Nous publions1 cette tribune de François Michaud Nérard, ancien directeur général des Services Funéraires – Ville de Paris, qui s’oppose au projet de privatisation du crématorium du Père-Lachaise porté par la Mairie de Paris.
Le crématorium du Père Lachaise, est l’un des bâtiments les plus signifiant de Paris pour nous. C’était et c’est toujours le symbole d’une certaine laïcité, porteur de toutes les valeurs républicaines. C’est ce symbole républicain, synthèse parfaite des notions de Liberté, Égalité et Fraternité que Mme Pénélope Komitès, adjointe chargée des espaces verts de la Capitale, propose de jeter en pâture à un fonds d’investissement lors de la séance du Conseil de Paris du 11 juin prochain.
La décision de créer le crématorium du Père-Lachaise a été prise par la République à la fin du XIXème siècle, pour offrir aux Français un lieu de cérémonie laïque aussi digne que les édifices religieux dont bénéficient les croyants pour leurs obsèques. C’est à la même époque que l’on reconstruisit l’Hôtel de Ville de Paris, comme un palais républicain pouvant rivaliser par son faste et ses dimensions avec Versailles.
Ce crématorium a eu pour pères fondateurs : Emmanuel Arago, Paul Bert, Marcelin Berthelot, Casimir-Perier, Léon Gambetta, Paul Bert, Victor Schœlcher, José-Maria de Heredia, Ferdinand de Lesseps, Alfred Nobel, etc., tous des combattants de la liberté, beaucoup étant Francs-Maçons. Ce sont eux qui s’étaient battus pour la loi sur la liberté des funérailles, la première des grandes lois sur la laïcité, bien avant la séparation de l’Église et de l’État de 1905, ou l’École publique laïque et obligatoire.
L’architecte choisi pour le construire a été un architecte municipal, Jean-Camille Formigé, le même qui construisit les serres d’Auteuil.
Il accueille plus de 250 000 endeuillés annuellement. Il s’y déroule de magnifiques cérémonies civiles pour les familles non-croyantes, comme pour les familles qui voient dans ce type de cérémonies un fédérateur de croyances philosophiques ou religieuses différentes. Mais, bâtiment laïque, ce bâtiment accueille aussi les croyants de religions minoritaires qui ne bénéficient historiquement pas de lieux de cultes dans Paris. Les personnels sont formés soigneusement et encadrés par du personnel qualifié, notamment universitaire, afin d’accueillir chacun dans la singularité de ses besoins et de ses convictions.
Devant la saturation de cet établissement qui n’était pas fait pour accueillir 6 000 crémations par an, la Ville de Paris a lancé un appel d’offres pour confier au lauréat, pour 30 ans, tant la gestion du Père-Lachaise que la construction d’un nouveau crématorium Porte de la Villette. Étaient en concurrence les deux grands fonds d’investissement que sont le groupe OGF (Roblot, H de Borniol, PLM, PFG, Poullain, etc.) et Funécap (Roc’Eclerc, Rébillon, etc.) ainsi que la société funéraire d’économie mixte de la Ville de Paris (SEM).
Le groupe OGF n’a pas répondu. La SEM de Paris, forte de sa gestion reconnue du plus grand crématorium de France, leader et modèle en ce qui concerne l’éthique, la recherche anthropologique, les initiatives écologiques et sociétales, avait proposé un projet de rénovation du Père-Lachaise abouti et proposé pour le nouveau crématorium, un projet enthousiasmant dessiné par Shigeru Ban, l’un des plus grands architectes contemporains (Pritzker 2014, le « Nobel » de l’architecture) auteur notamment, en France, de la Seine Musicale ou du centre Pompidou Metz.
Au lieu de choisir logiquement son propre opérateur, la SEM, c’est un fonds d’investissement, le groupe SCF-Funécap, qu’a choisi l’adjointe à la Maire de Paris comme lauréat et qu’elle proposera aux élus parisiens le 11 juin prochain. En ce qui concerne le Père-Lachaise, ce sera la fin d’années de recherche et de progrès désintéressés au service des familles en deuil et pour le nouveau crématorium ce serait un projet de « bunker enterré » pour le deuxième crématorium de la Capitale2, loin, très loin des ambitions de nos illustres prédécesseurs.
Au passage, privée d’un tiers de son activité, la société d’économie mixte a toute chance de disparaître, laissant le secteur funéraire aux deux fonds d’investissement pour qui les valeurs d’éthique, de laïcité, de Liberté, d’Égalité et de Fraternité sont loin de représenter une priorité au regard des performances financières requises pour les actionnaires.
Rien n’est encore fait puisque ce sont les élus du Conseil municipal souverain qui décideront le 11 juin prochain à qui seront confiés ce symbole qu’est le Père-Lachaise et ce nouveau symbole pour le XXIème siècle que sera le nouveau crématorium de Paris. Il est encore temps d’agir.
par François Michaud Nérard,
ancien directeur général des Services Funéraires – Ville de Paris
- avec l’aimable autorisation de son auteur [↩]
- Cf. l’article du JDD [↩]