Le 19 juillet dernier, le Collectif laïque, dont l’UFAL est membre actif, a adressé à chacun des parlementaires un courrier, cosigné par un grand nombre d’associations, sur la proposition 46 du président de la République relative à la constitutionnalisation du Titre 1er de la Loi de 1905, mais sur la sortie négociée et progressive du Concordat d’Alsace-Moselle.
Madame, Monsieur,
Parce que nous sommes attachés aux principes de la République, nous avons apprécié que le Président de la République prenne l’engagement de donner une dimension constitutionnelle à la loi de 1905.
Pour autant, reste un motif d’inquiétude qui pourrait devenir un désaccord de fond, lourd de conséquences : l’éventualité de la constitutionnalisation du Concordat d’Alsace-Moselle. Une telle entreprise, par voie législative ou référendaire, comporte de puissants facteurs de division non seulement au sein de la gauche, mais aussi dans tout le pays.
Précisons notre propos. Nous sommes évidemment très favorables à l’engagement pris par le Président de la République d’inscrire dans la Constitution le Titre 1er de la loi de Séparation des Églises et de l’État, et notamment son Article 2. En revanche, nous ne pourrions accepter l’inclusion du statut particulier des cultes en Alsace et en Moselle dans notre loi fondamentale. Comment inscrire dans la Constitution le principe de Séparation et son contraire, l’exception concordataire ? Avec beaucoup de spécialistes, nous pensons qu’une telle décision serait aberrante du point de vue juridique.
Mais notre attitude s’appuie surtout sur de fortes raisons politiques : elle résulte d’un examen lucide de l’état de l’opinion ; elle est issue du principe de liberté de conscience, inscrit dans la loi de 1905 ; elle est fondée sur le caractère d’indivisibilité de la République et sur le refus de toute forme de communautarisme.
Constitutionnaliser le régime dérogatoire de l’Alsace-Moselle serait aller à contresens de l’histoire. Permettez-nous de vous rappeler ces évidences : la loi de Séparation fait désormais consensus national, alors que le statut de l’Alsace-Moselle en matière de religion a été voté dans la douleur en 1924, à « titre provisoire », et n’a jamais depuis obtenu l’adhésion des Français. Où en sommes-nous aujourd’hui, un siècle après 1905 ? Fait significatif, les deux tiers des Français se déclarent athées ou agnostiques, autrement dit non-croyants, selon une récente enquête d’opinion (Le Monde des religions, septembre-octobre 2011). Et, parmi les croyants, seule une infime minorité, intégriste ou traditionaliste, refuse le concept de Séparation.
Enfin un mouvement de sécularisation, analogue au nôtre, parcourt l’ensemble des pays européens. Deux exemples, parmi beaucoup d’autres, illustrent cette évolution : la contribution fiscale volontaire des Allemands pour l’entretien des cultes, dit « impôt de religion », connaît ces dernières années une baisse spectaculaire ; et la Suède, au terme d’un long parcours parlementaire, a décidé en 2000 de supprimer la référence à l’« Église d’État » (Église luthérienne) dans la Constitution, tout en adoptant officiellement le principe de Séparation, à la manière de la loi de 1905. Est-ce le moment pour la France de faire le chemin inverse ?
Très concrètement se trouverait-il une majorité parlementaire pour approuver une révision constitutionnelle qui inscrirait dans notre loi fondamentale que tous les Français, quelles que soient leurs croyances ou convictions, continueront à financer, sur leurs impôts, les salaires et pensions des ministres des quatre cultes reconnus par le Concordat d’Alsace-Moselle ? Une contribution significative, puisqu’elle est évaluée à environ 60 millions d’euros.
Mais replaçons-nous dans la longue durée : ce qui est aujourd’hui « provisoire », depuis une loi de 1924 – le régime dérogatoire des Cultes en Alsace et en Moselle – deviendrait définitif, irrévocable. Les citoyens français seraient contraints, là où les Allemands disposent de la liberté de choix. Dans le pays qui a inventé, en 1905, la « liberté de conscience » et l’a placée sous la sauvegarde de la République, une forme d’« impôt de religion » s’appliquerait à tous et pour toujours. Une régression inimaginable !
Nous bénéficions depuis longtemps de la paix civile : les croyants de toutes confessions, les athées et les agnostiques, les libres penseurs et les indifférents vivent côte à côte et dans une harmonie que beaucoup de nations nous envient. À l’inverse, l’Angleterre, l’Irlande, les Pays-Bas, entre autres, sont déchirés par des affrontements, parfois sanglants, entre communautés religieuses. Quel gouvernement pourrait prendre la responsabilité de mettre en péril cet acquis de la République ?
Enfin, la constitutionnalisation du Concordat ouvrirait un autre front et ferait courir le risque d’une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme. En effet, comme vous le savez, l’islam, pour des raisons historiques, ne fait pas partie des quatre cultes reconnus (catholique, luthérien, réformé, israélite) et, malgré une réelle implantation, il ne jouit pas des mêmes prérogatives.
Dès lors, la majorité parlementaire qui s’engagerait dans la constitutionnalisation du Concordat est-elle prête à étendre ce régime dérogatoire à l’islam au nom de l’équité ? Le ferait-elle, qu’elle susciterait immanquablement une flambée de xénophobie et de racisme, dont les premières victimes seraient nos concitoyens de confession ou de culture musulmane. Un certain nombre de responsables musulmans s’en inquiètent déjà, car ils savent que l’extrême droite et une partie de la droite parlementaire sont plus que jamais en embuscade.
Dès lors, que faire ? Nous vous suggérons que soit nommée une Commission parlementaire pour examiner les modalités d’une sortie graduelle et négociée du régime dérogatoire des Cultes en Alsace et en Moselle, dans le respect, évidemment, de la condition matérielle et morale des prêtres, des pasteurs et des rabbins actuellement en exercice.
Par ailleurs, il est temps d’entreprendre la suppression de l’enseignement religieux à l’école publique par la généralisation des lois Ferry à tout le territoire national, et d’abroger le délit de blasphème encore en vigueur dans ces départements.
Ces trois propositions ont fait l’objet d’un large accord lors de la rencontre qui s’est tenue à Strasbourg, le 5 juillet 2012, à l’initiative de 19 associations laïques nationales ainsi que d’une dizaine d’associations d’Alsace et de Moselle. Le communiqué ci-joint a été adopté et les signataires ont tenu à préciser que rien, dans leur démarche, ne remet en cause les acquis fiscaux et sociaux du droit local. Cette convergence est significative de l’évolution des esprits.
Pour toutes ces raisons, il nous semblerait aléatoire et périlleux que le gouvernement engage une révision constitutionnelle sur des bases aussi peu solides. La France a aujourd’hui d’autres urgences, qui sont d’ordre économique et financier. Et elle a besoin de se rassembler sur l’essentiel : confirmer le principe de Séparation en l’inscrivant dans la Constitution.
Restant à votre disposition pour approfondir les divers aspects de ce dossier délicat, nous vous prions d’agréer, Madame, Monsieur, nos sentiments républicains.
Le Collectif laïque