En 2004, une propagande politique effrénée lancée par notre gouvernement essaya de faire croire aux citoyens français que la dégradation des finances publiques et celle programmée des finances des collectivités locales ne permettraient plus de répondre à la dégradation des infrastructures publiques et principalement celles relatives au ferroviaire, routes, universités, hôpitaux, etc. en un mot le BTP principalement.
Le gouvernement de l’époque eut donc l’idée d’associer aux appels d’offres du secteur public le secteur privé autrement que par la technique juridique des Délégations de Service Public (DSP). C’est ainsi que furent créés les Partenariats Publics Privés ou PPP.
Quel est l’intérêt des PPP ?
« Cette formule créée par l’ordonnance du 17 juin 2004 permet à une administration ou une collectivité locale de confier à un seul et même opérateur privé le financement, la construction, la maintenance et l’exploitation d’un équipement. En contrepartie de la construction de ces collèges, prisons, stades, lignes à grande vitesse…, le commanditaire public doit payer un loyer pendant des dizaines d’années (jusqu’à cinquante-cinq ans pour les grandes infrastructures). L’opérateur privé est souvent une société créée pour l’occasion, associant un constructeur, un banquier ou un fonds d’investissement et des prestataires, pour la maintenance. Au terme du bail, la personne publique récupère la propriété de l’ouvrage en bon état. »
Bien retenir la nouveauté par rapport aux formes publiques-privées existantes : dans un PPP le loyer payé par le commanditaire de l’ouvrage est sans lien avec son exploitation rentable ou non (source « infosécusanté »).
Ainsi les PPP offriraient grâce à la dynamique du « privé » : un meilleur délai de livraison des travaux, une disparition des phénomènes « stop and go » budgétaires c’est-à-dire « arrêts et redémarrages » des budgets dus au mode de fonctionnement du service public, puis on aboutirait ainsi à un coût plus faible.
Bilan à travers des exemples
Tout d’abord, relatif au BTP, trois sociétés émergent dans les PPP : Bouygues, Eiffage, Vinci (ce qui n’est pas le fruit du hasard !). Relatif à l’énergie : EDF-Veolia ; GDF-Suez.
1. Bilan global
La mission d’appui aux partenariats public-privé (MAPPP) a, en cinq ans d’activité (2005-2010), recensé 118 contrats de partenariat, pour 11,8 milliards d’euros dont 28 conclus par l’État.
En 2011, le montant des PPP conclus s’élève à 14 milliards d’euros (y compris la Ligne Grande Vitesse, LGV, Tours Bordeaux pour 8 Mds €).
En 2012, d’énormes contrats s’annoncent comme la ligne ferroviaire Nîmes-Montpellier, attribuée à Bouygues, le nouveau palais de justice de Paris, sur le terrain des Batignolles, pour 1 milliard d’euros, également remportés par Bouygues, le plan Campus, qui prévoit la rénovation de douze universités, le « Pentagone » français remporté par Bouygues. Sans compter 24 000 nouvelles places de prison d’ici 2017.
Signalons qu’il est évident que tous les cabinets, juristes, conseillers financiers ont un intérêt aux PPP, qui leur assurent du travail pour des années.
Récemment les PPP ont été dénoncés par voie de presse comme l’un des scandales des derniers quinquennats. Les travaux commandés par le service public reviennent à ce dernier à les payer à l’entreprise privée choisie trois fois minimum son coût réel.
« Pour beaucoup d’observateurs, les PPP constituent une charge incompressible qui peut devenir, à l’avenir, difficilement supportable pour les finances publiques. « Ces financements innovants permettent d’échapper à la rigueur budgétaire. Le cumul de ces loyers à payer à très long terme pourrait asphyxier nos finances », s’alarme le sénateur (UMP) Jean Arthuis. »
2. Exemples
a. Le Centre Hospitalier Sud-Francilien
Le contrat : ce PPP prévoit qu’Eiffage finance et construise l’établissement puis en assure la maintenance pour les trente ans à venir, en contrepartie d’un loyer de 40 millions d’euros, une somme que beaucoup juge exorbitante. À tel point que le président de l’hôpital, le maire PS d’Évry, Manuel Valls, veulent dénoncer le contrat.
Le résultat : avec huit mois de retard, l’hôpital sud-francilien, en lisière de Corbeil-Essonne et Évry, a accueilli ses premiers patients lundi 23 janvier. Avec 1 017 lits, vingt blocs opératoires, une chaufferie au bois, il devient le plus grand hôpital de France, supplantant Georges-Pompidou, à Paris. L’ouverture a dû être repoussée en raison des 8 000 réserves émises lors de la réception, et des travaux supplémentaires sont donc exigés par l’hôpital. Mais ce retard a nourri la polémique sur le choix du contrat de partenariat public-privé (PPP) conclu entre l’établissement public hospitalier et la société Eiffage. Eiffage réclame devant le tribunal, 175 M € supplémentaires pour rectifier les défauts (fuites d’eau, salles non opérationnelles, etc.).
b. La Ligne Grande Vitesse sud-est Atlantique (LGV SEA) Tours-Bordeaux (source Vinci)
Rappel : la Banque Européenne d’Investissement (BEI) a été créée par le Traité de Rome comme la banque d’investissement de l’Union Européenne à 27 membres aujourd’hui. Elle emprunte sur les marchés des capitaux et peut attribuer des prêts sans but lucratif. C’est donc par définition une banque publique quant à la garantie des prêts qu’elle consent. Cependant elle emprunte sur les marchés des capitaux.
Réseau Ferroviaire de France (RFF) est une société publique qui officiellement gère et s’occupe de la maintenance des lignes de chemin de fer y compris les horaires des trains. Elle « loue » les lignes ferroviaires aux sociétés qui font circuler leurs trains, dont la SNCF. Mais comme elle n’a pas les moyens ni les savoirs (nombre de salariés de RFF en 2011 : 1 500 personnes ; chiffre d’affaires 3,3 Mds € ; dette : 27,8 Mds € !) nécessaires à sa mission elle sous-traite à la SNCF sa mission. UBUESQUE ! Ainsi quand un passager proteste sur les retards des trains la faute incombe à RFF et à l’Agence de la Sécurité Ferroviaire et en aucun à la SNCF ! Allez expliquer cela aux citoyens !
Choix de la société leader : La société leader choisie est Vinci. Trois sociétés différentes vont être créées
1re société : LISEA dite société concessionnaire LISEA (ligne sud-est atlantique). Les membres actionnaires et la répartition du capital sont les suivants :
- Vinci pour 33,4 % des actions,
- CDC (épargne des Français) pour 25,4 % ;
- des sociétés d’investissements SOJAS pour 22 % et AXA Private Equity pour 19,2 %
- (total 100 %)
Le contrat : C’est un contrat PPP entre LISEA et RFF (et non la SNCF !). Ce contrat d’une durée de 50 ans porte sur le financement, la conception, l’exploitation et la maintenance de la LGV SEA Tours-Bordeaux. L’opération représente un investissement total de 7,8 Mds € pour la LGV la plus longue jamais financée en PPP en Europe.
Le montage financier :
Côté « Privé » (!)
- 772 M € par LISEA d’apport en fonds propres pour un montant préfinancé par les banques commerciales et la Banque Européenne d’Investissement (BEI) ce qui signifie que Vinci n’apporte dans la corbeille de mariage que 33,4 % x 772 = ~258 M € et les épargnants français, donc public, 25,4 % x 772 = 196 M €. Et les organismes financiers 22 + 19,2 % x 772 = 318 M €.
- 1060 M € (1,6 Mds €) de dettes bancaires garanties par l’État
- 612 M € de dette bancaire non garantie
- 400 M € de crédit de la BEI garantis par l’État
- 200 M € de crédit de la BEI non garanti
- soit un total dit faussement « privé » de 3,8 Mds €
ET : la BEI apporte un financement total de 1,2 Mds € (1200 M €) en intégrant la dette sénior, la part du crédit relais fonds propres financée par la banque ainsi que la garantie LGTT (Loan Guarantiee on TENT-T projects), instrument mis en place par la Banque et la Commission Européenne.
Côté public : l’autre aspect du financement du PPP
- 3 Mds € versés à la concession sous forme de subvention publique par l’État, les collectivités locales et l’Union Européenne,
- 1 Mds € versés par Réseau Ferroviaire de France (RFF) de statut public.
D’autre part RFF s’engage à investir 1 Md € pour les travaux d’aménagement du réseau existant (raccordements entre la concession et le réseau existant, aménagement de capacité en amont de la gare de Bordeaux, centre de régulation des circulations, adaptation de l’alimentation électrique, etc.).
Conclusion pour l’aspect financier : on constate que la part vraiment privée est de 258 M € soit 258/7800 = 3,3 % pour Vinci et de 318/7800 = 4,0 % pour les organismes financiers (total privé = 3,3 + 4,0 = 7,3 %). De plus cette partie privée est garantie, bordée de tous les côtés par l’État et l’Union Européenne.
2e société : COSEA (CO pour construction) pilotée par Vinci elle est chargée de la conception et de la réalisation des travaux. Elle est composée d’un pool d’entreprises, dont INEXIA créée en 2006 par la SNCF. Dans INEXIA se trouvent concentrés tous les savoirs en ingénierie ferroviaire de trams, tramways, métros, conception de voies ferrées, essais, etc. de la SNCF.
INEXIA à son tour appartient depuis 2011 au groupe SYSTRA pour 36 % du capital dans laquelle fait partie la RATP (36 %) et contenant tous ses savoirs également en ingénierie ferroviaire. Le reste du capital de Systra est entre les mains des banques.
Conclusion : Ainsi Vinci se voit obliger de faire appel à « la crème française des savoirs dans le ferroviaire » qui est publique.
3e société : MESEA (ME pour maintenance et exploitation).
Cette société est chargée de l’exploitation et de la maintenance de la ligne. Elle est détenue par Vinci à 70 % et Inexia à 30 %. C’est elle qui touchera les loyers que RFF doit lui versés pendant 50 ans, laquelle société RFF prélèvera à son tour ses loyers plus bénéfices sur les compagnies faisant rouler leurs trains sur cette ligne dont la SNCF ! On s’attend sur cette ligne à une augmentation du billet de 15 % minimum.
D’autre part RFF a sous-traité à la société privée KLB Group le « conseil opérationnel en achat et logistique ».
Dès leur création les principales centrales syndicales, des associations dont l’UFAL, dénoncèrent les PPP comme un outil supplémentaire permettant la privatisation des services publics ou dit plus familièrement le service public est vu par l’entreprise privée choisie par les princes comme « une excellente vache à lait qui rapporte gros, cash et pérenne ». Or, les prix du ferroviaire font partie de la politique familiale et du combat écologique. Il est donc temps que nos responsables politiques reviennent à la vieille bonne SNCF qui marchait très bien en fusionnant SNCF + RFF tel que demandé par la Cour des comptes et par le PDG actuel de la SNCF (voir : « 8e Rencontres nationales de Tours sur le transport régional, 8 février 2012 et « les Assises nationales du ferroviaire », 15 décembre 2011). Si non on connaitra l’échec des privatisations des chemins de fer britanniques obligés d’être re-nationalisés au prix exorbitant de 80 Mds £ : évidemment les milieux d’affaires se sont « sucrés » à l’aller et au retour.