Le nouveau documentaire de François Ruffin, « Debout les femmes ! » réalisé en collaboration avec Gilles Perret (« La sociale ») était très attendu après le succès de « Merci Patron ! » et de « J’veux du soleil ». Ces deux précédents opus avaient démontré que le député-reporter (comme il se décrit lui-même) avait un don pour capter la réalité sociale d’une classe ouvrière atomisée et anéantie par la machine à broyer capitaliste.
Avec « Debout les femmes ! », Ruffin s’attaque désormais à la situation sociale révoltante des femmes de l’ombre (car il s’agit essentiellement de femmes) qui jouent pourtant un rôle décisif dans le fonctionnement de notre pays : femmes de ménage, aides à domiciles, auxiliaires de vie scolaire… Ces dernières de cordée, pourtant drapées de toutes les vertus par Emmanuel Macron pendant la crise sanitaire, sont dans les faits obligées de travailler dans des conditions indignes et ce, dans l’indifférence généralisée de l’ensemble du champ politique et médiatique. Qui se soucie que ces femmes soient contraintes de travailler en horaires décalés, sans formation, dans la précarité absolue de l’emploi, le tout pour un salaire de misère inférieur au seuil de pauvreté ?
François Ruffin a bénéficié d’une opportunité rare pour attirer l’attention médiatique sur ces travailleuses essentielles qui constituent le nouveau sous-prolétariat de notre pays. Désigné co-rapporteur d’une mission parlementaire sur les métiers du lien social, il va filmer sa mission pour mieux donner la parole aux principales intéressées. Flanquée d’un co-rapporteur LREM au passif ultralibéral assumé (Bruno Bonnell), la mission parlementaire partait mal. Pourtant, la mayonnaise prend entre les deux protagonistes et ils se lancent dans un road-movie parlementaire aussi touchant qu’improbable. Les deux compères députés enchaînent les rencontres, donnent la parole aux intéressés, s’indignent de la situation sociale de ces travailleuses maltraitées, dont la maltraitance sociale et institutionnelle est entretenue justement parce qu’il s’agit de femmes pauvres…
Et l’on se prend à croire à un miracle : et si la macronie pouvait atteindre à l’humanité, à l’instar du député Bonnell ? Nous nous prenons à rêver un instant que leur proposition de loi redonne une dignité à ces travailleuses infatigables, comme ces femmes de ménage de l’assemblée obligées de se lever à 4 heures du matin pour permettre aux députés de travailler dans des locaux propres sans qu’ils aient aperçu les petites mains qui récuraient leurs toilettes… Nous nous prenons à rêver que ce duo improbable parviendra à redonner ses lettres de noblesse à l’action parlementaire, après cinq années de monarchie présidentielle poussée à son paroxysme. Rassurons-nous toutefois (si l’on peut dire), le miracle n’aura pas lieu. Chassez le naturel macroniste, il revient au galop avec toute sa froide inhumanité.
Évidemment, Ruffin fait de la politique et ne s’en cache pas. Il est la cheville ouvrière de ce documentaire et il se met en scène. Mais la force de ce documentaire tient au fait que Ruffin ait choisi de s’effacer derrière le témoignage des femmes, dont la parole forte, prend aux tripes.
Le talent de Gilles Perret est à saluer dans sa réalisation sobre, mais efficace. C’est lui qui permet d’éviter l’écueil de l’exercice de communication politique. Sous la caméra de Perret « Debout les femmes ! » prend une dimension cinématographique indéniable, magnifiée par la dernière scène du film, absolument émouvante.
« Debout les femmes ! » est une réussite, car il permet de porter au grand jour la réalité sociale de milliers de travailleuses jusqu’à présent ignorées du débat politique. En ce sens, Ruffin a parfaitement compris que les victoires sociales devaient, désormais, passer par la bataille de l’opinion publique. Ruffin propose par là même de repenser l’action politique : il nous invite à partir de la réalité sociale concrète des travailleurs comme point de départ de l’action politique. Visibiliser la situation objective des exclus du capitalisme comme préalable à la transformation sociale, en somme. Serait-ce un moyen de réenchanter l’action politique, parlementaire et démocratique ? C’est, en tout cas, le pari que fait Ruffin. Avec un talent indéniable.
Quoiqu’il en soit, « Debout les femmes ! » est un formidable outil d’éducation populaire, à voir et à utiliser d’urgence dans toutes nos actions militantes.