Le Gouvernement d’Emmanuel Macron a annoncé son souhait de réformer durement notre système de retraite. La Première Ministre Élisabeth Borne a présenté les contours de cette réforme inique : le repoussement de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans et l’allongement de la durée de cotisation à 43 annuités (mesure déjà mise en œuvre par la réforme Touraine de 2014). Par ailleurs, le projet envisage d’en finir définitivement avec les régimes spéciaux qui ne couvrent pourtant que 3 % des salariés.
Le Président de la République Emmanuel Macron avait une première fois tenté de réformer en profondeur notre système de retraite. Sa réforme de 2019 visait ni plus ni moins à en finir avec les retraites du Régime général de Sécurité sociale à travers la création d’un régime universel par points. Il s’agissait dès lors de placer les travailleurs dans une incertitude généralisée en déconnectant le montant des retraites du niveau des salaires d’activité. Ce projet avait été abandonné en raison de la crise sanitaire, mais surtout, car la complexité d’une telle réforme, qui impliquait de fusionner plusieurs dizaines de régimes actuels, la rendait impossible techniquement et financièrement.
Non content de cet échec, le Président de la République entend remettre le couvert d’une réforme des retraites à la fois inique et inutile. Mais cette fois, le chef de l’exécutif renoue avec les vieilles méthodes « paramétriques » utilisées par ses prédécesseurs : allongement de la durée de cotisation et repoussement de l’âge légal. Emmanuel Macron démontre ainsi qu’il est le digne successeur de Nicolas Sarkozy qui avait proposé une réforme analogue en 2010. Rappelons que la réforme Macron est la cinquième réforme des retraites depuis 1994. Depuis cette date, notre système a déjà été réformé en 2003, en 2007, en 2010, en 2014. Toujours dans le même sens : allongement de la durée de cotisation, report de l’âge légal et diminution du montant des pensions. Le Président veut aller vite, très vite. Il s’agira de prendre les syndicats de court et d’user, si nécessaire de l’article 49-3 pour bâillonner l’opposition parlementaire. L’entourloupe qui consiste à utiliser la voie d’un projet de loi de finances rectificatif de la Sécurité sociale, qui va permettre au Gouvernement de limiter la durée des débats et de garder la possibilité d’user du 49-3 pour un autre texte législatif, est un pied de nez à la démocratie sociale et à la démocratie parlementaire.
C’est donc la sixième fois en vingt ans qu’un Gouvernement nous invite à « sauver » notre système de retraite. En réalité il n’en est rien. L’objectif de cette réforme est uniquement de réduire massivement le niveau des pensions des travailleurs les plus modestes ou ceux ayant des périodes d’activité incomplètes. D’ores et déjà, l’allongement de la durée de cotisation prévue par la loi Touraine et confirmée par la réforme Borne/Macron pénalise les travailleurs qui entrent tardivement sur le marché du travail ou qui ont une carrière incomplète, par l’application d’une double sanction : application d’une décote (pénalité de 1,25 % par trimestre manquant) et proratisation de leur pension de retraite (rapport entre le nombre de trimestres cotisés et le nombre de trimestres maximum requis).
En allongeant de deux ans l’âge légal, cette réforme va désormais pénaliser essentiellement les travailleurs qui atteignent l’âge de 62 ans ayant commencé à travailler tôt et avec une carrière complète. Commençons par dire que cette réforme va les contraindre à repousser leur départ à la retraite à un âge qui dépassera l’espérance de vie en bonne santé ! Cette réforme va également priver ces travailleurs, souvent les plus modestes, de la surcote, autrement dit une majoration de 1,25 % des pensions par trimestre de travail supplémentaire au-delà de l’âge légal actuel de 62 ans.
Certes des mécanismes sont prévus pour tenir compte des carrières longues et de la pénibilité, mais il ne s’agit ni plus ni moins que des mécanismes actuels mis en œuvre depuis 2003. En outre les conditions d’accès à ces dispositifs demeurent très restrictives et ne touchent qu’une minorité de salariés.
Ne nous leurrons pas, cette réforme ne permettra nullement aux travailleurs de travailler plus longtemps. Malgré toutes les réformes précédentes, le taux d’activité des seniors n’a guère progressé en France. En effet, le taux d’emploi des 55-64 ans se situe à 56 %. Une moyenne qui cache de profondes disparités, car ce chiffre fond drastiquement après 60 ans : il passe de 75,1 % pour les 55-59 ans à 35,5 % pour les 60-64 ans. En réalité, en repoussant de deux ans l’âge légal de départ en retraite, l’on va augmenter d’autant de la durée de chômage d’une grande partie des travailleurs âgés qui sont à la recherche d’emploi, tout en réduisant encore davantage leurs droits à retraite quand ils seront en âge d’y prétendre.
Cette réforme est-elle nécessaire ? Le Gouvernement prétend s’appuyer sur les prévisions du Conseil d’Orientation des retraites (COR). En réalité, il utilise l’un des scénarios les plus défavorables du COR. Par ailleurs, les prévisions à long terme sont à prendre avec beaucoup de prudence. La preuve, notre système présenté depuis 20 ans comme étant au bord de la faillite affiche actuellement une santé insolente ! Les régimes sont excédentaires et ils ont accumulé des réserves de trésorerie colossales.
Le besoin de financement estimé pour faire face au besoin temporaire des régimes de retraite est extrêmement limité, contrairement aux propos catastrophistes. Il s’agit de trouver 8 à 10 milliards d’euros de recettes supplémentaires par an sur un total de 350 milliards d’euros ; ce qui représente moins de 3 % des sommes en jeu. Présenté autrement, cela équivaut à trouver 30 euros par mois par salarié pour équilibrer notre système de retraite. Est-ce un effort impossible ? Est-ce que cela justifie de nous ramener 40 ans en arrière ?
Rappelons que les exonérations de cotisations patronales dépassent les 70 milliards d’euros par an. En réalité davantage si l’on ajoute les exemptions de cotisations sociales sur les régimes de prévoyance d’entreprise, d’épargne salariale et… d’épargne retraite d’entreprise ! Ces exonérations massives de cotisations qui touchent essentiellement les bas salaires, sous prétexte d’améliorer la compétitivité des entreprises, ont pourtant un effet très faible sur l’emploi. Par ailleurs, elles encouragent les employeurs à ne pas augmenter les bas salaires. Enfin, le montant de ces baisses de cotisations sociales (autrement dit le salaire socialisé des travailleurs) est à mettre en regard des 80 milliards d’euros de dividendes qui ont été versés l’an passé par les grandes entreprises du CAC 40.
Les exonérations de cotisations patronales profitent en réalité essentiellement aux grands groupes financiarisés afin de nourrir le flux de dividendes aux actionnaires tout en privant la Sécurité sociale de ressources essentielles. Plus grave, elle reporte le financement de la Sécurité sociale sur les travailleurs eux-mêmes au travers des nombreuses taxes (CSG, fraction de TVA, etc.) qui ont été instaurées pour compenser les cadeaux massifs faits au grand Patronat et qui pèsent lourdement sur la consommation populaire. Voilà l’origine du matraquage fiscal dont se plaignent les travailleurs pauvres de notre pays.
Nous avons par conséquent largement les moyens de faire face aux besoins de financement du régime de retraite. Sans même trouver des ressources nouvelles, la seule augmentation des salaires est suffisante pour équilibrer notre système actuel. La progression des salaires donc, mais également l’égalité salariale hommes/femmes, la remise en cause des exonérations de cotisations patronales les moins efficaces, un déplafonnement intégral des cotisations retraite voire la création d’une surcotisation sociale sur les très hauts revenus suffiraient amplement à faire face aux besoins de financement de notre régime de retraite, non seulement pour maintenir notre système actuel, mais également pour renouer avec la revendication sociale que nous appelons de nos vœux : le rétablissement d’un droit à la retraite dès 60 ans avec 40 annuités.
Mais une telle avancée sociale n’est nullement souhaitée par le Gouvernement Macron. Tel un entraîneur insensé qui exigerait d’un marathonien qu’il réalise sa course sur une seule jambe, le Gouvernement exclut par principe tout effort sur les recettes. Non pas parce que c’est impossible, mais parce que sa réforme est purement idéologique. Le Gouvernement entend uniquement satisfaire aux injonctions du FMI et de la Commission européenne qui désirent développer massivement les fonds de pension afin de nourrir la sphère financière mondiale. Dans ce modèle néo-libéral qui s’impose partout en Europe, l’âge de départ à la retraite qui devient la norme est 67 ans. L’objectif est simple : inciter d’une part les travailleurs qui en ont les moyens à déverser massivement leur épargne dans des placements financiers afin de préparer une retraite qui s’annonce famélique avec les systèmes par répartition ; contraindre d’autre part les travailleurs pauvres à cumuler leur retraite de misère avec des petits boulots à un âge avancé.
Une telle perspective est absolument indigne d’un pays aussi riche que la France. Rappelons que l’abaissement à 60 ans de l’âge de départ à la retraite mise en œuvre en 1982 a été possible dans un pays qui produisait quatre fois moins de richesses qu’aujourd’hui. Plus que jamais la bataille des retraites est à relier d’urgence à la bataille pour les salaires, surtout dans un contexte d’appauvrissement généralisé de la population laborieuse du fait de l’inflation.
L’UFAL exprime son indignation face à la réforme inique des retraites que prépare le Gouvernement Macron. Notre mouvement s’associera activement au mouvement social d’opposition à ce projet inhumain et inutile. Notre système de retraite par répartition est un succès qui honore notre pays. Il est parvenu à supprimer la pauvreté des personnes âgées tout en offrant aux retraités un salaire proche du dernier salaire d’activité.
Plus que jamais la bataille des retraites est la mère des batailles sociales. Il s’agit de reprendre à notre compte les mots du père fondateur de la Sécurité sociale, Ambroise Croizat :