Strasbourg, le 27 octobre 2015 — Le Parlement européen a voté aujourd’hui (par 500 voix pour et 163 voix contre) le règlement sur les télécommunications, clôturant ainsi des années de négociations sur ce sujet. Malgré les appels des citoyens, malgré les appels répétés à l’international pour le soutien des amendements positifs, y compris de Tim Berners-Lee, ce texte ambigu contient des failles importantes qui ne permettent pas d’assurer la neutralité du réseau1. C’est une profonde déception pour tous ceux qui ont bataillé depuis des années pour enfin assurer la protection de ce principe en Europe.
À l’approche des élections européennes de 2014, les députés européens avaient su être fermes et voter un texte très avancé pour protéger la neutralité du Net, et donc les droits et libertés des citoyens et l’innovation pour tous. La pression du Conseil de l’Union européenne – c’est-à-dire des représentants des États membres – et de la Commission européenne, l’envie d’en terminer avec des années de négociations, le manque de conviction et de sens de l’intérêt général les ont amenés aujourd’hui à choisir un consensus mou : obtenir un accord coûte que coûte et régler la question des frais d’itinérance (mesure symbolique mais ne touchant qu’un très faible nombre de citoyens de l’UE), au prix d’une vraie protection de la neutralité du Net.
Une poignée d’eurodéputés ont eu le courage de défendre jusqu’au bout des positions pour une vraie neutralité du Net et il faut les saluer. Les autres ont cédé à la lassitude et il faudra s’en souvenir.
Le texte voté ne comporte pas de définition claire de la neutralité du Net, ce qui laisse une marge de manœuvre non négligeable au régulateur européen pour établir les lignes directrices applicables dans les États membres. C’est donc un texte plein d’incertitudes qui sera appliqué, et dont les modalités pratiques risquent d’être établies dans l’ombre des négociations de techniciens, sans transparence et avec peu de moyens d’action des citoyens.
Les négociations au sein du BEREC2 doivent être transparentes. Les régulateurs doivent élaborer sans tarder des règles claires fixant solidement les principes de la neutralité du Net, et se donner les moyens de les appliquer sans faiblesse, afin de pallier aux carences du texte voté aujourd’hui. Le risque est grand qu’ils laissent un boulevard aux entreprises de télécommunications pour abuser de leurs positions dominantes.
« Les eurodéputés avaient aujourd’hui l’occasion de montrer leur fermeté face au Conseil et à la Commission européenne pour la protection des droits et libertés des citoyens : ils n’ont montré qu’un visage timoré face aux menaces d’abandon du texte ou de prolongation des négociations. En votant ce texte incomplet et peu protecteur, ils mettent aussi des bâtons dans les roues des petites entreprises innovantes, au profit des grandes entreprises de télécommunications. Ils donnent également un signal négatif sur leur faiblesse, mettant ainsi en danger les futures négociations. C’est à une administration dénuée de transparence que reviendra donc le soin de colmater les failles que les eurodéputés n’ont pas su combler, au risque de les aggraver un peu plus, en attendant que la justice intervienne et que de longs processus judiciaires établissent une jurisprudence dont l’issue est incertaine » déclare Agnès de Cornulier, coordinatrice de l’analyse juridique et politique à La Quadrature du Net.
À nouveau, La Quadrature du Net remercie et salue chaleureusement les nombreux citoyens, organisations et représentants élus qui ont pris part à ces campagnes pour une vraie protection de la neutralité du Net.
- 1. La neutralité du Net est un principe fondateur d’Internet qui garantit que les opérateurs télécoms ne discriminent pas les communications de leurs utilisateurs, mais demeurent de simples transmetteurs d’information. Ce principe permet à tous les utilisateurs, quelles que soient leurs ressources, d’accéder au même réseau dans son entier.
- 2. Le BEREC (ou ORECE en français) est l’organe des régulateurs européens des communications électroniques
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