Le discours des Mureaux du Président de la République marquait la sortie de trente années de déni officiel de l’offensive islamiste contre la République (1989, apparition des signes religieux à l’école). Le projet de loi adopté en première lecture par l’Assemblée Nationale le 16 février 2021 y satisfait-il ? Au-delà de la multiplicité des mesures adoptées, la laïcité n’en sort pas renforcée.
1 – Les principales mesures votées en première lecture
- Service public :
Confirmation de la neutralité dans l’exécution du service public, qui s’impose aussi aux organismes délégataires ; mais refus de l’extension aux bénévoles. Pouvoir accru des Préfets pour contrôler la neutralité des Collectivités locales.
Renforcement de la protection des agents publics, spécialement les enseignants, contre les pressions menaces et violences communautaristes (« délit de séparatisme »). Formation des futurs enseignants et de tous les fonctionnaires à la laïcité.
- Associations :
Contrôle renforcé : contrat d’engagement républicain conditionnant les subventions publiques ; respect de l’ordre public ; possibilités de dissolution par l’administration élargies. A noter : la responsabilité de l’association pour des propos ou faits imputables à un seul de ses membres (sous réserve qu’elle en ait eu connaissance et n’ait pas tenté de les empêcher), contestée par le mouvement associatif.
Renforcement des contrôles fiscaux (fonds de dotation compris).
- Droits des personnes et égalité femmes-hommes :
Mesures contre la polygamie (droit successoral, pension de réversion) avec protection des femmes victimes de cette pratique –qui reste néanmoins confirmée à Mayotte ; prohibition des contrôles de virginité ; lutte contre les mariages forcés ; mesures éducatives dans le cadre scolaire.
On notera que la qualification des injures et discriminations contre les personnes « à raison de leur sexe » a été remplacée par celle de « leur identité de genre », plus complexe à mettre en œuvre((L’identité de genre est celle dont la personne se réclame (multiples possibilités), et non son « sexe » (binaire).)).
- Lutte contre les discours de haine et les contenus illicites en ligne :
C’est notamment la reprise de la « loi Avia » sur la haine en ligne, retoquée partiellement par le Conseil constitutionnel, et du très contesté article 24 de la loi « sécurité globale ».
Les nombreuses et complexes dispositions visant les opérateurs, hébergeurs, plateformes et auteurs de contenus illicites posent la question des moyens de contrôle publics (les effectifs de la plateforme Pharos sont parallèlement renforcés).
Protection de l’identité des personnes (notamment les dépositaires de l’autorité publique) contre les divulgations permettant de les exposer ainsi que leur famille à des atteintes aux personnes et aux biens (nouveau délit) ; aggravation des sanctions des « délits de presse » ou tout autre média (provocations, contestation de crimes contre l’humanité, injures ou diffamation, etc.) s’ils sont commis par une « personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ».
- Education :
L’instruction en famille (63 000 enfants concernés) est désormais soumise à autorisation (au lieu de déclaration), et ses conditions strictement précisées. De vifs débats ont eu lieu, apparemment sous la pression d’associations de défense de ce mode d’instruction, plutôt socialement élitistes et idéologiquement libérales. Attribution d’un numéro d’identification nationale à chaque enfant dès 3 ans (pour prévenir la déscolarisation).
Contrôle renforcé sur les établissements privés hors contrat.
- Sport :
Contrôle (au lieu de « tutelle ») de l’Etat sur les fédérations sportives, et contrat d’engagement républicain. Insertion du respect des principes de la République dans la charte du CNOSF.
- Associations cultuelles (loi de 1905) ou « mixtes » (loi de 1901) –et « associations inscrites » d’Alsace et de Moselle (malheureusement) :
Accroissement des mesures de contrôle du financement et des comptes des associations et des fondations cultuelles, pour maîtriser les financements étrangers et parer aux ingérences politico-religieuses des Etats (cf. Qatar et Frères musulmans, Arabie saoudite et wahhabites, ou Turquie).
Renforcement des prescriptions et des sanctions concernant la « police des cultes », pour éviter les dérives « séparatistes » et les appels à la haine dans les lieux de culte. Noter : la possibilité de fermeture d’un lieu de culte pour des propos ou agissements d’un seul individu en son sein a été contestée sur certains bancs à l’Assemblée comme « punition collective ».
Extension des mesures de contrôle financier et administratif aux associations de la loi de 1901 exerçant, même partiellement, un culte.
Beaucoup de ces mesures sont critiquées pour leur caractère restrictif, à la fois par le mouvement associatif et par la plupart des cultes (notamment protestants : les évangéliques se sentent visés), mais aussi par des associations d’avocats et des journalistes. Les pouvoirs des Préfets, parfois au détriment du contrôle du juge, sont largement renforcés. L’opposition de droite et de gauche les conteste (au nom de la liberté d’information, d’enseignement, d’association, de culte). Il n’est pas sûr que le Conseil constitutionnel n’exerce pas sa censure sur certaines dispositions.
2 – La laïcité perdante
Lors de son audition le 9 novembre par la ministre Marlène Schiappa, l’UFAL avait rappelé ses principaux sujets de préoccupation et souligné la nécessité de renforcer la laïcité. Nous n’avons pas été entendus par le Gouvernement et sa majorité : tous les amendements (y compris d’élus LREM) qui allaient dans notre sens ont été rejetés. Mais le Gouvernement a fait pire.
- Ce n’est pas une loi sur la laïcité, qui a disparu de l’intitulé initial((A la suite de l’avis du Conseil d’Etat, la laïcité ne figure d’ailleurs plus parmi les « principes » du « contrat d’engagement républicain » exigé des associations subventionnées.)) : celle-ci n’a d’ailleurs ni pour objet ni pour effet de protéger contre le terrorisme, il faut le rappeler. Or, malgré l’engagement pris en 2019 par le Président Macron (sur demande unanime des laïques de tous bords), la loi de 1905 a été modifiée substantiellement : inflation spectaculaire de l’article 19, renforcement des mesures de police des cultes. Son équilibre initial se trouve bousculé, et le principe de séparation remis en cause.
- Premier recul : l’art. 28 du projet de loi modifie l’art. 19 de 1905 pour permettre aux associations cultuelles de « détenir et administrer » les immeubles reçus par dons et legs. Or jusqu’ici, elles devaient les revendre, leur objet étant strictement limité à l’exercice du culte : l’Eglise catholique en sort grand vainqueur, vu son patrimoine. La gestion lucrative d’immeubles de rapport désormais autorisée est contraire à l’équilibre de 1905 entre la garantie par l’Etat du libre exercice des cultes, et le principe de séparation.
Le Gouvernement a implicitement reconnu qu’il s’agissait bien d’un gros cadeau aux cultes, en faisant adopter par amendement le plafonnement de cette ressource nouvelle à 33% des recettes annuelles des associations.
- Le Président de la République avait souhaité rendre le statut loi de 1905 plus attractif pour les associations religieuses que celui de la loi de 1901. Il existait pour cela un moyen simple : abroger l’art. 4 de la loi du 2 janvier 1907, permettant d’exercer le culte dans le cadre de la loi de 1901((Disposition devenue obsolète en 1923, qui permettait aux catholiques d’exercer leur culte sans association 1905.)). Le Gouvernement a préféré, outre de la carotte, user du bâton, en appliquant à toutes les associations (1901 comme 1905) des contrôles et sanctions administratifs et financiers plus rigoureux.
Sont ainsi renforcées notamment les sanctions relevant de la « police des cultes » (titre V de la loi de 1905). Les protestations plusieurs cultes ne paraissent guère sincères : ils savent que les sanctions plus douces prévues depuis 115 ans n’ont jamais été appliquées. Il ne sert à rien de les durcir si les considérations d’opportunité conduisent à s’en abstenir… ou à ne les infliger qu’à certains cultes.
- C’est le Préfet qui reconnaîtra désormais le caractère cultuel d’une association, pour 5 ans renouvelables : abandon du principe de séparation de la loi de 1905 interdisant à l’Etat de « reconnaître » les cultes. La France a été plusieurs fois condamnée à lourdes amendes par la Cour européenne des Droits de l’Homme pour avoir dénié le caractère cultuel à certains organismes (Témoins de Jehova, et autres sectes), les excluant ainsi des avantages fiscaux prévus par la loi.
- Fallait-il s’inquiéter, comme le mouvement associatif, du « contrat d’engagement républicain » exigé des associations subventionnées ? L’UFAL a estimé que non, le principe étant justifié par certaines dérives constatées((Par exemple des associations, au cours d’activités subventionnées, dénonçaient la loi de 2004 sur les signes religieux à l’école comme « liberticide ».)), et la rédaction ayant été améliorée au cours des débats. Néanmoins, le texte définitif, qui sera rédigé par l’exécutif, certes après concertation avec les associations, pourrait revenir à des exigences relevant de la « sauvegarde de l’ordre public » : non seulement tel n’est pas l’objectif des associations, mais qu’en ferait une majorité autoritaire si elle accédait au pouvoir ?
- Autre véritable recul, vivement débattu à l’Assemblée : le renforcement du « droit local » concordataire d’Alsace et de Moselle. Dans le texte initial du projet, les dispositions modifiant les lois de 1905 et de 1901 étaient étendues aux « associations inscrites » de ces territoires. Or le Gouvernement, cédant aux pressions du lobby localiste, les en a retirées, pour les inscrire dans le prétendu « droit local », alors que celui-ci n’a qu’un caractère provisoire (a dit le Conseil constitutionnel) et devrait être harmonisé avec le droit commun de la République. Le « séparatisme » politique alsacien en sort « conforté ».
- Plus généralement, le projet de loi refuse l’extension de la loi de 1905 à tous les territoires de la République. Les amendements généraux en ce sens ont été rejetés en commission.
Un amendement concernant la Guyane (cas politiquement facile à régler du fait de l’accord de l’évêque pour la suppression du salariat des prêtres par la Collectivité), a été balayé samedi soir tard.
- Malgré des amendements proposés, les cadeaux fiscaux et financiers de Pétain aux cultes (loi du 25 décembre 1942) sont maintenus, en particulier celui qui autorise les subventions publiques pour entretien ou réparation à tout lieu de culte, même construit après 1905, même propriété privée.
- Le financement public des écoles confessionnelles (lois Debré, Guermeur, Carle) ne risque pas d’être entamé, la commission ayant rejeté tout amendement en ce sens. Or cette infraction majeure au principe de séparation (de 11 à 18 milliards d’€ annuels, selon les sources, versés essentiellement à l’Eglise catholique), nourrit un véritable « séparatisme social » des familles qui en ont les moyens.
- Autre signal négatif : le refus définitif de l’obligation de neutralité pour les nombreux « collaborateurs occasionnels du service public »((Les DDEN, par exemple, en font partie.)), dont les tiers accompagnateurs bénévoles de sorties scolaires. C’était pourtant une des revendications de l’UFAL et du Collectif laïque national : le principe de laïcité est imposé par la Constitution (Préambule) à toute activité scolaire publique, et la liberté de conscience des élèves doit primer sur la liberté d’expression religieuse des adultes.
- Quant à l’interdiction, dans les établissements supérieurs publics, du port de signes religieux par les étudiants en situations de cours ou de recherche collective, que nous revendiquons également, elle a été tout aussi définitivement écartée.
- Enfin, la constitutionnalisation des principes de la loi de 1905, que demandent les associations laïques depuis des années, s’éloigne encore. Certes, elle n’entrait pas dans le champ de cette loi : néanmoins, le ministre de l’intérieur n’a cessé de rappeler que l’interdiction de subventionner les cultes, n’ayant pas valeur constitutionnelle, pouvait être aménagée par une loi simple.
Conclusion
La majorité de droite du Sénat (séance publique les 30 et 31 mars) ne manquera pas de manifester son opposition –pas forcément dans le sens de la laïcité bien comprise. Le dernier mot reviendra certes à l’Assemblée, mais il faut s’attendre à des modifications dans le texte définitif qu’elle adoptera.
L’UFAL déplore que les préoccupations politiciennes d’affichage et la boulimie ultra-réglementariste aient fait perdre une belle occasion de renforcer la laïcité et de lutter contre tous les « séparatismes : elle ne se représentera pas avant longtemps.