Le mot « euthanasie » ne figurait pas dans la proposition 21 du candidat à la présidence de la République François Hollande. La formulation ne laissait pourtant pas de place au doute : pouvoir « demander à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité », qu’est-ce donc d’autre que légaliser l’euthanasie, certes limitée aux personnes en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable.
La France s’est forgé une solide tradition : toute décision pour faire avancer les droits doit être précédée de commissions, de grands débats et d’une multitude de rapports, alors que tous les reculs sociaux sont expédiés au parlement en deux temps trois mouvements.
François Hollande s’empressa donc de désigner une commission sur la fin de vie présidée par le professeur Sicard, qui vient de rendre son rapport.
À quoi sert donc une commission ? À dire ce que tout le monde sait, à savoir que la situation de la fin de vie en France est catastrophique et que les lois actuelles (loi visant à garantir l’accès aux soins palliatifs en 1999, loi relative aux droits des malades en 2002 et loi Leonetti en 2005) sont mal appliquées, mais, et c’est là tout l’intérêt de désigner une commission, avec une grille de lecture très particulière qui permet d’orienter les conclusions. En l’occurrence, la commission Sicard pose comme postulat que la loi Leonetti est bonne, et que si elle n’est pas appliquée, ce n’est pas qu’elle ne répond pas aux attentes et aux besoins, mais que tout le monde (médical) y met de la mauvaise volonté. Comment peut-on sérieusement envisager la problématique de la fin de vie si on refuse de se poser la question qui permet d’exercer un véritable esprit critique et adogmatique : et si la loi Leonetti n’était pas bonne ? La manœuvre est grossière, le Président va faire une saisine du Comité consultatif national d’éthique sur la base des conclusions du rapport Sicard, exit donc la légalisation de l’euthanasie, et… exit de nouveaux ennuis après la gestion hasardeuse du mariage pour tous.
Au chapitre des points positifs, le rapport dresse un constat sans appel et dénonce « le caractère particulièrement dramatique des inégalités au moment de la fin de vie », ce qui, soit dit en passant, souligne en miroir le caractère propagandiste anti-euthanasie du rapport que l’Observatoire national de la fin de vie (organisme adossé à la Fondation Œuvre de la Croix Saint-Simon) a publié en pleine campagne électorale, pour qui tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Autre point positif, la tarification à l’activité est étrillée, tant il est vrai que c’est dans l’accompagnement palliatif de la maladie et de la fin de vie qu’elle a montré sa nocivité la plus notoire.
Enfin, le rapport ose entrouvrir la porte à l’assistance médicale au suicide, mais pour en bénéficier, il faudra être en pleine possession de ses facultés mentales et être un minimum autonome, ce qui va sérieusement en limiter la portée, car le plus important est de protéger le monde médical de toute dérive transgressive.
Et très vite, les circonvolutions pour refuser la légalisation de l’euthanasie mènent à des contradictions : le laisser mourir de la loi Leonetti est « cruel » et doit donc être humanisé par une sédation se traduisant par un coma provoqué non transitoire et la mort, ce qui n’aurait rien à voir avec l’euthanasie puisque « l’intention n’est pas a priori la même ». Et là, la commission pratique le funambulisme : « on peut constater que s’il n’existe pas de moyens irréfutables pour connaître l’intention, il est possible de l’approcher en analysant les doses et les modalités d’administration de sédatifs ». Voici donc à quoi tient la fameuse transgression de l’interdit !
L’hypocrisie, c’était hier et c’est encore maintenant. Et le courage politique (minime étant donné la maturité de l’opinion, y compris aujourd’hui du corps médical, sur la légalisation de l’euthanasie), c’est pour quand ?