I tréma est une émission littéraire de Laïcidade , la chaine de baladodiffusion (podcast) de l’UFAL, animée par Philippe Foussier de l’UFAL Paris qui présente des livres pour faire la République laïque et sociale. Emmanuelle Billier-Gauthier est la présentatrice et maitresse d’œuvre de l’émission.
Dans I tréma #20, c’est le livre de Bruno Fuligny «La fille cachée de Napoléon» ainsi que les mémoires de Louise Michel présentées par Claude Rétat qui font l’objet de la recension à écouter sur toutes les plateformes d’écoute.
Napoléon : la surprise du bicentenaire
Des archives inédites ont permis à l’historien Bruno Fuligni de découvrir l’existence jusqu’alors inconnue de la fille ainée de Napoléon. Il en raconte la vie dans un récit captivant.
Même les plus grands spécialistes ont dû en rabattre. Sans doute Napoléon est-il le personnage de l’histoire dont la vie, celle de ses ancêtres et de ses descendants, a fait l’objet de la plus grande exploration éditoriale qui soit. Les milliers de livres qui lui ont été consacrés de son vivant et surtout depuis sa mort ont permis d’explorer son existence dans les moindres recoins.
On doit à Bruno Fuligni la toute récente découverte de la fille « cachée » de Napoléon. Pas cachée pour tout le monde assurément. Si l’Empereur n’a jamais eu connaissance de l’existence de sa fille ainée, elle-même l’a su seulement à son adolescence de la bouche de sa mère vivant ses derniers instants. Et à tout juste vingt ans, Charlotte Chappuis -c’est son nom- se présente à un soldat autrichien en garnison près de Besançon. Elle revendique sa filiation avec le grand homme. Mais dans la pire période qui soit.
En effet, nous sommes en 1815. L’année de la chute ultime, définitive de Napoléon. Waterloo, l’Ile d’Elbe, les Cent Jours sont derrière nous. Devant, dans quelques jours, ce sera pour l’Empereur l’exil forcé à Sainte-Hélène. La Restauration est en marche. L’inoxydable Joseph Fouché, ministre de la Police, peu désireux de chuter avec l’Empereur, aura à cœur d’éviter que l’identité de la jeune femme ne soit trop connue. Pour les tenants du nouveau régime, si nostalgiques de l’Ancien, il importe d’effacer les traces de Napoléon. Et se garder qu’un jour un héritier du trône impérial ne vienne introduire l’hypothèse d’une Régence. Fouché donne des ordres précis -imaginés par l’auteur- à son espion Mutinus : « Il faut me l’enfermer dans une jolie cage dorée, entre des mains françaises de préférence, avant que des bonapartistes ne fassent d’elle un drapeau… Ou qu’un prince autrichien ne nous l’engrosse, pour avoir ensuite des prétentions sur la couronne de France ».
Lignée et postérité
Charlotte Chappuis est donc née en 1795, de la liaison du sous-officier Bonaparte, pour quelque temps basé avec son régiment à Auxonne, entre Dijon et Dôle, avec une dénommée Antoinette Cattin (ça ne s’invente pas !). Celle-ci mettra au monde rien moins que 24 enfants. Dont Charlotte, qui sera reconnue par le dénommé Chappuis que sa mère épouse plus tard. « Des femmes, Bonaparte en troussera à foison », nous dit l’auteur. Mais il sait d’autant moins qu’il est le père de cette enfant qu’il se pensera stérile pendant encore une bonne dizaine d’années. Très peu de temps après avoir eu un autre enfant naturel, il répudie Joséphine en 1806, pour offrir une descendance à la France, soucieux que sa lignée familiale amplifie sa gloire et garantisse sa postérité.
C’est donc la -longue- vie de la fille de Napoléon que Bruno Fuligni nous raconte dans ce livre, aussi rigoureux sur le plan biographique que captivant comme un polar. En acquérant des lettres conservées dans un grenier, Bruno Fuligni a donc mis à jour une histoire authentique jusqu’alors ignorée même des plus grands spécialistes de l’Empereur. L’auteur mêle dans un mélange réussi la grande histoire et la petite, entrainant le lecteur dans l’incroyable histoire de Charlotte, qui vécut jusqu’en 1880, spectatrice de la succession des régimes si caractéristique du XIXe siècle, entre monarchies, empires et républiques. On ne pouvait imaginer coup de théâtre éditorial plus inattendu en cette année de bicentenaire de la mort de Napoléon.
Philippe Foussier
Bruno Fuligni, La Fille de Napoléon, Les Arènes, 2021, 256 p., 19,90 €
La Vierge Rouge par elle-même
Louise Michel, Mémoires. 1886, édition établie par Claude Rétat, Folio, 2021, 578 p., 9,70 €
La Commune de Paris fut animée par de nombreux anonymes mais aussi par quelques figures qui conservent une notoriété le plus souvent modeste. Louis Michel fait figure d’exception, qui reste comme l’acteur demeurant aujourd’hui encore le plus connu de l’épisode révolutionnaire du printemps 1871. Dans la réédition de ses Mémoires parus initialement en 1886, la Commune de Paris tient bien sûr une place importante, mais c’est toute sa vie que la Vierge Rouge passe ici en revue. Louise Michel y apparait beaucoup plus complexe et que le portrait de l’institutrice exaltée et activiste qui reste attaché à sa postérité. On découvre une personnalité d’une curiosité presque insatiable, d’une grande sensibilité, tour à tour théoricienne, poète, féministe avant l’heure, combattante jamais résignée.
Claude Rétat, qui a ces dernières années accompli un travail éditorial considérable autour de Louis Michel, a établi, présenté et annoté ces Mémoires. Ils nous permettront de découvrir en puisant à la source une personnalité majeure de l’histoire sociale française, passionnée, anticonformiste et qui recèle une multitude de talents et de facettes.
Victor Hugo lui avait consacré en 1871 un poème titré Viro Major (Plus grande que l’Homme). Quel plus bel hommage ?
Philippe Foussier