Comme désormais chaque fin d’année, nous assistons encore une fois à une attaque en règle contre les « mutuelles » (pas les assurances) accusées de tous les maux. C’est oublier que les taxes décrétées par les pouvoirs publics atteignent aujourd’hui 2 mois de cotisations, que les transferts de charge n’ont jamais été aussi importants, et que la réglementation impose de détenir des réserves financières considérables… Comment s’étonner dans ces conditions d’une augmentation des cotisations ?
Et comme par hasard, arrive le projet de « grande sécu » qui serait une importante avancée sociale.
Emmanuel Macron, qui avant d’entrer en politique, a fait sa carrière de banquier d’affaires chez Rothschild avant de devenir millionnaire, se serait-il soudainement mué en admirateur d’Ambroise Croizat ? Le président serait-il finalement un homme de gauche ?
Avant de répondre à cette question, demandons-nous tout d’abord si l’objectif de ce projet est la mort des mutuelles ? On peut en douter. En effet comment imaginer qu’Emmanuel Macron voudrait la peau des complémentaires alors qu’il a récemment décidé de les rendre obligatoires d’ici à 2026 dans les 3 fonctions publiques ? Qu’il conditionne désormais l’obtention du RSA à la souscription de la CSS (ex CMU), et que l’idée d’une mutuelle obligatoire pour les retraités avance peu à peu ? Ce que je veux montrer, c’est que depuis la mise en place des contrats obligatoires pour les salariés du privé (ANI 2016), les gouvernements qui se sont succédé n’ont eu de cesse de vouloir construire un second niveau de RO. Nous verrons pourquoi un peu plus loin.
Cherchons tout d’abord ce qui se cache derrière ce projet de « grande sécu » …
Dans le scénario n°2 du rapport du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) qui retient essentiellement l’attention, il s’agit d’étendre le champ d’intervention de la sécurité sociale en généralisant le dispositif des affections de longue durée, c’est-à-dire le 100%, à l’ensemble des patients et prises en charge de assurés sociaux.
Nous sommes une nouvelle fois devant une opération d’enfumage à la veille des élections, ce qui prêterait à sourire, si elle ne portait le risque pas d’affaiblir gravement notre Sécu…
L’idée, à première vue est séduisante. Après tout, les mutuelles santé, et Mutuale dont je suis le président, ne sont essentiellement que le fruit des désengagements successifs du régime obligatoire. Et si l’on veut rester cohérent avec l’idée d’une sécurité sociale intégrale (1), je suis tout à fait d’accord pour dire que nos organismes devraient investir d’autres champs d’activité, à commencer par la réalisation d’œuvres sanitaires et sociales, la prévention, l’éducation populaire, l’action sociale, etc…. Quant aux salarié(e)s des mutuelles, ils pourraient être reversés en partie et progressivement vers l’AMO.
Quoi qu’il en soit, si je devais qualifier le projet de « Grande Sécu », porté quoi qu’on en pense par Olivier Véran et Emmanuel Macron, je serai tenté de paraphraser la chanson de Dalida, « Paroles, paroles » . Nous sommes une nouvelle fois devant une opération d’enfumage à la veille des élections, ce qui prêterait à sourire, si elle ne portait le risque pas d’affaiblir gravement notre sécu…
En effet, entre les effets d’annonce, les réelles pistes de réflexion du projet, et ce que veut mettre en œuvre le gouvernement avec le PLFSS 2022, se dessine une vision très libérale de cette « grande sécu ». Selon le rapport, il s’agirait de rendre la couverture santé plus accessible, sans avoir besoin de recourir à une complémentaire, afin de rendre aux ménages, « sous forme d’augmentation de leur pouvoir d’achat, une fraction importante des charges de gestion des mutuelles» .
Cette petite musique n’est pas nouvelle. A chaque fois que nous l’avons entendue, nous n’avons rien vu ruisseler, bien au contraire. C’est un prétexte, c’est l’arbre qui cache la forêt… et des orientations inquiétantes.
Pour le HCAAM, le projet faciliterait la mise en place de paiements forfaitaires ou à la performance des professionnels. Permettez-moi de traduire, le paiement à la performance, c’est le principe de la T2A.
Là encore je m’interroge alors que l’IRDES (Institut de recherche et documentation en économie de la santé) indiquait dans une étude de 2009 (2), « qu’en tant que mode de financement, la T2A n’a aucune vocation à assurer une couverture optimale des besoins ni à améliorer la qualité des soins» . A ce stade, on ne peut être que très pessimiste à l’idée que l’état puisse gérer la Sécurité Sociale comme il gère l’hôpital public…
Dans ce contexte, quid des complémentaires santé ? Leur activité remboursement de soins serait réduite de façon importante. Leur champ d’intervention se limiterait aux exigences particulières des patients, comme la chambre particulière, certains dispositifs médicaux non retenus par la sécurité sociale ou encore les dépassements d’honoraires qui seraient toujours autorisés. De même, concernant l’optique, le dentaire et l’audioprothèse, les mutuelles n’interviendraient pas sur le 1er niveau, mais sur ceux avec reste à charge, ceux où il faut sortir la carte bleue pour bénéficier des dernières techniques ou des meilleurs équipements… En un mot, les mutuelles deviendraient des surcomplémentaires… avec toutes les inégalités que cela comporte pour ceux qui ne pourraient y accéder…
N’oublions jamais que la plus belle, la plus solidaire et la moins chère des mutuelles, c’est la Sécurité sociale !
Autre question, comment financer cette grande Sécu et l’accroissement des dépenses prises en charge par l’AMO (Assurance Maladie Obligatoire) ? Il conviendrait selon ce projet d’augmenter les prélèvements obligatoires, en s’appuyant sur plusieurs sources. Les cotisations patronales pourraient augmenter, ce dont on peut douter fortement, vu qu’elles n’ont cessé de diminuer depuis quelques années. Par contre, le recours à la TVA et la CSG est bien évoqué.
Il ne faut pas être devin pour dire que la cotisation sociale, seule garante d’un financement pérenne de l’institution, va être un peu plus attaquée, et comprendre que la grande sécu version Macron, est bien loin de la version originale du CNR.
Il va sans dire qu’il n’est pas question de revenir à l’élection des administrateurs pour gérer la Sécurité Sociale, mais au contraire, d’accentuer l’étatisation de l’institution et le recours à l’impôt pour la financer.
Un bon indicateur de mon propos reste le projet de loi de finance de la Sécurité Sociale 2022 qui vise à intégrer le financement de l’assurance-chômage au PLFSS. Autrement dit, ce serait l’État qui reprendrait entièrement la main, alors même que c’est l’Unédic qui commande aujourd’hui. Il prévoit aussi que, dorénavant, 28 % de la TVA seront affectés au budget de la Sécurité Sociale.
C’est l’autre versant de l’abandon progressif de la cotisation sociale avec pour objectif la remise en cause de l’indépendance de la sécu qui passera encore plus sous la coupe de l’État, la soumettant davantage aux exigences politiques et économiques du moment, au lieu d’être gérée par les assurés sociaux eux-mêmes via leurs organisations syndicales.
Il est inutile de rappeler que depuis 2019, les allègements décidés par les pouvoirs publics ne sont plus compensés, ce qui aboutit mécaniquement à un creusement du « trou » de la Sécurité sociale. Il n’est pas la peine non plus de rajouter que c’est le gouvernement actuel qui a décidé de faire endosser aux organismes sociaux le fardeau de la « dette Covid » . Autant de cadeaux qui ravissent le patronat mais qui coûtent très chers à la Sécurité Sociale et aux assurés sociaux.
« Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage » dit le proverbe. Si l’on voulait tuer la sécurité sociale, on ne s’y prendrait pas autrement, et ce projet de « grande sécu » n’est que de la poudre aux yeux.
Le risque, à terme, c’est de la voir soumise aux règles du libéralisme financier, comme celle appliquée à l’hôpital aujourd’hui au bord de l’implosion. Elles évolueraient au bon vouloir des différents partis politiques qui se succéderont et selon le niveau des impôts et taxes qu’ils décideront.
Par ailleurs, on nous explique déjà aujourd’hui qu’il faudra bien rembourser un jour la dette Covid, et que cela ne pourra pas se faire sans une baisse drastique des dépenses publiques.
Dans ce contexte, il est à craindre de voir à terme la sécu réduite à sa plus simple expression, vidée de sa substance, et centrée sur les seuls risques lourds « non rentables » . Certes ces derniers seraient remboursés intégralement, mais tout le reste risque fort d’être transféré aux organismes privés pour finalement mieux privatiser la santé en remplaçant la carte vitale par la carte bleue. Ce sera d’autant plus facile que le second niveau de régime obligatoire évoqué au début de mon propos est en voie d’achèvement. Voilà, derrière les grands mots, ce que pourrait cacher le projet de « grande sécu » .
Ne tombons pas dans le piège d’Emmanuel Macron et des médias qui ont propulsé sur le devant de la scène le sinistre Zemmour pour détourner l’attention des véritables problèmes sociaux. Salaires, emploi, logement… et un système de santé, un hôpital répondant aux besoins des assurés sociaux, voilà les réelles préoccupations d’une grande majorité des citoyens. Imposons ces thèmes dans le débat qui s’instaure à la veille de la prochaine élection présidentielle.
C’est un des enjeux majeurs auquel tous les assurés sociaux sont dès aujourd’hui confrontés. C’est pourquoi, au lieu d’affaiblir la Sécurité sociale, il faut au contraire l’étendre, la renforcer, la réorienter sur ses principes fondateurs : unicité, universalité, solidarité et démocratie. N’oublions jamais que la plus belle, la plus solidaire et la moins chère des mutuelles, c’est la Sécurité Sociale.
Pierre Zilber est président du Conseil d’administration de Mutuale, la Mutuelle Familiale
Notes de bas de page
↑1 | Je préfère parler d’une sécurité sociale intégrale, remboursant complètement les soins à leur coût réel, car je suis bien placé pour affirmer qu’un remboursement à 100 % ne veut rien dire. Ainsi, dans le second panier de soins en optique, 100 % du taux de convention de la sécurité sociale pour un équipement complet (1 monture et deux verres) équivaut à 15 cents d’euro ! |
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↑2 | Principes et enjeux de la tarification à l’activité à l’hôpital (T2A). Enseignements de la théorie économique et des expériences étrangères. IRDES DT n°23 (Mars 2009). |