L’intérêt des patients et des systèmes de santé passera t’il après celui des firmes pharmaceutiques ?
Lors de l’adoption du cadre réglementaire du médicament en 2004, le Parlement européen a massivement rejeté (avec 494 voix contre 42) la proposition de la Commission de lever l’interdiction de la publicité directe aux consommateurs pour les médicaments de prescription, y compris dans le cadre d’un « projet pilote ».
Cependant, la Commission a choisi de remettre en cause ce choix dès 2005, notamment au travers de la mise en place d’un groupe entre autres chargé d’effectuer des propositions, dans le cadre de partenariats publics-privés, sur le sujet de l’ »information-patient »? et au niveau duquel les firmes pharmaceutiques sont surreprésentées : le Forum pharmaceutique européen.
Courant 2007, la Commission européenne, en particulier la Direction générale Entreprises, a multiplié les consultations sur ce sujet. Celle rendue publique le 5 février 2008 est la 4e depuis mai 2007. Dans cette consultation, la Commission maintient son projet de dérégulation de la communication directe des firmes aux patients, sans tenir compte des résultats des précédentes consultations et propose des modifications réglementaires.
Les propositions de la Commission menacent la santé des citoyens européens et la pérennité financière des systèmes de santé des États membres.
Les dramatiques affaires récentes de pharmacovigilance liés à des médicaments, telles l’affaire Vioxx° (un anti-inflammatoire à l’origine d’accidents cardiaques mortels) ou les affaires Zyprexa° (un anti-psychotique à l’origine de diabète et de troubles métaboliques), Avandia°(un antidiabétique à l’origine de troubles cardiaques mortels), Seroxat° (un antidépresseur à l’origine d’un risque de suicide augmenté), etc. rappellent que les effets indésirables sont souvent minimisés, voire dissimulés par les firmes pharmaceutiques, et ce, le plus longtemps possible.
L’Ufal fait partie du Collectif Europe et Médicaments (MiEF : Medicines in Europe Forum).
Ce collectif MiEF est l’une des 11 organisations qui publient la lettre ouverte suivante aux membres de la Commission ENVI du Parlement européen, en particulier aux coordinateurs de cette Commission, ainsi qu’aux commissaires Verheugen et Vassiliou, aux membres du groupe Information-patient du Forum Pharmaceutique.
Lettre ouverte
Bruxelles, le 31 mars 2008
Madame la députée européenne, Monsieur le député européen,
Lors de l’adoption de la Directive Médicament 2004/27/CE, le Parlement et le Conseil ont demandé à la Commission de présenter un état des lieux et un rapport sur les bénéfices et les risques de l’information-patient existante, notamment via internet, et de faire éventuellement des propositions (article 88a) (a).
Fin avril 2007, la Commission (Direction Générale Entreprises) a mis en consultation un rapport intitulé « Draft Report on current practice with regard to provision of information to patients on medicinal products« ?, présenté comme réponse de la Commission à cette demande du Parlement et du Conseil$$European Commission – Enterprise and Industry Directorate-general »Draft report on current practice with regard to provision of information to patients on medicinal products« ? http://ec.europa.eu/enterprise/pharmaceuticals/pharmacos/docs/doc2007/2007_04/draft_infopatients2007_04.pdf: 27 pages. $$.
En décembre 2007, elle a publié une communication au Parlement européen basée sur ce rapport, sans prendre en compte les réponses à sa mise en consultation.
Dans ce rapport, l’inventaire des sources d’information-patient sur les médicaments et les autres traitements est en effet très incomplet, omettant de citer un grand nombre de sources indépendantes des firmes et des autorités de régulation qui existent en Europe.
Après cet inventaire très incomplet, la conclusion du rapport est pourtant univoque et partisane : seule l’industrie pharmaceutique serait en mesure d’apporter aux patients l’information dont ils manqueraient cruellement aujourd’hui.
De plus, le rapport se focalise sur l’information sur les médicaments de prescription (et autres thérapeutiques) délivrée par internet, dans le but de proposer des moyens d’améliorer l’accès à ce type d’information, et s’écarte donc de fait de la demande du Parlement et du Conseil.
Malgré les critiques exprimées sur ce rapport, la Commission a ensuite multiplié les consultations sur le sujet de l’ »information-patient »?.
Dans le projet de modification réglementaire mis en consultation en février 2008, la Commission propose clairement de permettre aux firmes pharmaceutiques de communiquer sur leurs médicaments de prescription directement auprès du public par tous les médias disponibles$$European Commission – Enterprise and Industry Directorate-general « Legal proposal on information to patients« ? deadline for Public Consultation: 7 April 2008;
http://ec.europa.eu/enterprise/pharmaceuticals/pharmacos/docs/doc2008/2008_02/info_to_patients_consult_200802.pdf: 10 pages. $$.
Cette proposition, qui s’écarte considérablement de la demande exprimée en 2004 par le Parlement et le Conseil, ne diffère d’une libéralisation pure et simple de la publicité grand public pour les médicaments de prescription que par la terminologie employée. Comment croire en effet qu’une émission de télévision d’ »information »? sur les médicaments proposée par les firmes pharmaceutiques soit moins efficace promotionnellement qu’un spot publicitaire de 30 secondes ?
Donner un rôle aux firmes dans l’ »information »? des patients sur leurs médicaments, dans un cadre essentiellement auto- ou co-régulé, ne peut qu’entraîner l’augmentation de la demande des consommateurs pour des médicaments dont ils n’ont pas forcément besoin et créer de nouveaux risques médicaux et des dépenses indues de santé (dépenses de gestion des effets indésirables en particulier), supportées par la collectivité au niveau des États membres (b).
Nous appelons solennellement les députés à examiner avec toute leur attention la proposition de la Commission de février 2008, et à refuser de telles contradictions avec le mandat donné à la Commission en 2004.
Nous comptons sur vous pour vous saisir de ce sujet, qui fera probablement l’objet de propositions d’amendements à la réglementation par la Commission européenne en automne 2008, afin qu’un réel débat démocratique puisse avoir lieu. Nous vous remercions de porter attention à ces préoccupations, qui sont celles d’un grand nombre de citoyens européens.
Notes
a- Pour mémoire, lors de l’adoption du cadre réglementaire du médicament en 2004, le Parlement européen a massivement rejeté (avec 494 voix contre 42) la proposition de la Commission de lever l’interdiction de la publicité directe aux consommateurs pour les médicaments de prescription, y compris dans le cadre d’un « projet pilote » relatif à 3 maladies (diabète, sida, asthme).
Le mémorandum de la proposition de la Commission de 2002 visant à modifier la Directive 2001/83/CE alors en vigueur, exposait clairement l’objectif : «(…) il est proposé de faire de la publicité NDLR pour trois classes de médicaments. Ce type d’information serait soumise aux principes de bonnes pratiques adoptées par la Commission, et à la rédaction d’un code de conduite par l’industrie » (réf. 9).
b- Les dernière années, mois et semaines sont riches, hélas, d’exemples où les firmes pharmaceutiques ont retardé ou dissimulé des informations cruciales notamment sur les effets indésirables de leurs médicaments (affaire du Vioxx° notamment).
Signataires
Le Collectif Europe et Médicament (MiEF)
Health Action International (HAI) Europe
L’International Society of Drug Bulletins (ISDB)
L’Association Internationale de la Mutualité (AIM)
La Plate-forme européenne des Personnes âgées (AGE)
L’European AIDS Treatment Group (EATG)
L’European Social Insurance Plateform (ESIP)
L’Alliance européenne pour la santé publique (EPHA)
L’Ordre national des pharmaciens français
L’Union européenne des Pharmacies sociales (UEPS)
L’Union des syndicats de Pharmaciens d’officine (USPO)