Le Comité des droits de l’homme de l’ONU – instance du Haut-Commissariat aux droits de l’Homme (HCDH) composée d’experts, mais dont les avis n’ont aucune force exécutoire, veille à l’application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques par les États signataires. C’est un ennemi avéré de la laïcité française. Il avait ainsi, en 2018, critiqué la France pour le licenciement de la salariée voilée de la crèche Baby-Loup, et également dénoncé la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public – loi pourtant validée par la Cour européenne des droits de l’Homme.
Depuis un an, il s’en prend, notamment, à l’interdiction du port de signes religieux dans le sport prise par les Fédérations de football (FFF), de basket-ball et de volley-ball, et jugée conforme à la loi par le Conseil d’État le 29 juin 2023 (Association Alliance citoyenne et autres ; Ligue des droits de l’Homme) à propos de la FFF. Cette interdiction a été généralisée en 2014 par la ministre des Sports aux athlètes français participant aux Jeux Olympiques.
Discrimination ou apartheid sexuel ?
Dernière offensive en date, le 28 octobre dernier, neuf « experts » liés au HCDH se sont adressés à la France pour demander l’annulation de cette interdiction jugée par eux « discriminatoire » à l’égard « des filles et femmes musulmanes qui portent le hidjab », qu’elle priverait de leurs droits « de participer à la vie culturelle et sportive (…) de la société française dont elles font partie ».
Soutenir qu’il existerait des droits spécifiques à quelque catégorie que ce soit (« musulmanes portant le hidjab ») est absolument contraire à l’égalité et à l’universalité des droits. L’admettre reviendrait en effet :
- à dénier aux filles et femmes musulmanes le droit de ne pas porter le hidjab dans le sport ;
- à nier que le port de vêtements religieux constitue une pression prosélyte sur les autres femmes, en particulier celles supposées musulmanes ;
- à admettre dans le sport la discrimination de sexe que certaines religions imposent aux femmes.
Paradoxalement, la numéro 1 des experts en question, Alexandra Xanthaki, Rapporteuse spéciale dans le domaine des droits culturels, n’hésite pas à parler, à juste titre, « d’apartheid sexuel », à propos des Afghanes (Rapport à l’Assemblée générale des Nations unies du 7 août 2024). Quelle contradiction !
Méconnaissance du droit
Ne reculant devant rien, ces experts dénoncent la décision du Conseil d’État sur le hidjab dans le football comme discriminatoire. Et d’affirmer témérairement : « la neutralité et la laïcité de l’État ne sont pas des motifs légitimes d’imposition de restrictions des droits à la liberté d’expression et à la liberté de religion ou de conviction ». Ainsi, selon eux, le sport ne relèverait pas de la sphère publique ? C’est faux !
En effet, en France, les fédérations sportives délégataires sont investies d’une mission de service public : la loi du 23 août 2021 confortant le respect des principes de la République leur impose donc « d’assurer l’égalité des usagers devant le service public et de veiller au respect des principes de laïcité et de neutralité du service public » :
- par leurs salariés et les personnes sur lesquelles elles exercent une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction. Cette règle, précise le Conseil d’État, s’applique aussi aux athlètes, sélectionnés par les Fédérations dans les équipes de France, soumis à leur pouvoir de direction le temps des compétitions.
- par tous les licenciés « ordinaires » de leurs clubs, en vertu du « pouvoir réglementaire pour l’organisation et le fonctionnement du service public » confié aux Fédérations (articles L. 131-1, L. 131-2 et suivants du code du sport). À ce titre, elles « peu[vent] limiter la liberté des licenciés d’exprimer leurs opinions et convictions », même s’ils ne sont pas légalement tenus au respect du principe de neutralité du service public, « si cela est nécessaire au bon fonctionnement du service public ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
Le Conseil d’État a ainsi estimé que l’interdiction de jouer au football en portant un hidjab était légitime, proportionnée, et adaptée au but recherché.
On ajoutera que la règle n° 50-2 de la Charte olympique interdit toute « démonstration ou propagande politique, religieuse ou raciale » « dans un lieu, site ou autre emplacement olympique ».
Ignorance de la laïcité, confusion sur la liberté de conscience
Dans son rapport du 7 août 2024, Alexandra Xanthaki n’hésite pas à arguer que la France « fait une mauvaise interprétation de la laïcité pour justifier l’interdiction des expressions liées à la religion ou aux croyances » (l’expression juridique correcte est « la religion et les convictions »…). La même Rapporteuse a donné la « bonne interprétation » dans sa précédente adresse du 27 octobre 2023 au représentant de la France : « garantir la liberté de religion et de conviction de tous… ». Erreur !
Car l’objectif premier de la laïcité (art. 1er de la loi du 9 décembre 1905 est : « assure[r] la liberté de conscience ». La garantie du « libre exercice des cultes » ne vient qu’après, comme une des conséquences du principe qui précède. Il ne s’agit pas d’un simple exercice rhétorique. La liberté de conscience comprend en effet, de jurisprudence (française et européenne) constante, deux éléments :
- le « for interne », ou liberté de pensée : avoir, ou ne pas avoir, des croyances ou des convictions intimes ;
- le « for externe » : manifester sa religion ou ses convictions. C’est cet aspect qui peut faire l’objet de restrictions, à condition qu’elles soient « prévues par la loi et (…) nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui » (art. 18-3 du Pacte, reprenant les conditions de l’art. 9-2 de la Convention européenne des droits de l’Homme).
Le Conseil d’État, dans sa décision du 29 juin 2023, a vérifié le respect de ces conditions par la FFF : l’interdiction était « limitée aux temps et lieux des matchs », et « nécessaire pour assurer leur bon déroulement en prévenant notamment tout affrontement ou confrontation sans lien avec le sport ».
Autrement dit, l’interdiction de manifester sa religion dans le cadre d’une compétition sportive ne porte pas atteinte à la liberté de croire de qui que ce soit. Rappelons par ailleurs que le port de signes religieux dans l’espace public – non soumis aux règles des Fédérations sportives- est autorisé en France. Il ne saurait faire l’objet d’une interdiction générale et absolue, qui encourrait la condamnation de la Cour européenne des droits de l’Homme.
On ne peut que s’inquiéter de voir une instance chargé des « droits humains » et relevant de la sphère de l’ONU témoigner une telle méconnaissance du droit d’un pays démocratique, comme de celui du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne.
Les communautaristes et leurs soutiens n’ont pas manqué de saluer l’initiative du Comité onusien. Deux députés français LFI, Farida Amrani et Antoine Léaument, ont exigé dès le 28 octobre du ministre des Sports le retrait de la mesure prétendue « discriminatoire ». Leur définition de la laïcité est, elle aussi, erronée : « l’indifférence aux religions afin que chacun puisse vivre la sienne comme il l’entend » (sic). Autrement dit : la liberté de conscience ne concerne que ceux qui ont une religion – pour mémoire, moins de la moitié des habitants de France. Le « Nouveau Front Populaire » traîne décidément quelques boulets sur la laïcité – pourtant valeur cardinale de la gauche.
Fausses solidarités.
Opérant l’inversion des critères de victimisation habituelle aux communautaristes, les experts écrivent : « Dans un contexte d’intolérance et de fortes stigmatisations envers les femmes et filles choisissant de porter le hijab, la France doit prendre toutes les mesures à sa disposition pour les protéger, assurer leurs droits et promouvoir l’égalité et le respect mutuel de la diversité culturelle ».
Ils auraient été mieux inspirés, et plus fidèles aux objectifs dont ils se réclament, d’écrire : « Dans un contexte où les femmes afghanes sont non seulement totalement invisibilisées, mais interdites de parler, où la police iranienne pourchasse, voire assassine les femmes refusant de porter le voile, il est légitime que la France prenne toutes les mesures à sa disposition pour protéger les filles et femmes musulmanes contre l’intégrisme islamiste dans la pratique du sport, assurer les droits et promouvoir l’égalité de toutes les femmes». Pour ce faire, en 120 ans, on n’a pas trouvé mieux en France que la laïcité.