Nous publions, ci-dessous, un échange entre un lecteur de notre lettre d’information UFAL-Flash et Charles Arambourou, responsable de la commission Laïcité de l’UFAL au sujet des « parents accompagnateurs de sorties scolaires » (cf. notre communiqué du 24/12/2013 sur le sujet).
Courrier de lecteur :
Comme tout laïque fidèle à la loi de Séparation, je m’efforce au jour le jour de concilier deux exigences parfois contradictoires : la liberté de conscience ; « pourvu que (sa) manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». Le couvre-chef des accompagnantes de sorties scolaires percute directement cette double exigence.
Lecteur attentif des analyses et commentaires sur la question, notamment ceux de Charles Arambourou, j’avoue sans honte ni remords ni sans me sentir traître à notre cause, que mon opinion sur le sujet a varié : j’ai d’abord, spontanément, été hostile à toute interdiction, mon sentiment étant que ces femmes, auxiliaires bénévoles, se voyaient sans doute comme participant du service public de l’Éducation Nationale et que ce dut être pour elles un choc et une humiliation de se voir du jour au lendemain interdites d’activité, au motif que leur voile contrevenait à la neutralité exigée en milieu scolaire. Dans un second temps, des analyses juridiques, dont celles de l’UFAL, m’ont fait entrer dans la logique de l’interdiction. Aujourd’hui à nouveau, je penche pour l’expectative et la pédagogie avant toute interdiction légale ou réglementaire.
Que je dise d’abord en quoi je suis totalement en accord avec les termes de la réponse du 6 janvier de Charles Arambourou à une enseignante de Montreuil :
- que nos institutions ne sont pas « multi-culturelles » mais universalistes ;
- que, par glissements et contresens successifs, la liberté de conscience : 1) est considérée par ceux qui la brandissent contre la laïcité comme un absolu ; 2) c’est-à-dire qu’ils en font l’équivalent d’une religion ; 3) c’est-à-dire au finale qu’elle n’est rien d’autre que le faux nez de la liberté religieuse.
En revanche, je ne suis plus en phase avec lui :
- quand il craint a priori que la neutralité de l’école ne soit entamée par le port d’un voile ou d’une kippa ;
- quand il ne fournit pas d’exemples sur son doute quant à la neutralité des accompagnantes. Il leur fait, autrement dit, un procès d’intention ;
- de même quand il fait état de comportements prosélytes, comme si ceux-ci étaient avérés selon l’expérience que l’on a des accompagnements passés.
Enfin, toujours dans le même ordre d’idées, s’il est exact que former les citoyens « est autre chose que répercuter passivement les pressions et les modes de vie du quartier », je ne vois pas en quoi porter un couvre-chef, comme ma grand-mère, catholique, portait par tradition un foulard en sortant de chez elle, contreviendrait en quoi que ce soit à la formation des citoyens – sauf, encore une fois à présupposer prosélytisme et absence de neutralité.
Une dernière remarque : sans vouloir faire de féminisme facile, je note quand même que le débat se focalise aujourd’hui sur les femmes accompagnantes. Sera-t-on aussi déterminés si à l’avenir nous avons affaire à des accompagnants, en djellaba et barbus ? J’imagine en effet assez bien que, pour pousser la République dans ses retranchements, ce genre d’extrémistes puissent aller jusqu’à accepter par provocation de jouer ce rôle traditionnellement dévolu à leurs épouses.
Réponse de Charles Arambourou
La question n’est pas de dire si le port d’un foulard constitue en lui-même un acte de prosélytisme, mais si la neutralité religieuse absolue exigée des agents du service public (qu’ils soient ou non en contact avec les élèves) s’impose aussi à ses collaborateurs occasionnels lors des sorties scolaires. Cette neutralité absolue est effectivement violée par le simple port d’un voile (Conseil d’État, avis 3 mai 2000 Mlle Marteaux, voir aussi Cour de cassation, chambre sociale, 19 mars 2013, CPAM de Saint-Denis, en même temps que Baby-Loup). Ou elle est absolue, ou elle ne l’est pas !
À l’UFAL, nous sommes partisans d’une seule règle à l’école publique, parce que, dans le cas contraire, c’est la porte ouverte à la remise en cause de la neutralité scolaire elle-même. À partir du moment où ces sorties sont des activités de l’école publique, nous pensons que les mêmes principes doivent s’appliquer à tous les adultes encadrants. Ce que vous appelez, à tort, « la logique de l’interdiction », est au contraire « la logique du respect absolu de toutes les consciences », telle qu’elle préside à la laïcité (art. 1er de la loi de 1905) — j’ajoute : en particulier vis-à-vis des « libertés en voie de constitution » que sont les jeunes enfants. Le modèle de la neutralité scolaire et de la laïcité des services publics doit leur être montré sans ambiguïté — pour le reste, ils ont tout loisir d’assister à l’étalage des convictions religieuses, syndicales, ou politiques dans la rue ou au sortir de l’école.
Vous me reprochez de faire des procès d’intention. Mais d’une part, la volonté forcenée d’imposer aux autres (qui ne demandent rien, surtout les incroyants, qu’il ne faut jamais oublier) une seule religion sans accepter le moindre compromis (on ôte son voile, quitte à le remettre après) paraît éminemment suspecte ; d’autre part les exemples sont nombreux de pressions exercées au nom de la religion pour imposer aux enfants et aux jeunes « supposés » en être ressortissants le respect des règles alimentaires, du jeûne, des tenues vestimentaires, etc. La revendication de menus halal ou casher à la cantine commence à se manifester. De telles attitudes, largement manipulées (exactement comme le port militant du voile par des collégiennes, ainsi que l’avait analysé la commission Stasi en 2004) visent à tester les principes de la République, et si possible à les remettre en cause. Ne soyons pas naïfs. Il n’y a guère de différence entre le prosélytisme et l’affichage religieux militant.
Cette dernière appréciation est celle, personnelle, du militant laïque de terrain que je m’efforce d’être : vous pouvez ne pas avoir rencontré de raison de la partager. Souvenez-vous alors que, même en l’absence de tout comportement prosélyte, le simple port d’un signe religieux est interdit aux agents publics. Commencer à discuter du caractère prosélyte ou non est hors-sujet, et ouvrirait la voie à tous les « accommodements raisonnables » au détriment de la laïcité.
En revanche, s’agissant des élèves de l’enseignement public, la loi du 15 mars 2004 ne pose aucune interdiction absolue de signe religieux : elle en réglemente simplement le port. Il y a donc lieu d’apprécier si celui-ci « manifeste ostensiblement » ou non une appartenance religieuse. Il ne faut donc pas confondre la neutralité du service public (absolue), et la réglementation du port des signes religieux par les élèves (possible, dans certaines conditions).
Entre nous soit dit, je déplore moi aussi qu’il faille recourir à des mesures législatives ou réglementaires « fortes » pour quelques morceaux de tissu, alors qu’il est si facile de les ôter le temps d’une sortie. Des milliers de femmes musulmanes l’ont fait pendant des générations en France sans que leur conscience ni la pratique de l’islam soient violées : ce comportement sage fait malheureusement place à la revendication bruyante de l’affichage religieux. Je pense que les laïques, plutôt que de trembler à la crainte de passer pour des « interdicteurs », devraient se souvenir que la laïcité se mesure à la façon dont la liberté de conscience (non seulement celle des autres religions, mais des incroyants, athées, agnostiques, probablement les plus nombreux) est assurée.