLP), et l’historienne Valentine Zuber. Autrement dit, la voix de leurs maîtres : J. L. Bianco et J. Baubérot.
Quand J.-L Bianco grogne, la FNLP aboie
Nous avions déjà relevé que la FNLP se comportait en supplétif de l’Observatoire de la Laïcité, se chargeant de cogner sauvagement sur ceux que M. Bianco dénonçait poliment. Aurions-nous été trop loin ? Probablement pas, au vu de la réaction de cette organisation au rapport Clavreul.
Dans le style fleuri qui lui est accoutumé, la FNLP traite le rapport de « nullité », et pense spirituel de se gausser : « les Sarrazins sont à nos portes. Au secours, Charles Martel ! ». Ironie balourde qui tombe à plat à la lecture du rapport, mais véritable insulte envers l’ancien responsable de la Délégation interministérielle à la Lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti LGBT (Dilcrah) !
On note en revanche que la FNLP reprend fidèlement (« Comme le note l’Observatoire de la laïcité ») les thèmes d’attaque indiqués par Jean-Louis Bianco (voir encadré ci-après) :
- « le manque de rigueur » : « comment prendre au sérieux des éléments glanés dans 9 départements en France pour en faire une situation générale ? »
- le fait que plusieurs des recommandations de Clavreul seraient « déjà mises en œuvre ».
Cela dit, pour une fois, la FNLP aura trouvé plus insultant qu’elle : l’historienne Valentine Zuber. Dans le magazine protestant Réforme, qu’on a connu mieux inspiré, cette universitaire, disciple de Jean Baubérot, n’hésite pas à titrer : « Le rapport Clavreul met en péril le droit à la liberté de croyance », et à conclure sur « l’idéologie anticléricale portée par ce préfet bien peu laïc [sic] » (faut-il donc, pour être très laïque, être clérical ?), qu’elle taxe de « racisme latent » et de « paternalisme inavoué. »
C’est à cela qu’on voit qu’il y a pire en la matière que J.L. Bianco.
Retour au cléricalisme : la liberté de croyance serait menacée par la laïcité !
L’Observatoire de la Laïcité, et on ne le lui reprochera pas, est de son côté favorable aux chartes de la laïcité, qu’il contribue à rédiger. Il ne pouvait donc s’en prendre à la proposition Clavreul de « conditionner le soutien de l’État (subventions, emplois aidés) au respect de la laïcité » en faisant signer de tels engagements, liant notamment « laïcité et valeurs de la République ».
Or c’est justement sur ce point que l’ODL est dépassé, et par la FNLP, et par V. Zuber, dont on ne sait s’ils partagent le même inspirateur néo-clérical. Selon eux :
- prétendre que la laïcité serait une « valeur républicaine » opposable à tous – et pas seulement aux agents publics – serait contraire à « la neutralité exigée depuis 1905 à l’État en matière de religion ou de conviction particulière » selon VZ, pour qui « cette « laïcité » dogmatique (…) prend des allures de religion politique ». Bonnet d’âne à l’École pratique des Hautes Études (où sévit l’auteure) ! Il suffit d’avoir fait l’école communale pour savoir que « la laïcité n’est pas une opinion((Même s’il existe des opinions laïques, heureusement !)), mais la liberté d’en avoir une » !
- partant, ose écrire Valentine Zuber, les chartes de la laïcité conditionnant l’aide de l’État aux associations « mettent directement en péril le droit de chacun à une pleine et entière liberté de croyance et d’expression » ! Et la FNLP, toute en nuance, d’asséner : « l’obligation d’allégeance à un système politique donné, cela s’appelle une dictature » (pas moins !), brandissant le spectre de… la Restauration qui interdisait de « dire qu’on était pour la République ».
L’ignorance le dispute à la mauvaise foi ! On rappellera simplement que l’incitation n’est en rien une « obligation », et que toute association reste libre de NE PAS défendre les « valeurs de la République », voire de s’y opposer : dans ce cas, qu’elle n’attende pas une aide des pouvoirs publics chargés précisément de la promotion de ces principes ! Soyons libéraux, que diable !
Et corrigeons les assertions dépourvues de logique de Mme Zuber. Si la laïcité est bien « un principe juridico-politique de gouvernement », « un cadre légal garantissant le libre débat », alors elle ne saurait, contrairement à ses dires, être « exigible du seul État et de ses représentants », sous peine de ne pouvoir remplir aucun de ces buts ! Principe de la République, elle n’assure la liberté de conscience qu’autant qu’elle est opposable à tout membre de la société – et que chacun est incité et éduqué à en respecter les règles ! Ce qui était l’un des sujets du rapport – mais, à l’UFAL au moins, nous l’aurons lu !
Charles ARAMBOUROU
QUAND LA MAUVAISE FOI EMPÊCHE LE DÉBAT
L’UFAL n’a pas vocation à défendre un rapport officiel. Cependant, la laïcité est un sujet trop sérieux pour qu’on la laisse polluer par des polémiques dépourvues de bonne foi. Rectifions quelques malhonnêtetés commises à propos du rapport Clavreul par l’ODL mais reprises par nos amis de La Ligue de l’Enseignement.
1) Le reproche de « manque de rigueur méthodologique » (la FNLP renchérit : « de l’impressionnisme gavé à l’air du temps ») est parfaitement infondé. Il s’agit en effet, non d’une enquête sociologique, mais d’un rapport administratif, qui précise d’ailleurs clairement l’ensemble des interlocuteurs consultés et des entretiens recueillis. M. Bianco est bien placé pour savoir que toute inspection générale et tout corps de contrôle ne procèdent pas autrement ! Sinon, que dire du rapport Spinetta sur l’avenir du transport ferroviaire, rédigé dans des conditions identiques ? Au fait, sur quelles enquêtes exhaustives l’Observatoire de la laïcité se fonde-t-il pour minorer en général les problèmes rencontrés par la laïcité ? Sur rien, sauf les rapports des administrations centrales, par définition biaisés !
2) « La méconnaissance d’actions déjà mises en œuvre par les pouvoirs publics » : le rapport ne semble méconnaître rien du tout.
- Contrairement à ce que disent J.L. Bianco et La Ligue, le Plan de formation laïcité et valeurs de la république n’est pas « minoré » : c’est un « outil apprécié » (p. 25) dont la « qualité semble attestée » (p. 37). Mais il ne touche pas tous les publics souhaitables, d’où la préconisation d’un déploiement plus ample (p. 35) : l’ODL, en se contentant d’un rappel quantitatif et satisfait des actions réalisées (avec des chiffres d’ailleurs différents de ceux du CGET((Commissariat général à l’égalité des Territoires, qui assure notamment la maîtrise d’ouvrage du plan national de formation Valeurs de la République et laïcité.)) cités par le rapport) ne répond pas sur le fond.
- La formation aux fonctions de directeur et d’animateur d’éducation populaire (BAFA-BAFD) est certes encadrée par un arrêté du 15 juillet 2015. Le rapport le dit, mais il observe surtout que la référence à la laïcité fait défaut dans le cahier des charges des organismes formateurs. On ne saurait lui faire reproche de cette vigilance ! L’ODL a donc tort de prétendre que « la formation est bel et bien effective ».
- Quant au site internet préconisé www.laicite.gouv.fr proposé, il est bien différent de l’actuel site de l’ODL, à cette même adresse. Il s’agirait d’y intégrer le portail prévu par le rapport Zuccarelli pour les agents publics, mais non réalisé, et de créer plus largement une « plateforme tous publics », d’ailleurs « administrée par l’ODL », recensant toutes les ressources disponibles (et pas seulement les avis de l’Observatoire). Cela n’a donc rien de « surprenant », contrairement à ce que dit La Ligue.
Bref, si l’on veut discuter des préconisations du rapport Clavreul (l’UFAL ne s’en fait pas faute), que ce soit à partir d’un examen honnête et dépourvu de parti-pris politicien. Arrêtons d’entretenir la guéguerre fantasmatique « Bianco/Valls » qui ne fait qu’une victime : la laïcité.