C’est parti ! Présenté au Conseil des ministres du 14 octobre 2009, le Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS 2010) est lancé. Il se situe bien dans le prolongement des contre-réformes réalisées depuis 42 ans pour venir à bout du principe de solidarité en matière de santé et protection sociale. Dès le 27 octobre prochain, il passe en délibération au Parlement.
Oubliant de dire que le déficit du budget de la Sécu est inférieur (en valeur absolue et relative) à celui du budget de l’Etat, Eric Woerth a mis sur le compte de la crise l’augmentation de son déficit, pour ne prendre aucune mesure sérieuse pour améliorer les comptes de la Sécu. Comme si mettre en difficulté la Sécurité sociale était nécessaire pour dépecer cette institution tant convoitée par les prédateurs financiers du monde. Il a indiqué sans sourire que le déficit estimé serait de 23,5 milliards d’euros en 2009 (à 65% lié à la crise) et de 30,6 milliards (jugez la précision ! lié à 75% à la crise) d’euros en 2010.
Il a omis de dire que lui et ses amis néolibéraux sont directement responsables de cette crise. Il fait comme si la crise arrivait du ciel !
Le choix opéré par le gouvernement Sarkozy-Fillon est simple, continuons :
- augmenter les inégalités sociales de santé par le remplacement progressif de la gestion par le risque, en lieu et place du principe de la solidarité.
- développer la privatisation et la marchandisation de la santé et de la protection sociale au détriment du service public hospitalier et médico-social.
- occulter le nécessaire débat sur le financement de la protection sociale pour maintenir, voire augmenter le transfert de la valeur ajoutée au profit des dividendes versés aux actionnaires et aux puissants de ce monde.
1) On continue comme avant la crise
Après s’être félicité du quasi respect de l’Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie (ONDAM) sur 2009 (progression de 3,4 % au lieu de 3,3 %), il précise qu’il n’y aura pas de hausse des prélèvements, ni de reprise des dettes du régime général par la CADES.
Donc, c’est l’ACOSS qui assurera les fins de mois de la Sécu par la planche à billets (émission de billets de trésorerie), par les avances de la Caisse de Dépôts et Consignations (CDC) et par le marché via l’Agence France Trésor.
Il est tout juste prévu un petit élargissement cosmétique du financement vers les revenus du capital.
Quant aux dépenses, le tour de vis est passé sur l’ONDAM 2010 fixé à 3 %, ce qui oblige de faire de nouveau 2,2 milliards d’économies, ce qui contribuera à la croissance des inégalités sociales de santé.
Pour l’ONDAM des soins de ville et l’ONDAM hospitalier, ce sera 2,8 % hors sommes engagées au titre de la grippe H1N1.
Pour l’ONDAM médico-social, ce sera 5,8 % ce qui est très nettement insuffisant d’autant plus que cela favorisera surtout le privé.
2) Les médecins ultralibéraux de la médecine ambulatoire crient fort mais sont aux ordres.
Roselyne Bachelot prévoit 595 millions d’économies sur les soins de ville grâce aux instruments qu’elle a mis en place (référentiels, mise sous entente préalable et CAPI). Elle attend 240 millions de baisse en radiologie et biologie et de 460 millions sur les « produits » de santé et 47 millions sur la réintégration des médicaments dans le forfait de soins des maisons de retraite, et 145 millions sur une réduction du taux de remboursement de 35 % à 15 % pour les médicaments dit « à service faible ».
Les médecins ultralibéraux du SML et de la CSMF, qui ne s’intéressent qu’au tiroir-caisse, ont finalement accepté la proposition gouvernementale concernant le secteur optionnel. Bien que le secteur optionnel ne soit pas inclus dans le PLFSS 2010, il vient donc d’entrer dans la vraie vie par voie conventionnelle. En fait, voilà les dépassements d’honoraires légalisés par le gouvernement pour les gynécos, anesthésistes et chirurgiens. En attendant bien sûr leur élargissement. Ces braves gens pourront donc ne faire jouer le tarif opposable que pour 30 % de leur clientèle. Pour 70 % de leur clientèle (choisie à la tête du client !), ils pourront faire des dépassements d’honoraires de 50 % au-dessus du tarif opposable. Elle est pas belle la vie pour eux ! Bien évidemment, ceux qui sont en secteur 2 pourront continuer à ne jamais appliquer le tarif opposable !
Sur ce sujet, il faut relire le texte de Raymond Mari de 2008 : « Le festin des rapaces ou Les prémices de la libéralisation des honoraires médicaux ».
3) Les hôpitaux publics dans la seringue
Alors que nous avons déjà montré dans de nombreux articles que les franchises sont injustes, dommageables pour la santé publique et dangereuses pour l’économie de la sécurité sociale, voilà que l’augmentation du forfait hospitalier est proposée pour passer de 16 à 18 euros dans les services MCO et SSR et de 12 à 13,5 euros dans les services de psychiatrie.
Nous en connaissons les conséquences : augmentation des inégalités de santé, développement des maladies dans les couches sociales défavorisées et accroissement des dépenses de santé. Cette dernière conséquence, paradoxale, est due au fait que la renonciation de soins entraîne à terme une entrée plus importante par le service des urgences.
Quant à l’ONDAM hospitalier il est fixé à 2,8%. De plus, il y aura des « expérimentations » dès l’année prochaine sur une « nouvelle approche tarifaire » visant à la « convergence public-privée » des prix. Voilà qui promet une nouvelle accélération du système de la privatisation des profits et des socialisations des pertes largement entamé par les contre-réformes précédentes.
4) La montée en charge du médico-social notoirement insuffisante
L’ONDAM médico-social est fixé à 5,8 % principalement pour le secteur privé. En théorie, cela permet la création de 7 500 places nouvelles en EHPAD, 6 000 places de SSIAD et 3 300 places d’accueil de jour et d’hébergement temporaire. Bien évidemment, tout cela est insuffisant notamment pour les maladies neuro-dégénératives mais surtout cela ne prend pas en compte les inégalités sociales de santé et rien n’est prévu pour la fermeture des « mouroirs » ouverts aux aînés des familles n’ayant pas de moyens suffisants.
5) Y a-t-il une alternative ?
La réponse est oui. Mais elle demande de tordre la répartition de la valeur ajoutée dans un sens contraire de celui qui fonctionne depuis plus d’un quart de siècle : plus pour les cotisations sociales, les salaires directs et l’emploi et moins pour les profits. Il faut regagner tout ou partie des 9,3 points de PIB par an (170 milliards d’euros par an) qui correspondent à la déformation de la valeur ajoutée entre les revenus du travail et les cotisations sociales d’une part et les profits d’autre part. Ce qui revient à dire qu’il faut baisser le taux d’exploitation des travailleurs. Mais comme les actuels bénéficiaires de la déformation de la valeur ajoutée ne se laisseront pas faire, il convient bien ici de les y contraindre.
Des centaines de milliards ont été mobilisés pour aider les spéculateurs bancaires et assurantiels dans cette crise. Personne ne peut dire aujourd’hui qu’aider à une protection sociale solidaire est impossible. Mais cela revient donc au choix prioritaire : soit la protection sociale solidaire soit la recherche effrénée de l’accroissement des taux de profit via une spéculation pour une minorité de privilégiée. Voilà le dilemme posé.
La réforme de la protection sociale solidaire va de pair avec un projet de sortie de crise économique par un dépassement du capitalisme lui-même.
Lexique
CADES : Caisse d’amortissement de la dette sociale
ACOSS : Agence centrale des organismes de sécurité sociale
CAPI : Contrat d’amélioration des pratiques individuelles
SML : Syndicat des médecins libéraux
CSMF : Confédération des syndicats médicaux français
MCO : Médecine, Chirurgie, Obstétrique
SSR : Centres de soins de suite et de rééducation
EHPAD : Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes
SSIAD : Services de soins infirmiers à domicile
Bernard Teper