LA PSYCHIATRIE DE SECTEUR FETE SES 50 ANS LE 15 mars 1960-2010
Le 15 mars 1960 après 20 ans de souffrances extrêmes et de grands espoirs une poignée d’hommes et de femmes psychiatres et administrateurs du ministère de la santé veulent faire partager un projet révolutionnaire en faisant publier au JO une circulaire adressée aux Préfets. 50 ans ʻd’entente’ entre la France et la psychiatrie de secteur ! Ce sont des noces d’or !
Profitons de toutes les occasions qui s’offrent pour fêter l’évènement : ces 50 ans.
Fêtons-les lors de cette Semaine d’Information sur la Santé Mentale, initiative des familles et des usagers.
Demandons au collectif des 39 (un des seuls espaces où depuis plus d’un an une réflexion fait renaitre la psychiatrie de secteur) d’ajouter à son badge ʻUne hospitalité pour la folie’, (l’hospitalité c’est ouvrir sa maison !) :’50 ans’ et un ruban doré.
Ceci provoquera la surprise des Directeurs d’hôpitaux, inquiets de nous voir heureux ! Et celle de la population qui nous aidera à délier les langues et reconstruire les espoirs.
Nous pourrons leur expliquer que c’est pour rappeler qu’il y a 50 ans nos anciens ont pensé un avenir pour accueillir la folie, un accueil sans murs, sans loi, simplement fait ʻd’hommes’.
Ce sera l’occasion de brosser l’origine de cette psychiatrie dite de secteur :
Des psychiatres Ey, Bonnafé, Daumezon, Ayme, Le Guillant, Mignot, Paumelle, et Bailly-Salin, Chaigneau, Noël, Rappard, des administrateurs, Aujaleu, Mamelet, Jean, Hazemann, des infirmiers, Bellini, tant et tant d’autres, l’ont rêvée, …un nombre modeste en fait.
Ces hommes se sont levés pour chasser l’horreur des asiles dont les murs n’avaient pas protégé les malades, mais au contraire avaient obligé 45.000 d’entre eux à mourir de faim.
Un espoir fou est né du constat inverse : à St Alban au centre de la France et dans d’autres campagnes, les fous sortis des asiles pour ne pas y mourir, ont été bien accueillis par la population, ils y ont retrouvé une place en jouant un rôle social banal, sans bruit !
L’idée est née de ce constat de ce que peut apporter une solidarité spontanée : le traitement de la folie, pour se développer, doit se réaliser à l’endroit où la personne a le plus grand nombre de liens par son histoire partagée avec les siens. La psychiatrie de secteur, c’est ce pari : pour soigner la folie, qui est cette explosion hors de soi et la demande de refuge qui l’accompagne, le premier geste, la première action de son entourage, ce n’est surtout pas de l’enfermer le plus loin possible, c’est de l’aider à garder ses liens, c’est de le réinvestir dans sa figure humaine, c’est déployer l’humain autour de lui, c’est installer, et réinstaller sans cesse une « vraie rencontre ». Le soigner là. La foi animait les hommes au lendemain de la guerre !
Toute la profession semble se préparer à ce changement après 1960. Une nouvelle circulaire du « 14 » mars 1972 invite les Préfets à dessiner dans toute la France des territoires, ou secteurs, d’environ 60.000 h, à chacun sera dédiée une équipe pluridisciplinaire pour faire face à tous les troubles psychiques de ses habitants. Il faudra 20 ans pour que les Préfets obéissent, souvent avec réticence, et de façon très inégale. Ici des équipes se déploient, là d’autres s’essoufflent. Ainsi déjà 30 ans après la guerre, la foi devient vacillante.
Un réveil parait possible avec le Rapport Demay, commandé par Jack Ralite ministre de la santé, 1981-3, ce rapport ranime la foi et ne demande qu’une simple chose : ni loi, ni règlement, seulement la délégation d’un directeur auprès de chaque équipe pour actualiser son travail au quotidien. Le ministre change en 1983, pendant que l’essoufflement s’étend.
Alors des personnes déterminées se tournent vers l’administration pour inscrire cette dynamique de soins du secteur, cette ʻpratique’, « dans le béton des lois ». Beaucoup y ont cru. J’en étais. J’en témoigne, sans comprendre ce que nous étions en train de faire : les circulaires, lois, circulaires, lois se sont succédé en quelques années, …
Nous ne savions pas ceci : La folie pour être écoutée, reçue, accompagnée n’a rien à faire de ʻl’organisationnel’, elle a simplement besoin d’une foi, d’une foi en l’homme.
Un psychiatre a pu décrire aussitôt en une phrase lapidaire ce qui s’était passé, et l’a rappelé il y a peu : « Les lois ont signé la mort du secteur. Car la loi tue la foi », Philippe Rappard.
Réfléchissons un peu : la pratique de la psychiatrie s’appuie-t-elle sur autre chose que sur la foi ? N’est-ce pas la foi en l’homme qui prime dans l’exercice de la psychiatrie ?
Par exemple la loi de 1990, qui avait pour but d’écarter tout risque d’internement arbitraire, a abouti à son contraire : elle a commencé à mettre une loi comme point de départ du soin : de ce fait les hospitalisations qui avaient fortement diminué depuis 1972 n’ont cessé de croitre, car cette loi favorise le recours à la contrainte, elle invite les directeurs à ne reconnaître que l’hôpital comme garant du soin, donc les infirmiers, qui assuraient la prévention des troubles dans le secteur, ont été rappelés sur l’hôpital. Ensuite, achevant la mise à mort, les contrôles, qui certes conviennent à l’augmentation sans limites des techniques en médecine, ont étouffé le dynamisme des équipes. L’accréditation en est la caricature obligeant les acteurs à énumérer actes, durées, conformité aux règles ! Peut-on accréditer la ʻcontinuité de disponibilité’ d’une équipe, base de la pratique de secteur, la qualité de la ʻrencontre’ humaine, celle de la ʻconfiance’, clé du soin psychique ? Jusqu’où vont-ils ʻaccréditer’ ?
Le projet de loi actuel basé sur la peur, et la stigmatisation n’est-il pas animé par une foi inverse ? Une croyance dans le danger de la folie ? Les statistiques montrent que le fou n’est pas plus souvent auteur de crime que chacun de nous, par contre il est 11 à 17 fois plus souvent victime de délit ! Peu importe, il faut un coupable de … notre crainte ! Le fou ne se défendant pas, le coupable est tout trouvé.
La question qui est posée concrètement aux français, à leurs élus qui vont voter une nouvelle loi sur la psychiatrie en 2010, est celle-ci : quels sont les points communs entre la peur de l’homme et la foi? Ne peut-il y avoir dans notre société moderne un acte de foi partagé, celui d’une foi en l’homme ? Alors, certes c’est l’élu qui est là convoqué. Sur quoi compte-t-il se faire élire ? Sur l’agitation des sentiments les plus sombres qui habitent chacun d’entre nous et que certains médias aiment bien réveiller ? Ou sur un lent travail ʻpolitique’ autour de ce qui peut amener l’homme à ne pas croire aux seuls bonheurs individuels, mais à une rencontre collective où chacun a sa place sociale ? Ne nous cachons pas la vérité : la place réservée au fou dans chaque société illustre la philosophie de l’homme que cette société défend.
Regardez nos prisons, regardez nos rues, soyons sincères, pouvons-nous croire que ce serait notre psychiatrie, restant malgré sa crise une des meilleures du monde, qui les remplirait de fous ? Simplement rues et prisons sont le témoignage de notre abandon social des vulnérables, de nos inégalités criantes, de notre absence de solidarité nationale, alors certes les fous, qui sont partout, sont là ʻaussi’, simplement on les reconnaît mieux qu’avant.
Avons-nous tous perdu la foi ? Ne pouvons-nous rêver ? Si un changement de société doit naitre un jour est ce que cela ne pourrait être à partir du regard sur ce que subissent les plus vulnérables ? Au lieu de craindre la folie, demandons-nous si elle ne renvoie pas à la société un message aujourd’hui, l’interrogeant sur le sens de l’acharnement dont elle est l’objet ?
Ne croyez-vous pas que nous avons cette opportunité, avec le cinquantenaire de ce rêve, né au lendemain de la résistance, où des hommes avaient construit leur foi dans leur capacité à s’unir pour résister à l’occupant ?
Aujourd’hui l’occupant est encore là, mais n’est-il pas caché au fond de nous-mêmes ? Le réveil de la foi en l’homme serait-il impossible ?
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