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La fin de vie est un sujet porté depuis longtemps par les militants laïques notamment. Une question à première vue compliquée, mais pourtant nécessaire, que le gouvernement semble vouloir mettre sur le tapis dans les semaines à venir.
C’est en ce sens que nous avons posé quelques questions à Christian Gaudray, président de l’Union des Familles laïques, qui étudie cette question depuis des années.
D’abord, de quoi s’agit-il très concrètement ?
Parler de fin de vie, c’est parler de la période précédant la mort. Il peut s’agir des instants qui précèdent immédiatement la mort, de quelques jours à quelques heures. Mais cette période peut-être plus longue, de quelques mois à quelques années ou plus, pour les personnes atteintes de maladie chronique évolutive sans possibilité de guérison.
Pour certaines maladies, par exemple en cas de cancer, les progrès de la médecine font reculer l’échéance de la mort, mais parfois au prix d’une qualité de vie fortement altérée.
Enfin, on parle de fin de vie pour évoquer la dernière période de la vie qui met un terme à une vieillesse plus ou moins longue. On raisonne alors en années, parfois au-delà de dix ans.
Si tout le monde connaît la première situation, celle qui précède immédiatement la mort, il n’en va pas de même pour les autres périodes de fin de vie qui dépendent du parcours de vie et de santé de chacun. Il existe beaucoup de situations différentes, mais aussi, beaucoup d’inégalités dans ce domaine, sociales, territoriales ou de genre.
Aujourd’hui, la moitié des décès surviennent en milieu hospitalier, environ le quart à domicile, un peu plus de 10 % en EHPAD ou maison de retraite, le reste dans différents autres lieux, alors que 85 % des Français déclarent souhaiter mourir à domicile.
Débattre de la fin de vie, c’est débattre de la qualité de la fin de vie. C’est dans ce cadre que se situe le refus de l’acharnement thérapeutique. La qualité de la fin de vie, c’est aussi la maîtrise de la douleur, physique, mais aussi psychologique. C’est tout le champ des soins palliatifs, en établissement ou à domicile. Mais c’est aussi le champ de l’accompagnement, du soutien des aidants, de la lutte contre les inégalités.
Il y a donc un double enjeu, celui de mourir dans la dignité quand on est au bout du parcours, et celui d’avoir une fin de vie digne et aussi pleine de vie que possible quand on n’est pas encore au bout du parcours, en ayant un accompagnement et une prise en charge de qualité, qui fait grandement défaut aujourd’hui en France (par exemple, 26 départements ne disposent pas d’unité de soins palliatifs).
Qu’en est-il du suicide assisté ?
Aujourd’hui, se pose la question du principe et des conditions d’accès à une aide active à mourir, soit en fournissant à la personne concernée un produit qu’elle utilisera elle-même pour mettre fin à ses jours (suicide assisté), soit en laissant à un professionnel de santé la réalisation de l’acte mettant fin à la vie de la personne concernée (euthanasie).
Dans les deux cas, c’est la personne qui décide d’interrompre sa vie, mais le rôle des soignants diffère selon le type d’aide apportée.
L’exercice de cette liberté suppose différentes conditions, en particulier celle d’être en état intellectuel et psychique de choisir, celle d’avoir le choix des moyens et d’être en capacité de les mettre en œuvre ou de se faire assister et enfin celle de ne pas se trouver en situation de choix contraint notamment par manque d’accompagnement, de soutien ou prise en charge insuffisante de la douleur.
La question de l’aide active à mourir doit donc être débattue au regard de ces différentes conditions. Le recours à cette aide doit être l’exercice d’une liberté et en aucun cas le moyen de pallier les dysfonctionnements ou les lacunes de notre système de santé.
Il s’agit d’ouvrir de nouveaux droits aux personnes en fin de vie, afin que chacun puisse, en fonction de ses propres convictions, choisir ce qui lui convient de façon libre et éclairée. Cette possibilité ne constitue bien sûr pas une obligation pour quiconque, mais bien un choix nouveau, s’ajoutant aux dispositions déjà en vigueur. Il s’agit de mettre fin à une hypocrisie et aux inégalités qui n’ont que trop duré.
L’INED estime qu’entre 2 000 et 4 000 personnes terminent leur vie, chaque année en France, grâce à l’assistance active à mourir d’un médecin. Ces pratiques médicales sont cachées et ne sont pas contrôlées, qui peut accepter cela ? Certaines personnes peuvent financièrement se permettre de se déplacer à l’étranger, en Suisse et en Belgique notamment, pour bénéficier d’une fin de vie conforme à leurs volontés, quand d’autres n’en ont pas les moyens, ce qui constitue une inégalité supplémentaire face à la mort.
Il ne s’agit pas d’une question récente dans le débat public. Que pouvez-vous nous dire des pas en avant et des reculades liées à ce sujet ces dernières années ?
Ce n’est en effet pas une question récente. La mise en œuvre des soins palliatifs date de la fin des années 1980, et la législation les a structurés au cours des années 1990.
En 2002 (Loi Kouchner), les droits des malades sont enfin reconnus. Pour ce qui concerne la fin de vie, il s’agit du droit à l’accompagnement et celui de faire valoir ses souhaits, ainsi que la reconnaissance de la personne de confiance. Mais la formalisation est insuffisante et ne garantit pas le respect de la volonté du patient.
En 2005 (Loi Leonetti), la loi permet la rédaction de directives anticipées et introduit la notion d’obstination déraisonnable.
En 2016 (Loi Claeys-Leonetti), les directives anticipées deviennent opposables et la sédation profonde et continue est permise pour certains cas : patients atteints d’une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme présentant une souffrance réfractaire aux traitements.
Nous en sommes là aujourd’hui, et le Conseil constitutionnel vient de valider que le médecin peut écarter les directives anticipées, « notamment lorsqu’elles sont manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale du patient ».
Quand on regarde le nombre de pays qui ont légalisé ou dépénalisé l’euthanasie et/ou le suicide assisté, depuis les Pays-Bas et la Belgique en 2002 jusqu’à la Nouvelle-Zélande l’an dernier, cela donne le vertige.
Pendant ce temps, en France, nous avons multiplié les propositions de loi, les avis du CCNE ou du CESE, les avis citoyens, les rapports ou les commissions. Mais alors que plus de 95 % des Français estiment que chacun devrait avoir le droit de choisir la façon de finir sa propre vie, les lobbys médicaux et cléricaux sont parvenus à empêcher toute avancée.
Rappelons qu’en 1981, la peine de mort est abolie cinq mois après l’élection de François Mitterrand alors que deux tiers des Français sont favorables à son maintien. Le courage politique, c’était avant !
La crainte du franchissement d’une « barrière morale » concernant la mort subsiste. Qu’avez-vous à y répondre ?
Ce que vous appelez « barrière morale », c’est le « tu ne tueras point » de la bible et le « je ne provoquerai jamais la mort délibérément » du serment d’Hippocrate des médecins.
Nous sommes plus dans le registre du dogme que dans celui de la morale. En tant que militant laïque, c’est le respect de la liberté de conscience qui m’importe, et elle est bafouée quand il n’est pas possible de décider de sa propre mort. La mort reste d’ailleurs le seul moment de la vie pour lequel le dogme l’emporte sur la liberté de conscience, c’est pourquoi il faut considérer que le combat pour l’aide active à mourir est un combat laïque.
L’aide active à mourir serait aussi une avancée républicaine, elle invoque la liberté (de conscience et de ne pas se faire dicter son « destin »), l’égalité (le même droit pour tous et pas seulement pour ceux qui ont les moyens d’aller à l’étranger ou la chance de connaître un médecin compatissant) et la fraternité (en permettant l’exercice d’une liberté).
Ce sujet semble recouvrir des questionnements tant philosophiques que scientifiques et politiques, comment vous positionnez-vous pour éviter le manichéisme ambiant ?
Le questionnement central est celui de la notion de dignité. Il faut expliquer ce que l’on entend par « dignité ».
En effet, comme toujours, les mêmes mots peuvent se voir utiliser dans des sens forts différents selon ceux qui les emploient. Pour les catholiques par exemple, la dignité subordonne la liberté et l’égalité, et réside dans des droits personnels, ce qui est en totale opposition avec les valeurs républicaines et avec les Droits de l’Homme et du Citoyen.
Avec cette conception, il ne reste plus qu’à un groupe de pression dogmatique, d’essence religieuse ou non, à imposer un contenu à cette dignité pour prétendre défendre l’intérêt des individus au nom de valeurs censées s’imposer à tous. Toutes sortes de dérives peuvent dès lors s’imaginer.
Tel groupe fera pression pour restreindre la liberté de certains au nom de la dignité (les handicapés mentaux par exemple), voire en supprimer d’autres (les souffrances liées à certaines pathologies incurables sont intolérables, « abrégeons » — les !). Tel autre groupe justifiera l’enfermement des femmes de sa communauté pour que leur dignité soit respectée, c’est-à-dire les soustraire aux regards des hommes.
Il est donc nécessaire de rappeler ce que recouvre la dignité, et d’affirmer que nul ne doit pouvoir définir et imposer sa conception de la dignité de l’être humain aux autres en dehors d’un cadre démocratique à visée universelle.
La dignité de l’Homme concerne l’humanité dans son ensemble. Il paraît donc logique que la réflexion s’organise dans un cadre international et démocratique. Ainsi, des amorces de définition ont été formulées dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 (ONU), la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme de 1997 (UNESCO, reprise par l’ONU en 1998) et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne de 2000.
Les fondements de la notion de dignité ont été posés par Kant. Seule la conscience morale garantit à l’homme sa dignité, et ses agissements ne doivent pas contrarier l’universalité. Or Rousseau nous a enseigné que cette universalité ne pouvait découler que d’une volonté générale.
La question est donc : sommes-nous collectivement responsables de la dignité d’autrui ?
Le point de vue kantien fonde la dignité sur l’interdiction de voir en l’autre un moyen. La dignité réside dès lors dans l’autonomie et la promotion de l’autonomie de la personne. Si l’exercice de la liberté doit se faire dans le respect de la dignité de chacun, la détermination de cette dignité doit se faire dans le respect de l’autonomie de chacun. La dignité est une valeur intrinsèque, elle ne se négocie pas, elle ne s’achète pas, car elle relève de ce qui n’a pas de prix. Elle se respecte.
Ce sont donc les conditions d’accès à ce respect qui doivent être au cœur du débat. Et en défendant le respect de la dignité, c’est donc bien la défense du respect de la liberté et du libre arbitre qu’il faut viser.
Les dogmes catholiques semblent avoir encore prise, dans une certaine mesure, au sein de la société. Ce combat permet-il aussi d’affirmer l’existence d’une morale laïque et d’une dignité laïque ?
La laïcisation de notre droit, et donc de nos vies, a débuté en 1792 avec la laïcisation de l’état civil et l’autorisation du divorce. Les registres paroissiaux cèdent alors la place aux registres d’état civil, qui consignent les naissances, les mariages et les décès. Le mariage civil devient la forme légale du mariage : on se marie au nom de la loi et plus devant dieu.
C’est un long cheminement qui s’amorce, avec des retours en arrière, comme pour le divorce, interdit de nouveau en 1816 et qui ne sera rétabli qu’en 1884. En 1887, le principe de liberté de choix des funérailles est garanti, à la fois pour les modalités des obsèques (civiles ou religieuses) et pour le choix du mode de sépulture (inhumation ou crémation).
Vient ensuite le combat pour l’égalité femmes-hommes, qui ne devient un principe constitutionnel qu’en 1946. Puis celui pour le droit à disposer de son corps avec en 1967 la loi autorisant la contraception et en 1975 celle dépénalisant l’avortement. On peut citer ensuite l’égalité entre enfant légitimes, naturels et adultérins en 2001 et l’autorisation du mariage pour les couples de même sexe en 2013.
Toutes ces avancées sont autant de reculades pour les cléricaux qui entendent régir nos vies par leurs dogmes. Si la tension est si grande aujourd’hui autour de la question du droit de mourir dans la dignité, c’est parce que la mort est leur dernier bastion.
Il convient de différencier morale et éthique. La morale, ce sont des règles de conduite normatives fondées sur des valeurs relatives et auxquelles on s’oblige. L’éthique est quant à elle une régulation impartiale de l’action établie par la société à partir d’une réflexion argumentée, qui fait donc appel à la raison et à l’autonomie de la pensée.
Il y a donc dans l’éthique une nécessité de justifier ce qui est énoncé qu’il n’y a pas dans la morale.
Débattre de bioéthique ne consiste pas à opposer des morales inconciliables, mais à distinguer des opinions dans leur pluralité et en conscience, pour parvenir à les réguler selon ce qui semble le plus juste. La bioéthique touche les problématiques d’accès aux droits, d’autonomie, de dignité, de liberté individuelle, de libertés publiques, de liberté de conscience, de responsabilité individuelle et collective, tant de sujets qui tiennent à cœur aux militants laïques.
C’est pourquoi je préfère me référer à une vision laïque d’une éthique de la vie plutôt qu’inventer une « morale laïque ». La laïcité — au sens de la séparation d’avec le religieux — est au contraire une condition de la morale comme de la science. Sans elle, il n’y a ni recherche ni éthique possibles, mais seulement un catéchisme et la justification des dogmes.