I tréma est une émission littéraire de Laïcidade , la chaine de baladodiffusion (podcast) de l’UFAL, animée par Philippe Foussier de l’UFAL Paris qui présente des livres pour faire la République laïque et sociale. Emmanuelle Billier-Gauthier est la présentatrice et maitresse d’œuvre de l’émission.
Dans I tréma #9, c’est le livre de Aline Girard « Enseigner le fait religieux à l’école : une erreur politique ? » et celui de Najwa El Haïté « Laïcité et République. Considérations sur la République française« qui font l’objet de la recension à écouter sur toutes les plateformes d’écoute.
Aline Girard, Enseigner le fait religieux à l’école : une erreur politique ?, préface de Catherine Kintzler
Erreur de programmation
En France, depuis 20 ans, que n’a-t-on entendu sur le sujet. Le « fait religieux » ne serait pas enseigné à l’école, la laïcité scolaire interdirait aux élèves d’avoir accès à la culture religieuse… Ces assertions sont répétées à l’envi, le plus souvent d’un ton péremptoire. Le petit livre d’Aline Girard permet déjà d’y voir clair sur le sujet. Et de dégonfler quelques baudruches qui ont produit bien plus de brouillard que de savoir sur l’enseignement du fait religieux à l’école.
Le rapport Debré
Aline Girard rappelle qu’à la suite du rapport élaboré par Régis Debray en 2002, dont elle décortique le contenu, le « fait religieux » a bien été officiellement introduit dans les programmes scolaires dès 2005. Ce livre décrit avec précision les termes du débat et sa chronologie. Pour les promoteurs de cet enseignement, il serait nécessaire que « Dieu, sorte de pompier de service, fasse son retour à l’école, puisque le monde déboussolé ne pourrait plus être analysé et compris qu’à travers le prisme du religieux ». Lors d’un débat organisé en 2003 sur ce thème, Régis Debray est ainsi questionné par un enseignant : s’agirait-il donc de « calmer les élèves musulmans des banlieues ? ». Et le philosophe de rétorquer : « Mais bien sûr, c’est bien de cela qu’il s’agit ».
Catherine Kintzler, qui signe la préface du livre, en appelle bien plutôt à la réintroduction des humanités pour affermir la distance critique, construire la liberté de pensée et susciter le doute chez les citoyens en devenir. Loin de ces exigences, la présence accrue du fait religieux à l’école contribue à l’inverse à essentialiser les élèves et à les assigner à leurs divers héritages, religieux et socio-culturels.
Editions Minerve, 144 p., 9,50 €
Najwa El Haïté Laïcité et République. Considérations sur la République française
Cet ouvrage est tiré d’une thèse de doctorat en droit public. La laïcité est examinée comme double vecteur : d’intégration des religions dans la République et de socialisation juridique dans cette même République. Najwa El Haïté fait œuvre de pédagogie. Si elle prend soin de traiter son sujet d’un point de vue juridique, elle mobilise d’autres disciplines, l’histoire notamment, pour interroger les concepts au regard de leurs applications concrètes. L’auteure est aussi une praticienne, investie dans le mouvement associatif, élue d’une grande ville de l’agglomération parisienne et chroniqueuse dans plusieurs médias.
La loi de 1905
L’intérêt majeur du livre, outre sa ressource documentaire, consiste à démontrer la plasticité de la loi de 1905 au regard des problématiques conjoncturelles. L’auteure en souligne son adaptabilité et en défend la lettre et l’esprit. Elle dénonce ainsi la double opération de ses adversaires ou des faux amis de la laïcité. D’extrême droite d’un côté, pour la dévoyer et en faire une arme contre l’islam. D’extrême gauche ou des tenants du modèle anglo-saxon de l’autre, pour développer le communautarisme.
Najwa El Haïté entend aussi relier le concept de laïcité à la République et à la citoyenneté : « Il n’y a de République que parce que ceux qui vivent ensemble sous un même gouvernement sont considérés par ce dernier et se considèrent comme des citoyens ». Or, poursuit-elle, « l’affaiblissement du sens civique des citoyens est, aujourd’hui, un grand danger pour la République ». A cette question, elle ne prétend pas répondre seule. C’est un sujet sur lequel les humanistes et les laïques devraient pencher sans délai.
L’Harmattan, 2019, 310 p., 25 €