Ce 3e meeting des « 39 » représente une réaction contre le projet de réforme de la loi de 1990 et avait pour thème les « soins sous contrainte » tels qu’ils ont été baptisés dans ce texte de loi. Il a eu le mérite d’opérer un aller-retour régulier entre la législation et la pratique de la psychiatrie d’une part, et la société qui les fait évoluer d’autre part. L’ensemble de cette journée a donc reflété la pensée de Lucien Bonnafé, à savoir que l’« on juge du degré de civilisation d’une société à la manière dont elle traite ses marges, ses fous, ses déviants ».
Ce projet de loi provoque un tollé au sein des professions travaillant en psychiatrie mais pas seulement. Comme cela a été répété tout au long du meeting, la psychiatrie n’est pas que l’affaire des psychiatres, elle est l’affaire de tous. Cette idée vient faire écho à la pluralité des personnes mobilisées dans la salle : psychiatres, psychologues, infirmiers, éducateurs, mais aussi patients, citoyens intéressés, familles et proches de patients.
Pour ma part, j’y participais en tant que psychologue fraîchement diplômée.
La journée a débuté avec un décryptage des conséquences du projet de réforme qui ne sont bien sûr pas explicitées dans le texte de loi. Pour plus d’informations, le lecteur pourra se référer aux documents sur le site du Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire (www.collectifpsychiatrie.fr) mais on peut résumer grossièrement ce projet comme une application directe de la logique sécuritaire que le gouvernement entend propager, en s’appuyant notamment sur des faits divers isolés mais qui ont beaucoup ému les Français.
Alors en effet, le chiffre a été lancé au cours du meeting, 70 % des patients admis en service d’urgence sont des patients en rupture de traitement. Le gouvernement y voit une urgence à contraindre afin d’assurer la continuité des soins. Mais cela ne les a pas effleuré que ces ruptures de traitement puissent être le fait des pratiques actuelles en psychiatrie, qui évoluent de manière discutable, ainsi que du manque de moyens alloués pour mettre en place une prise en charge appropriée.
Le collectif des 39 s’est alloué la collaboration de deux juristes dont on peut souligner les interventions originales. Le premier a expliqué simplement qu’il n’y avait nul besoin d’une nouvelle loi dans ce domaine. Pire, selon lui, l’accumulation des lois modifie l’usage de ces lois : de légiférer sur les limites, elles finissent par légiférer sur les contenus, c’est-à-dire que l’on aboutit à une normalisation de tout. Ceci est en général, et particulièrement en santé mentale, une catastrophe.
Le second juriste qui est intervenu en fin de journée a, quant à lui, averti que ce projet de réforme n’était pas seulement une loi sur la contrainte mais elle représente une modification profonde des normes. Ici, la norme de la santé mentale est mise en lien étroit avec les intérêts économiques et la compétitivité. Ce juriste rappelle que la santé mentale comme norme est à combattre, tout comme celles de concurrence entre les Hommes, de performance etc.
En somme, le projet de réforme de la loi de 1990 a été qualifié de projet CONTRE la psychiatrie, parce que le sécuritaire s’oppose aux soins.
A de nombreuses reprises au cours des interventions de la salle, a été mentionnée la disparition en 1992 du diplôme d’infirmier psychiatrique avec l’idée que la mobilisation autour de ce décret avait été insuffisante. Aujourd’hui donc, les professionnels de santé, infirmiers y compris et peut-être infirmiers surtout, déplorent la formation dispensée dans les IFSI (Instituts de Formation en Soins Infirmiers) pour les infirmiers qui s’orientent vers les services psychiatriques.
Ces prises de parole précisaient que la dispensation de soins humanistes prônés par le collectif des 39 et les centaines (voire le millier) de personnes mobilisées, ne pourrait se faire sans les infirmiers.
On ne peut en effet en douter ; les infirmiers représentent les professionnels au contact quotidien avec les patients. Mais, on peut s’étonner du silence qui est fait, de la part de celles et ceux qui connaissent la réalité psychiatrique, sur la formation actuelle des psychiatres. Elle non plus n’a plus rien à voir avec celle de leurs aînés. Aujourd’hui, il s’agit essentiellement de faire disparaître le symptôme rapidement par des médicaments, et parfois uniquement par des médicaments, afin que le patient sorte de l’hôpital au plus vite et que son lit soit libéré pour un prochain patient. Dans cette logique, le risque est d’oublier de considérer le patient comme sujet, c’est-à-dire de le considérer dans sa globalité, avec son histoire et son fonctionnement propres.
Or, un soin humaniste en psychiatrie, intégrant la relation thérapeutique comme moteur et pivot du soin pourrait-il se faire sans les psychiatres ?
Alors pourquoi ce silence ?
C’est alors que je me rendis compte qu’une importante majorité des orateurs et des psychiatres appartenait à l’ancienne génération. Mais peut-on croire qu’ils ne sont pas au courant du contenu des enseignements en psychiatrie dispensé aux futurs psychiatres ?
A la tribune en fin de journée est tout de même apparu un interne en psychiatrie qui appartient au collectif des 39. J’ai discuté avec lui et lui ai demandé son avis sur la formation actuelle des psychiatres. J’avais tapé à la bonne porte ; pendant son internat, il avait été président de l’association des internes pendant deux ans et s’était mobilisé pour faire bouger cette formation, en vain. Ainsi m’expliqua-t-il qu’aujourd’hui la formation en psychiatrie n’était pas à la hauteur des enjeux.