Déréglementer, libéraliser, privatiser
Le marché intérieur de l’énergie est constitué des marchés européens du gaz et de l’électricité. Il a pour origine le traité de Paris de 1951 qui a donné naissance à la CECA en 1952, le traité Euratom de 1957 et la déclaration de Messine de 1955. Dans cette dernière, les ministres européens affirmaient que des mesures devraient être mises en œuvre « pour développer les échanges de gaz et de courant électrique propres à augmenter la rentabilité des investissements et à réduire le coût des fournitures » et « pour coordonner les perspectives communes de développement de la production et de la consommation d’énergie et pour dresser les lignes générales d’une politique d’ensemble ».
Jusque-là tout allait bien puisqu’il s’agissait de coopérer à l’échelle européenne !
La libéralisation en Europe des marchés de l’énergie a véritablement commencé en 1997 pour l’électricité (Directive 96/92/CE) et en 2000 pour gaz naturel (Directive 98/30/CE).
Au sommet de Lisbonne des 23 et 24 mars 2000, les chefs d’État et de gouvernement ont affirmé leur volonté « d’accélérer la libéralisation dans des secteurs tels que le gaz et l’électricité ». Le Conseil de l’Union européenne du 25 novembre 2002 a conclu un accord prévoyant la libéralisation de ces marchés pour les clients non résidentiels au plus tard le 1er juillet 2004, suivie d’une ouverture complète pour tous les clients au plus tard le 1er juillet 2007.
Ces accords se sont traduits dans plusieurs textes adoptés en juin 2003, notamment :
- le règlement (CE) n° 1228/2003 sur les conditions d’accès au réseau pour les échanges transfrontaliers d’électricité ;
- la directive 2003/54/CE concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité (abrogeant la directive 96/92/CE) ;
- la directive 2003/55/CE concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel (abrogeant la directive 98/30/CE).
Présenté en janvier 2007, le troisième paquet énergie a été adopté le 13 juillet 2009. Il concerne notamment, dans le domaine du gaz et celui de l’électricité : la séparation effective entre la gestion des réseaux de transport d’une part, et les activités de fourniture et de production d’autre part. Cette séparation doit permettre une meilleure concurrence en évitant qu’un opérateur prenne le contrôle de l’ensemble de la chaîne de production et de distribution ; la surveillance réglementaire et la coopération entre régulateurs, notamment par la création d’une agence de coopération des régulateurs de l’énergie afin de favoriser l’interconnexion des marchés énergétiques, qui doit permettre d’accroître la sécurité d’approvisionnement en cas de surcharge ou d’incident sur un marché national la coopération entre les gestionnaires de réseau ; la transparence et la conservation des données et enfin, l’accès aux installations de stockage et de GNL.
Le paquet comprend cinq textes, dont deux directives qui nécessitent des mesures de transposition dans le droit interne :
- le règlement (CE) n° 713/2009 instituant une agence de coopération des régulateurs de l’énergie ;
- le règlement (CE) n° 714/2009 sur les conditions d’accès au réseau pour les échanges transfrontaliers d’électricité (abrogeant le règlement (CE) no 1228/2003) ;
- le règlement (CE) n° 715/2009 concernant les conditions d’accès aux réseaux de transport de gaz naturel (abrogeant le règlement (CE) no 1775/2005) ;
- la directive 2009/72/CE concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité (abrogeant la directive 2003/54/CE) ;
- la directive 2009/73/CE concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel (abrogeant la directive 2003/55/CE).
La Commission européenne a donc mis le « paquet » pour appliquer les décisions des gouvernements européens au sommet de Lisbonne. Mais comme d’habitude dans la structuration de l’UE, les décisions prises à l’échelle européenne suscitent des réticences et des freins de la part des fonctionnaires des États et des citoyens. Le gouvernement français a donc, dans la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant organisation du marché de l’électricité, dite loi NOME, organisé une réorganisation du marché de l’électricité pour permettre une ouverture effective du marché.
L’ARENH, ou Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique, a été créé pour permettre aux fournisseurs alternatifs d’électricité de bénéficier d’un tarif fixe à l’achat d’un certain volume d’électricité produite dans les centrales nucléaires. EDF, fournisseur historique, bénéficiait d’une grande quantité d’électricité produite à un coût relativement bas et stable, grâce à des centrales nucléaires déjà amorties. D’autre part, les fournisseurs alternatifs étaient soumis aux variations des cours des marchés. L’avantage d’EDF, dû à son quasi-monopole de la production d’électricité en France, était jugé incompatible avec le développement de la concurrence sur le marché de l’électricité. Ainsi, l’ARENH est un dispositif qui oblige EDF à vendre une partie de sa production d’électricité aux fournisseurs concurrents, s’ils en font la demande, dans la limite de 100 TWh par an, soit environ un quart de la production d’électricité nucléaire. Le prix fixe est de 42 euros par MWh depuis 2012.
Jusqu’en 2010 et la libéralisation des marchés de l’énergie, le prix de l’électricité pour l’usager était calculé en fonction des coûts comptables d’EDF. Les nouveaux entrants sur le marché n’ayant pas d’outils de production, la Commission de régulation de l’énergie (CRE), a dû réfléchir à de nouvelles strates de tarification. Elle a proposé un tarif à empilement en tenant compte des différents postes : achat, transport, coûts commerciaux. Depuis, le tarif réglementé s’élève régulièrement, et a récemment explosé. En janvier 2002, la CRE estimait l’augmentation de l’électricité à 43 %. L’ouverture à la concurrence a donc affaibli les grandes entreprises productrices : un quart de la production nucléaire d’EDF est réservée, à prix coûtant, aux fournisseurs alternatifs d’énergie. Les salariés d’EDF travaillent donc en partie pour la concurrence, une concurrence qui ne crée pas ou peu d’emplois, qui refuse le risque industriel et qui profite d’un marché, sur le dos des usagers.
Un « Programme Progressiste de l’Énergie » alternatif à la libéralisation dogmatique de l’énergie en Europe a été conçu par la Fédération nationale des mines et de l’énergie FNME CGT. Ce programme prend en compte les enjeux sociaux et économiques d’aujourd’hui, et notamment la nécessité d’une transition énergétique réduisant la précarité énergétique d’un nombre croissant de familles tout en permettant aux entreprises de produire. C’est pourquoi l’Ufal, comme la CGT, réclame un vrai service public de l’énergie, qui passe par la nationalisation de l’ensemble du secteur de l’énergie : celui-ci doit sortir de l’économie de marché. Le gaz et l’électricité ne sont pas des marchandises mais des produits d’intérêt général.
Article issu du numéro 90 d’ufal INFO dont le thème central est la problématique de l’énergie