Cette importante contribution de O. Nobile approfondit les perspectives sur lesquelles l’UFAL s’est interrogée depuis deux ans, notamment à l’occasion des deux dernières Universités Populaires Laïques (UPL) et par les échanges entretenus avec Bernard Friot et l’Institut Européeen du Salariat : quels rôles respectifs, quelles différences entre le financement de la protection sociale par la cotisation ou par l’impôt ? Ce texte sera présenté et débattu le 22 août à l’UPL 2011 de Bar-le-Duc. Les propositions figurant à la fin du texte n’engagent pas l’UFAL mais nous espérons, en les présentant, contribuer à ouvrir le débat avec les partenaires du mouvement social. [NDLR]
La défense de la cotisation sociale implique d’analyser le salaire comme institution sociale. Bien plus qu’un simple mode de rémunération, le salaire est en effet porteur d’un ensemble de droits immanents qui sont constitutifs du droit social : droit du travail et droit de la protection sociale.
Le salaire doit être ainsi être appréhendé comme une institution sociale dont le bénéfice a pour conséquence de permettre à son bénéficiaire d’en retirer corrélativement des droits sociaux qui s’étendent bien au-delà de la seule sphère productive. Par le mécanisme de cotisation sociale, le salaire est la condition de l’ouverture de droits à des prestations de Sécurité sociale de haut niveau : assurance maladie, retraites par répartition, allocations familiales, assurance chômage, accidents du travail.
La cotisation sociale ne doit donc nullement être assimilée à un impôt bien que l’on ait coutume de l’intégrer dans la masse des prélèvements obligatoires.
À la différence de l’impôt, « la cotisation est affectée au financement d’un régime de Sécurité sociale ; son versement est la ou l’une des conditions d’ouverture d’une vocation à des prestations » (Xavier Prétot)
Il convient dans ce cadre d’analyser littéralement la cotisation sociale comme le salaire indirect des travailleurs dont le versement est assuré sous forme de prestations sociales versées par des assurances sociales obligatoires et collectives.
La grande défaite idéologique, notamment au sein des partis de gauche gouvernementale, a été justement de galvauder le concept de salaire et de se laisser tenter par des solutions libérales visant à lui substituer des modes de rémunération liés au droit de propriété capitaliste et qui ne sont pas ou très marginalement soumis à cotisations sociales : épargne salariale (PEE, PERCO), intéressement, stock options, primes exceptionnelles, etc.
Ces éléments de rémunération sont des leurres inventés par les néo-libéraux en cela qu’ils relèvent de la croyance imbécile que l’on parviendra à transformer le travailleur en petit propriétaire de son entreprise, et que le pouvoir actionnarial remplacera à terme le droit social.
Remplacer le salaire par ce type de rémunération individuelle est d’une dangerosité incroyable, car il consiste à individualiser les capacités d’existence et d’assurance contre les aléas de la vie et renforce violemment les inégalités sociales.
Approche descriptive du système social français
Nous pouvons modéliser le système social français à partir du schéma suivant. Cette présentation graphique (en dépit de son apparente complexité) permet de synthétiser schématiquement les débats issus de l’abondante littérature relative à la réforme du système social français, et ce, dans un but éminemment pédagogique.
Dans le schéma ci-dessus, le niveau de vie traduit le revenu après transferts sociaux ou gains du capital.
À partir de cette description schématique, nous nous apercevons que la population peut retirer son niveau de vie de trois composantes fondamentales :
- Le champ du droit social (zone S sur le schéma) : les revenus du travail et les prestations sociales obligatoires liées, à savoir les revenus salariaux et les droits sociaux dits contributifs : prestations des régimes de sécurité sociale, d’assurance chômage :
Les prestations sociales obligatoires constituent un socle homogène pour l’ensemble de la population salariée quel que soit le revenu. Les droits contributifs (i.e sous condition de cotisation) à prestations de sécurité sociale (prestations en nature et en espèce de l’assurance maladie, retraites par répartitions, accidents du travail, invalidité) et d’assurance chômage sont globalement identiques pour l’ensemble de la population cotisante et ce quel qu’en soit le revenu1 ;
Les revenus salariaux procurent un niveau de vie croissant avec le niveau de rémunération, mais la croissance des revenus du salaire suit une logique plutôt linéaire, en raison de sa référence aux grilles et indices conventionnels généralement en vigueur dans le secteur privé et public. Intervient également l’impact de l’impôt sur le revenu progressif qui a tendance à limiter la progression du revenu disponible jusqu’au seuil de l’ex-bouclier fiscal ;
- Les revenus induits par les mécanismes de marché (zone M) et liés au droit de propriété et à l’accumulation financière : épargne salariale, stock options, dividendes et mécanismes d’assurance privée. Les revenus induits sont corrélés au niveau d’épargne et de revenu de chaque individu. Le système assurantiel privé repose sur une logique d’individualisation du risque ;
- Enfin des prestations de solidarité nationale et d’assistance (zone A) qui correspondent l’ensemble des prestations d’assistance aux plus pauvres conférées sous conditions de revenus : aide sociale et minima sociaux (RSA) ainsi que l’ouverture de droits sociaux sous conditions de ressources (CMU notamment).
À noter le caractère hybride des allocations familiales qui revêtent un caractère non contributif (universel) tout en étant versées par un organisme de sécurité sociale et partiellement financées par cotisation sociale.
Nous remarquons malheureusement sur ce schéma que le système social français ainsi décrit pâtit de plusieurs faiblesses :
- Il génère une stagnation du niveau de vie au niveau du SMIC en raison d’une capacité d’épargne limitée pour les personnes à ce niveau de revenu ainsi que par l’action combinée de l’assujettissement à l’impôt sur le revenu et à la perte de bénéfice des prestations familiales sous conditions de ressources ;
- Il génère des trappes à pauvreté et des effets de seuil (zone TP sur le schéma) ; autrement dit les bénéficiaires de prestations d’assistance sociale (minima sociaux, prestations de solidarité…) sont susceptibles de voir leur niveau de vie diminuer par la reprise d’activité salariée au travers de la perte du bénéfice de certaines prestations de solidarité (allocations au logement, RSA…)
- Il renforce les hauts revenus au travers d’une sur-valorisation des revenus du capital et de l’épargne, notamment au travers d’une fiscalité très réduite sur les revenus du capital.
Les évolutions de notre modèle social au cours des 30 dernières années ont été liées à un ensemble de réformes successives ayant pour effet :
- de réduire le niveau de vie tiré des revenus du travail au travers d’une politique de modération salariale et d’une réduction des prestations de sécurité sociale (assurance maladie et retraites principalement)
- Parallèlement le législateur a fortement encouragé, via un important mécanisme d’exonérations sociales, le recours à des mécanismes d’épargne et le bénéfice à des revenus liés à la rémunération du capital : stock options, assurance vie, fonds de pension, épargne salariale et participation de l’employeur à des régimes complémentaires de retraite et prévoyance, etc. Parallèlement, nous observons une tendance lourde à l’individualisation des rémunérations (intéressement, rémunérations variables) La plupart de ces mécanismes bénéficient d’un régime social particulièrement avantageux, valant quasi exonération à cotisations sociales. L’intéressement, la participation, la participation de l’employeur aux dispositifs PERCO, PEE, PEI, sont ainsi assujettis uniquement à un forfait social de 6 % et à la CSG/CRDS, ce qui est infiniment plus avantageux que l’assujettissement aux cotisations de droit commun de sécurité sociale, d’assurance chômage et de retraite complémentaire.
- Enfin, les pouvoirs publics ont institué un système très complet de prestations de solidarité pour les populations les plus fragilisées. La création du RMI en 1988, de la CMU en 1999 et du RSA en 2009 procèdent de cette logique de mise en place d’un filet de sécurité pour les plus pauvres.
Afin de limiter les effets de seuil (notamment pour les bénéficiaires de la CMU) ou les risques de trappes à inactivité, le législateur multiplie les mécanismes d’incitation ou d’« activation » des dépenses de solidarité (pour reprendre la terminologie consacrée) au travers des dispositifs suivants :
Contre les dispositifs de trappes :
– Possibilité de cumul des revenus du travail et des revenus de solidarité ; c’est le principe du RSA qui ne fait que reprendre d’anciens mécanismes dits d’intéressement des RMIstes
– Dispositifs d’impôt négatif (prime pour l’emploi introduite par le gouvernement Jospin)
– Mécanismes coercitifs de workfare2 (conditionnement du bénéfice de prestations sociales à l’exercice d’une activité non salariée) introduits par les dispositifs révolus de RMA ou d’insertion des bénéficiaires du RSA
Pour limiter les effets de seuil :
– Aide à l’acquisition d’une assurance maladie complémentaire pour les personnes situées entre le plafond CMU et le plafond majoré de 26 %
La remise en cause de la cotisation sociale et la fiscalisation progressive des ressources de la sécurité sociale
Dans ce contexte et principalement depuis les années 1990, les cotisations sociales donnent lieu à un mouvement de remise en cause généralisée au travers d’un argumentaire sous forme de triptyque :
1) La notion de dynamisme ou plutôt de non-dynamisme de l’assiette des cotisations sociales fait référence au fait que la cotisation sociale ne repose que sur les revenus du travail et que les autres formes de revenus (capital, placements, revenus locatifs…) sont exclues de l’assiette.
Il en ressort que les finances sociales sont beaucoup trop liées aux aléas du marché du travail et que le chômage de masse est mécaniquement générateur de déficits sociaux.
A contrario, un impôt du type CSG-CRDS dispose d’une assiette très dynamique puisqu’elle s’applique aux revenus du travail (salarié et non salarié), aux revenus de remplacement, du capital, du placement et des jeux.
Elle génère un rendement de près de 11 milliards d’euros3 par point contre à peine 6,5 milliards de cotisations sociales pour une cotisation déplafonnée et 4 milliards pour une cotisation plafonnée.
Cette constatation est exacte, mais doit être nuancée sur la base du contre-argumentaire suivant :
- 70 % du rendement de la CSG repose sur les revenus d’activité (comme la cotisation sociale), 18 % sur les revenus de remplacement et 12 % sur les revenus de placement, du patrimoine et des jeux ;
- La CSG repose essentiellement sur les revenus d’activité et son rendement sur cette assiette est sensiblement le même que celui de la cotisation ;
- Les revenus du patrimoine et des placements génèrent des ressources marginales pour la sécurité sociale (12 %) ;
- Le différentiel entre le rendement de la cotisation sociale et celui de la CSG repose pour plus de moitié sur l’imposition des revenus de remplacement (indemnités journalières, retraites). Or, ces revenus ne sont pas soumis à cotisation sociale précisément, car ils sont la contrepartie des cotisations sociales (les soumettre à cotisation impliquerait de poser un principe de double cotisation) ;
- Mais surtout, la cotisation sociale ne « taxe » pas les revenus du capital précisément, car le législateur n’a eu de cesse d’exempter les revenus du capital d’un assujettissement aux cotisations sociales : l’intéressement, la participation, l’abondement de l’épargne salariale, les stock options, le financement des employeurs de prestations aux régimes de prévoyance sont autant de mécanismes de contournement du salaire instaurés par les législateurs (de droite et de gauche) et disposent d’un régime social très avantageux.
2) L’argumentaire lié au coût du travail et à la compétitivité des entreprises françaises s’appuie sur le constat que les cotisations sociales représentent 40 % de la masse salariale des entreprises françaises et constitueraient une charge nuisible à l’emploi, notamment des travailleurs les moins qualifiés.
C’est pour répondre à cette problématique que le législateur n’a eu de cesse de multiplier les mécanismes d’exonérations de cotisations patronales au travers d’une multitude de dispositifs qui génèrent un manque à gagner de plus de 30 milliards d’euros par an, dont 21 pour le seul dispositif FILLON. L’exonération heures supplémentaires (TEPA) génère 3,5 milliards d’euros d’exonérations.
Les mécanismes d’exonération donnent lieu à une compensation (quasi) intégrale de la part de l’État comme le montre le tableau précédent. Restent néanmoins 2 à 3 milliards non compensés.
Il serait fastidieux de discuter ici du bien-fondé de l’argumentaire relatif aux nécessités d’allègements du coût du travail dans le cadre de la compétition internationale des entreprises françaises. Il est cependant nécessaire d’avoir à l’esprit que :
- Les exonérations accordées chaque année équivalent au montant du déficit de la sécurité sociale et que leur compensation revient à faire financer par l’impôt (donc principalement par les ménages) les exonérations accordées aux entreprises ;
- La baisse du coût du travail induit mécaniquement par ces mécanismes d’exonération n’a en aucun cas permis de réduire le chômage de masse ;
- En outre, ces exonérations génèrent un effet d’aubaine non négligeable bien que difficile à évaluer ;
- Les exonérations sur les bas salaires (réduction Fillon) génèrent un effet de trappe à bas salaires au niveau du SMIC, car les augmentations de salaire se traduisent parallèlement par une baisse des exonérations4 ;
3) L’argumentaire lié à la nécessaire distinction entre prestations contributives et prestations universelles repose sur le principe selon lequel il n’est pas normal de faire financer par les entreprises et les salariés des prestations à vocation universelle telle que les allocations familiales, les prestations de solidarité (CMU, RSA…), etc.
Selon cette logique, seules les prestations directement contributives et personnelles devraient être financées par cotisation sociale assise sur les salaires (prestation en espèces de l’assurance maladie, assurance vieillesse, accidents du travail).
A contrario, toujours selon cette logique les prestations à vocation universelle et versées selon une logique familiale (prestations en nature, allocations familiales, prestations de solidarité) devraient être financées par l’impôt de type CSG.
La CSG a précisément été instituée afin de se substituer aux cotisations sociales dans le financement d’une partie des dépenses de Sécurité sociale relevant des prestations familiales, des prestations non contributives des régimes de base de l’assurance vieillesse et d’une partie des dépenses de l’assurance maladie.
Affectation de la CSG sur les revenus salariaux
CNAF | FSV | CNAM | CNSA |
Total |
1,08 % | 1,03 % | 5,29 % | 0,1 % | 7,5 % |
- La CSG fait reposer structurellement sur l’impôt ce qui relevait auparavant de la cotisation sociale. Pour les allocations familiales et l’Assurance Maladie, la CSG fait financer par les contribuables des prestations qui étaient auparavant assumées par les employeurs.
- La suppression de la cotisation patronale génèrerait par conséquent une baisse généralisée des salaires et une augmentation des profits des entreprises tout en faisant reposer le financement des prestations sociales par l’impôt et principalement sur les ménages (cf. 3 scénarios schématiques en annexe)
- Seule une augmentation des salaires spontanée et d’un montant équivalent à la suppression des cotisations patronales (cf. annexe scénario 1 bis) serait financièrement neutre pour l’entreprise comme pour le salarié. Ce scénario est jugé hautement improbable, car les entreprises en profiteraient à coup sûr pour augmenter leur marge bénéficiaire. C’est la conclusion à laquelle convergent T. Piketty, C. Landais et E. Saez dans Pour une révolution fiscale, pourtant faiblement acquis à la cause de la cotisation sociale.
- En outre, la CSG, en tant qu’impôt dépend des Lois de Finances et a contribué à accentuer naturellement l’emprise de l’État dans la gestion des organismes sociaux et à affaiblir le rôle des partenaires sociaux
- Mais surtout, la CSG, est indéniablement tournée vers l’objectif de séparation des prestations contributives de celles dites de solidarité et s’inscrit dans le cadre des réponses libérales de lutte contre la pauvreté
La fiscalisation de la Sécurité sociale : corollaire des voies libérales de la lutte contre la pauvreté
Une illustration : les apories de la CMU
Quand en 1945, le CNR crée la Sécurité sociale, dans un pays pourtant exsangue, il s’agissait simplement d’offrir à la population française un système extrêmement pragmatique et partant, totalement révolutionnaire de sécurisation de cycle de vie individuel autour d’un mode d’assurance collectif fondé sur la mutualisation du salaire. Financée par cotisation sociale assise sur le salaire, la Sécurité sociale a permis d’étendre le champ de la responsabilité du système en dehors du champ de la sphère productive.
Aujourd’hui, la sécurité sociale génère plus de 400 milliards d’euros de dépenses sociales, soit davantage que le budget de l’État. Le tout sans recours à l’épargne ni aux marchés financiers, et surtout sans générer de « sélection du risque » à l’instar du système d’assurance privée qui individualise les contributions et les prestations en fonction du risque intrinsèque de l’individu.
Cependant, le caractère contributif des prestations de Sécurité sociale (l’ouverture des droits est liée à la cotisation dans le cadre d’un emploi salarié) pose le problème de l’accès aux droits sociaux aux populations sans emploi dans un contexte de chômage de masse. La loi portant création de la couverture maladie universelle de 1999 a tenté de proposer une solution.
Celle-ci, mise en place par notre dernier gouvernement socialiste, met cependant en exergue les apories des mesures de solidarité si l’on n’augmente par corrélativement les droits sociaux pour l’ensemble de la population.
Certes la CMU (dans son dispositif de base) a permis d’universaliser le bénéfice à l’assurance maladie obligatoire et constitue une avancée majeure de notre modèle social français. Cependant le volet le plus contestable de cette loi est celui de la CMU dite complémentaire. Sous condition de ressources, les plus pauvres bénéficient d’un accès à des prestations d’assurance maladie complémentaire (lunetterie, soins dentaires, etc.) financées par les assurances privées. Cette meure généreuse se heurte malheureusement à plusieurs écueils :
- Les bénéficiaires de la CMU sont stigmatisés dans leur accès aux soins et se voient de plus en plus contraints à des refus de soins de la part des professionnels de santé ;
- Le système de conditions de ressources génère un effet de seuil qui exclut les populations qui disposent de revenus à peine supérieurs à cette limite, pourtant inférieure au seuil de pauvreté ;
- 10 % environ de population française ne dispose d’aucune couverture maladie complémentaire et est confrontée de plein fouet à la baisse continuelle des remboursements de la sécurité sociale (franchises, forfaits, déremboursements, etc.)
- En conséquence l’effet de seuil implique de mettre en œuvre des mécanismes de lissage pour les populations aux revenus à peine supérieurs au seuil au travers du financement par les deniers publics d’une aide à l’acquisition d’une assurance complémentaire privée ;
- L’introduction des organismes d’assurance complémentaire leur a conféré une légitimité importante dans la définition du panier de soins (biens et services admis au remboursement), état de fait qui a été renforcé par la création de l’Union nationale des organismes complémentaires d’assurance maladie en 2004 ;
- Les organismes complémentaires ont été amenés à augmenter considérablement leurs cotisations, ce qui touche particulièrement les classes les moins aisées et a contribué à un mouvement contemporain de renoncement aux soins ;
Face à cette question, la réponse sociale est évidente : il est nécessaire d’augmenter le niveau de remboursement de l’assurance maladie obligatoire à un niveau au moins égal à celui de la CMU complémentaire, notamment dans des domaines de dépenses de santé oubliés : soins dentaires, appareillage, prothèse, etc. Le recours à des assurances complémentaires ou mutuelles ne doit permettre que d’améliorer le confort des soins, mais en aucun cas de couvrir des dépenses indispensables à l’état de santé des populations. Le remboursement des soins liés aux affections longues durées ou de l’hospitalisation pour des actes lourds doit être intégral et sacralisé.
CONCLUSION et PROPOSITIONS : Résoudre le problème du financement de la sécurité sociale tout en réhabilitant la cotisation sociale
La mise en œuvre d’un tel projet de réhabilitation du système social se heurte évidemment à la question centrale du financement de notre système de protection sociale.
En 2011, nous escomptons un déficit record de 28 milliards d’euros qui suscite des réactions légitimes d’inquiétude quant à la pérennité de notre système. Notre système de protection sociale est-il pour autant réellement menacé ? Il ne le devient qu’à la seule condition que l’on ne fasse pas le choix politique de le maintenir et de garantir son financement.
Certes, les déficits sociaux semblent aujourd’hui colossaux et il n’est pas un jour sans que l’on n’entende parler du « trou de la sécu ». Mais défendre un projet social, c’est précisément arrêter de se laisser intoxiquer par cette thématique des déficits sociaux et mieux proposer des modalités de financement pérennes.
Dans un premier temps, il est nécessaire de rappeler que les déficits sociaux restent toujours 4 à 5 fois moins importants que ceux de l’État et il n’y a aucune raison de considérer que la Sécurité sociale serait plus ou moins menacée que l’État
Selon le discours médiatique ambiant, la sécurité sociale n’est pas capable de faire face à l’explosion des dépenses or la question de l’équilibre des comptes sociaux ne tient qu’à la question fondamentale de son mode de financement.
Par le plein emploi et l’augmentation des salaires directs et indirects (les cotisations sociales), notre système de protection sociale trouve naturellement les ressources nécessaires pour financer des dépenses sociales généreuses tout en équilibrant ses comptes : ce fut précisément le cas entre 1999 et 2001, ou le régime général a connu trois exercices excédentaires.
A contrario, le chômage de masse, la stagnation salariale et les exonérations généralisées de cotisations sociales affaiblissent structurellement notre système qui devient mécaniquement déficitaire.
Certains rétorqueront que le financement de la Sécurité sociale repose par trop sur la masse salariale et que les charges sociales nuisent à l’emploi. Il conviendrait selon eux de remplacer la cotisation patronale par un autre mode de financement basé sur la valeur ajoutée ou encore par une augmentation de CSG, etc.
Une large littérature a fleuri dans les années 1990 autour des thématiques de cotisation sur la valeur ajoutée ou encore de TVA sociale au nom d’une prétendue nécessité économique en termes de compétitivité des entreprises françaises dans le concerto de la mondialisation.
En termes de compétitivité, la France n’est nullement handicapée par un niveau de salaires excessivement élevé par rapport à ses voisins européens : l’Allemagne, les pays nordiques, la Belgique, la Suisse, le Luxembourg proposent notamment des niveaux de rémunérations moyennes supérieures à celles de la France. En outre, quand bien même l’exemple allemand attesterait de l’efficacité d’une politique de contraction des salaires et de la demande intérieure tournée vers l’expansion des exportations, ce modèle économique traduit une stratégie non coopérative profondément néfaste à la construction d’un modèle social européen.
Rappelons à ceux qui soutiennent que les « charges sociales » étouffent les entreprises françaises que le niveau d’exonérations de cotisations patronales consenties massivement depuis plus de 15 ans sur les bas salaires ont fortement contribué à diminuer le coût de travail des travailleurs les moins qualifiés. Aujourd’hui ce sont plus de 30 milliards d’euros qui échappent à la sécurité sociale sous forme d’exonérations, soit autant que le déficit record de la Sécurité sociale ! 30 milliards d’euros qui doivent donner lieu à compensation certes, mais qui font reporter sur le budget de l’État une charge colossale.
Néanmoins, c’est sur le plan idéologique qu’il faut s’opposer ardemment à l’instauration de tels mécanismes de fiscalisation. Il suffit pour s’en convaincre de préciser que la substitution de la TVA à la cotisation patronale affectée à la CNAF devrait se traduire mécaniquement par une augmentation de plus de 5 points du taux de TVA pour atteindre 25 % ! Une telle réforme pèserait énormément sur le pouvoir d’achat des Français et principalement des plus modestes et irait dans le sens d’une atonie de la consommation intérieure.
Cependant la principale solution reste toujours bel et bien la recherche du plein emploi et d’une augmentation soutenue de la masse salariale. Mais également de soumission à cotisations de l’ensemble des modalités de rémunération liées au capital : intéressement, stock options, participation, épargne retraite… afin d’étendre le champ du salaire et de la cotisation.
A contrario, la fiscalisation du financement de la sécurité sociale traduit une volonté de diminution des coûts salariaux couplée à un objectif de circonscription des dépenses sociales dans un périmètre certes universel, mais par essence minimal : CMU, prestations familiales sous condition de ressource, prestations d’assistance, etc.
Le recul du salaire et des droits sociaux inhérents a pour conséquence immédiate d’obliger la population à se soumettre massivement aux mécanismes de marché et à procéder à une individualisation accrue de la couverture des risques sociaux. Fiscalisation et privatisation sont par conséquent intimement liées.
Il convient au contraire de réhabiliter d’urgence la cotisation sociale, ce qui n’exclut nullement de la réformer afin de la faire mieux coïncider avec les structures économiques réelles et d’alléger les charges sur les structures économiques les plus modestes et les plus vertueuses.
Quelques propositions :
- Assujettissement à cotisations sociales de l’ensemble des rémunérations disposant d’un régime social avantageux : intéressement, participation, stock options, épargne salariale ;
- Abrogation pure et simple de la loi TEPA et des mécanismes d’exonérations de cotisations sur les heures supplémentaires ;
- Suppression des mécanismes d’exonérations généralisées et dégressives de cotisations patronales (réduction Fillon principalement) qui renforcent les stagnations salariales au niveau du SMIC ;
- Introduction de la progressivité de la cotisation salariale et de la CSG (venant en déduction des salaires bruts) : la suppression des cotisations salariales (précompte) au niveau du SMIC se traduirait par une augmentation immédiate du salaire net. Le manque à gagner serait compensé par une véritable progressivité des taux de cotisations salariales et de CSG (qui est un impôt) en fonction du revenu
- Parallèlement à l’introduction de la progressivité, une fusion de la CSG et de l’IRPP doivent être envisagées, mais impliquent de : 1) repenser intégralement la politique familiale en vue d’une suppression du quotient familial et d’une augmentation considérable des prestations familiales, et ce, dès le premier enfant et de 2) sacraliser les ressources affectées à la sécurité sociale
- Modulation structurelle des taux de cotisations patronales en fonction de la taille de l’entreprise et du secteur d’activité : il s’agirait d’une réforme majeure du financement de la sécurité sociale visant à substituer aux mécanismes d’exonérations coûteux un système favorisant l’emploi dans les PME par des taux de cotisations patronales allégés selon la taille et le secteur d’activité, selon les secteurs à forte utilisation de main d’œuvre et/ou remplissant certains critères d’intérêt économique, écologique et sociaux tandis que les grandes entreprises se verraient assujetties à taux plein voire majoré en fonction de leur politique salariale ;
- Pour ce faire, renforcement des mécanismes d’obligation de négociation annuelle sur les salaires au travers de mécanismes renforcés de sanction financière et d’annulation d’exonérations consenties
- Création d’une sur-cotisation sociale patronale sur les très hauts revenus (supérieurs à 20 fois le SMIC) ;
- Suppression totale du plafonnement des cotisations d’assurance vieillesse
- Assujettissement à cotisations patronales des indemnités de licenciement pour entreprises pratiquant des licenciements boursiers ;
- Abrogation du système actuel d’auto-entrepreneur qui génère une forte distorsion de concurrence par l’application de taux réduits et l’incitation de substituer à la relation salariale une relation contractuelle entre employeurs et travailleurs ;
- Lutte renforcée contre le travail illégal et l’évasion sociale tout en clarifiant les contours de l’entraide familiale dans les entreprises individuelles
- Sur les économies que l’État réaliserait au titre de la compensation des exonérations de cotisations patronales : réaffectation d’une part au titre de dotation structurelle pour financement des charges indues (prestations d’État gérées les organismes de Sécurité sociale : ALS, RSA, CMU etc…)
- Suppression de la Caisse d’amortissement de la Dette sociale et transfert de l’endettement de la Sécurité sociale à l’Agence France Trésor afin de ne pas traiter différemment l’endettement de l’État de celui de la Sécurité sociale. La CADES est un organisme échappant à tout contrôle démocratique jouant aujourd’hui l’endettement de la sécurité sociale sur les marchés financiers
ANNEXE : Présentation schématique des impacts d’un transfert de cotisations patronales sur un impôt non progressif à taux fixe de type CSG assis sur les revenus du travail (cas d’école)
Scénario 1 : Financement de la sécurité sociale par cotisation sociale patronale et salariale
• Valeur ajoutée de l’entreprise : 150
– Salaire brut : 80
• Dont cotisations salariales : 10
• Salaire net : 70
– Cotisations patronales : 20
= Masse salariale : 100
• Rémunération du capital : (150 –100) = 50
• Rémunération du travail : 80
• Revenu disponible du salarié (salaire net – impôts) : 70
Scénario 1 bis : Suppression de la cotisation patronale avec augmentation équivalente des salaires et financement de la sécurité sociale par un impôt de type CSG à hauteur de 20 € assis sur les revenus du travail
• Valeur ajoutée de l’entreprise : 150
– Salaire brut : 100
• Dont cotisation salariale : 10
– Salaire net : 90
– Cotisations patronales : 0
= Masse salariale : 100
• Rémunération du capital : (150 –100) = 50
• Rémunération du travail : 100
• CSG sur les revenus : 20 €
• Revenu disponible du salarié (salaire net – impôts) : 70
> Solution neutre pour l’entreprise et le salarié dans le cas d’une augmentation des salaires équivalente à la baisse de cotisations patronales
Scénario 2 : Suppression de la cotisation patronale avec augmentation partielle des salaires et financement de la sécurité sociale par la CSG à hauteur de 20 € assis sur les revenus du travail
• Valeur ajoutée de l’entreprise : 150
– Salaire brut : 90
• Dont cotisation salariale : 10
– Salaire net : 80
– Cotisations patronales : 0
= Masse salariale : 90
• Rémunération du capital : (150 –90) = 60
• Rémunération du travail : 90
• CSG sur les revenus : 20
• Revenu disponible du salarié : (80-20) = 60
Scénario 3 : Suppression de la cotisation patronale sans augmentation des salaires et financement de la sécurité sociale par la CSG à hauteur de 20 € assis sur les revenus du travail
• Valeur ajoutée de l’entreprise : 150
– Salaire brut : 80
• Dont cotisation salariale : 10
– Salaire net : 70
– Cotisations patronales : 0
= Masse salariale : 80
• Rémunération du capital : (150 –80) = 70
• Rémunération du travail : 80
• Impôts pour financement de la sécurité sociale : 20
• Revenu disponible : (70-20) = 50
Conclusion : Une inévitable diminution salariale en corrélat de la substitution de la CSG aux cotisations sociales
Dans l’hypothèse d’une substitution intégrale d’un impôt à taux fixe de type CSG aux cotisations sociales patronales de sécurité sociale, nous observons qu’une telle mesure se traduirait mécaniquement par une diminution du revenu disponible des salariés et une augmentation de la rémunération du capital à due concurrence.
En effet, le gain induit par la suppression de cotisations patronales n’aura qu’une probabilité minime d’être compensée par une augmentation équivalente de la rémunération brute du salarié. La suppression de la cotisation patronale répondrait certes aux revendications patronales en matière d’amélioration de la compétitivité des entreprises françaises, mais au prix d’un report du financement de la sécurité sociale sur les revenus du travail.
Notons en outre que l’absence de progressivité de la CSG et sa déductibilité partielle de l’impôt sur le revenu en fait un impôt particulièrement pesant sur les classes aux revenus du travail les plus modestes
Certes les scénarios présentés pourraient être nuancés en introduisant le rendement de la CSG sur les revenus des capitaux qui permettrait de limiter à la marge le poids de la CSG sur les revenus du travail ou encore en introduisant la progressivité des taux de CSG.
- Il conviendrait cependant d’affiner l’analyse en précisant que certaines prestations sociales sont uniformes (allocations familiales, prestations en nature assurance maladie) lorsque d’autres sont exprimées en pourcentage du revenu salarial de l’individu (retraites par répartition, indemnités journalières). De même l’existence d’un plafond limite le montant maximum de certaines prestations liées au revenu, tandis que d’autres sont sous conditions de ressources [↩]
- Contraction de work (travail) et welfare (providence) : mécanisme introduit dans les pays anglo-saxons visant à obliger les bénéficiaires d’aides sociales à effectuer une contrepartie en travail ; cette idée thatchérienne a récemment été remise au goût du jour par les déclarations du ministre Laurent Wauquiez [↩]
- Source : Commission des comptes de la Sécurité sociale. [↩]
- Ce dont la Cour des Comptes s’est émue et a incité le législateur à mettre en œuvre un mécanisme d’obligation de négociation salariale au sein de l’entreprise au risque de se voir infliger une pénalité sur les exonérations. [↩]
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