Après le moment de la sidération, après le moment de la colère, est venu le moment de l’union : des millions de personnes sont descendues dans la rue dimanche pour dire « je suis policier », « je suis juif », « je suis Charlie ».
Les journalistes de Charlie Hebdo sont morts parce qu’ils ne sont pas laissés impressionner, parce qu’ils n’ont pas voulu céder sur les principes qui sont au fondement de la République laïque, à savoir la liberté de conscience et la liberté d’expression. L’Ufal a appelé à la mobilisation. Une telle unité est salutaire. Car, au moment de l’affaire des caricatures de Mahomet, trop de voix s’étaient fait entendre pour dire que Charlie Hebdo était allé trop loin, qu’il convenait de faire « bon usage » de la liberté d’expression et de ne pas allumer le briquet à proximité de matière explosive. Comme si les musulmans étaient des barils de poudre, régissant mécaniquement à des phénomènes physiques, et non des sujets libres, capables de réfléchir, de se diviser, et de comprendre ce qu’est la liberté d’expression. Comme toutes les libertés qui sont garanties par le droit, la liberté d’expression est une liberté formelle, vide, qui n’a pas de contenu substantiel, seulement des limites qui sont définies par la loi. Une liberté qui prescrirait a priori les usages qu’il faut en faire ne serait tout simplement pas une liberté. La liberté d’expression comprend aussi le droit de rire du sacré, c’est-à-dire de désacraliser tout ce que l’on peut fétichiser ; la liberté d’expression n’interdit pas qu’on profère des sottises ou des absurdités ; elle n’interdit pas que l’on affirme que telle religion est la plus conne du monde, que toutes les religions sont connes, pas plus qu’elle n’interdit qu’on dise publiquement qu’il est con de soutenir de telles assertions.
Moment d’union salutaire, donc, qui convoque chacun à ses responsabilités. Pour que ces morts ne soient pas vaines, il faut davantage qu’un moment d’indignation « à chaud ». Il faut que l’attentat contre Charlie Hebdo ferme définitivement une parenthèse, celle des renoncements et du silence coupable. Il faut qu’il y ait un avant et un après. Il faut que les discours se clarifient. Il faut qu’à l’avenir, plus personne ne puisse alléguer la sociologie de salon pour, sinon excuser, du moins trouver des circonstances atténuantes aux appels au meurtre contre des militants de la laïcité ou aux autodafé contre des journaux satiriques. Il faut qu’à l’avenir on ne confonde plus jamais la critique de l’intégrisme islamique avec l’islamophobie. Il faut qu’à l’avenir les citoyens se mobilisent pour soutenir tel ou tel intellectuel faisant l’objet d’une fatwa, au lieu de se boucher le nez, d’ergoter et d’en conclure qu’ « il l’a bien cherché ». Il faut qu’à l’avenir, tout citoyen reste Charlie : qu’ils apportent un soutien sans arrière-pensée à ceux qui font l’objet de menace de mort pour avoir usé de leur liberté d’expression.