Comme souvent, une pensée libératrice, un projet émancipateur ne peut naître qu’à condition de pouvoir penser hors des dogmes qui sont véhiculés ici et là par des organisations, leurs clercs et leurs catéchismes. A une certaine époque, il fallait se battre pour pouvoir penser hors des croyances de l’immaculée conception, du soleil qui tournait autour de la terre, voire de l’école aux mains des structures religieuses, de l’Etat et des églises qui ne devaient pas être séparés, etc.
Aujourd’hui, des dogmes d’une brutalité de même nature nous sont assénés. Mais ce sont des dogmes financiers et économiques. Là, aussi, certaines organisations, leurs clercs et leurs catéchismes sont là pour montrer la seule pensée conforme au « bon sens ».
Il n’y a pas un dossier dans lequel les « grands » de ce monde ne s’appuient pas sur des dogmes pour régner sur ce bas monde. Et les clercs qu’ils soient nommés experts, présentateurs télé ou responsables politiques, syndicaux, mutualistes ou associatifs sont en général bien récompensés pour leur triste besogne.
Continuons notre propos sur le dossier des retraites.
Là, les « réformateurs » s’appuient sur plusieurs dogmes qui s’intègrent les uns aux autres comme dans des poupées russes. Sans être exhaustif, car nous connaissons pas toutes les sectes néolibérales avec leurs dogmes spécifiques. Mais la plupart officient avec les dogmes suivants :
- « Mon bon monsieur, ma bonne dame », il y a de plus en plus de retraités et de moins en moins d’actifs, il est donc nécessaire de « réformer » pour « sauver notre système de retraite par répartition »
Cet argument de la démographie plein de « bon sens » ne résiste pas à l’analyse. Il est équivalent à celui du paysan du Moyen Age qui s’il était assis sur une chaise toute la journée voyait le sol immobile et le soleil tourner autour de lui!
Et puis, c’est un argument qui rappelle les oiseaux de mauvaise augure d’après 1945 qui prévoyaient la famine par ce que la nouvelle société diminuait fortement le nombre de paysans avec un grand accroissement du nombre de bouches à nourrir. On sait aujourd’hui qu’avec 2,8% de paysans en France, on a pas de problème de nourriture car la production totale et la répartition de cette production est satisfaisante pour nourrir la population. Je ne parle là que de l’aspect quantitatif et pas qualitatif dans une simplification nécessaire au raisonnement quantitatif des oiseaux de mauvais augure. Je conviens bien sûr que ce point qui est un autre problème important à prendre en compte dans un autre article.
Pour en revenir aux retraites, nous pouvons détruire le dogme de ces clercs avec les chiffres qu’ils ont produits eux-mêmes. Là, je mets de coté la nécessaire critique écologique de l’indicateur PIB (qui mesure pour ces clercs la richesse produite en une année par tous les travailleurs français et étrangers travaillant sur notre territoire) qui mériterait un autre article. Tous les clercs s’appuient sur les chiffres produits par le Conseil d’orientation des retraites (COR). Montrons que leurs propres chiffres peuvent se retourner contre eux si et seulement si, on refuse le dogme du « problème démographique »
Le COR dit que la richesse a doublé dans les 40 années qui viennent de s’écouler et qu’en 2050, la richesse sera 90% plus importante qu’aujourd’hui. Donc si la richesse est aujourd’hui 100, elle sera de 190 en 2050. Le COR dit qu’aujourd’hui, nous sommes dans une répartition actifs retraités de 10 actifs pour 6 retraités et qu’en 2050, nous serons 10 actifs pour 9 retraités. Donc la richesse par habitant passe d’un multiple de 100/16 = 6,25 au même multiple de 190/19 = 10. Et là, un enfant de CM2 est capable de faire mieux qu’un expert néolibéral Bac +35 car il sait lui que 190/19 , c’est plus important que 100/16. donc la richesse par habitant va croitre de 10/6,25 = 1,6 ; ce qui veut dire que pour une richesse qui augmentera de 90%, la richesse potentielle par salarié progressera de 60%.en moyenne.
Il n’y a donc pas de problème démographique.
Mais pour que cette augmentation de richesse potentielle puisse se transformer en augmentation de richesse effective, il faut combattre d’autres dogmes dont les dogmes de l’intangibilité de la répartition des richesses et de la non-possibilité d’augmentation des cotisations dites patronales. - « Mon bon monsieur, ma bonne dame », la répartition des richesses est aujourd’hui optimale et on ne doit pas la changer.
Si on se réfère aux chiffres de la Commission européenne, le différentiel du curseur de la répartition des richesses (les économistes parlent de la déformation de la valeur ajoutée) entre salaires et cotisations sociales d’une part et profits d’autre part a bougé de 9,3 points de PIB depuis 28 ans au détriment des premiers. En euros 2010, on peut dire, avec un PIB 2010 de l’ordre de 2000 milliards d’euros, que si aujourd’hui le curseur était placé comme en 1982, nous aurons dans le camp du salaire 9,3 x 2000 soit un différentiel de plus de 180 milliards d’euros dont nous pouvons imaginer ce que nous pourrions en faire pour augmenter les salaires, les pensions, le nombre de crèches, le nombre de maisons de retraite, les centres de santé, les implantations hospitalières, etc. Grâce au néolibéralisme, nous ne pouvons avoir ce débat puisque cette somme est partie gonfler les dividendes des actionnaires et le financement des économies parallèles via les paradis fiscaux vu que l’investissement des entreprises n’a pas augmenté dans la période. - « Mon bon monsieur, ma bonne dame », pour garder la rentabilité de nos entreprises, il ne faut pas augmenter les cotisations patronales sinon, c’est la fin du monde ! Il faut donc expliquer pourquoi la Belgique, la Suède et le Danemark ont des taux de prélèvements supérieurs sans que le ciel leur tombe sur la tête. D’autre part, le taux des prélèvements obligatoires est un indicateur dont il ne faut pas surestimer la pertinence dans la mesure ou les pays qui ont des structures publiques plus importantes voient leur taux de prélèvement obligatoire augmenter car :
- la définition des prélèvements obligatoires englobe aussi les impôts et les cotisations sociales que les administrations publiques se versent entre elles
- à déficit public constant, une nouvelle subvention à la recherche tend à accroître les prélèvements obligatoires, alors que cela n’est pas le cas d’une nouvelle exonération d’impôt en faveur de la recherche.
Par ailleurs, le niveau des prélèvements obligatoires est très lié à la conjoncture économique des Etats et qu’une diminution des remboursements Sécu et une forte augmentation des complémentaires santé diminue le taux des prélèvements obligatoires par ce que ce taux ne prend pas en compte les prélèvements facultatifs absolument nécessaires à court terme.En fait, ce qui compte pour les entreprises, c’est qu’il y est de la demande et que les citoyens aient des capacités élargies pour consommer. La diminution des prélèvements obligatoires n’est qu’une nécessité pour les capitalistes pour augmenter leurs profits.
- « Mon bon monsieur, ma bonne dame », il est normal que toute augmentation d’espérance de vie soit divisée pour deux tiers pour l’augmentation de la durée d’activité et pour un tiers pour l’augmentation de la durée de retraite. Répondez-leur : au nom de quoi parlent-t-ils ? Le mouvement d’émancipation des citoyens et des salariés correspond à une augmentation de la durée de retraite où le salarié n’est plus soumis à l’employeur et ou il peut avoir une activité libre. En incidente, il faut leur répondre alors que la majorité de la classe d’âge n’est plus salariée à partir de 58,8 ans, et que toute augmentation de la durée de cotisation ne fait donc qu’accroître le chômage des seniors.
- « Mon bon monsieur, ma bonne dame », pour que le système fonctionne bien, il faut augmenter la contributivité du salarié. Comprenez par là que le système de retraites par répartition soit un système de retraites réalisé sous le mode du revenu différé avec neutralité actuarielle1 c’est-à-dire que le montant total de la retraite doit être égal aux cotisations versées. Et que bien sûr, il faut supprimer tout système par répartition réalisé sous le mode du salaire socialisé lié à la qualification (nous y reviendrons dans le prochain n° de UFAL FLASH).
- « Mon bon monsieur, ma bonne dame », pour que le système fonctionne bien, il ne faut pas que les retraites soient indexés sur les salaires mais sur les prix. Comprendre par là que la première décision scélérate fut celle prise par Philippe Seguin en 1987 est celle qui supprima l’indexation des retraites sur les salaires pour l’indexer sur les prix. Par cette décision, Philippe Seguin et sa majorité d’alors est le principal responsable de la baisse du taux de remplacement des retraites qui a suivi.
- « Mon bon monsieur, ma bonne dame », ce que le COR dit est la vérité révélée !
Les résultats des études du COR sont principalement liés aux hypothèses utilisées. Pris « la main dans le sac » en 2007, ils ont été obligés de changer leurs hypothèses dogmatiques farfelues et donc de changer les résultats. Par exemple, pourquoi prendre 1,8 comme taux de fécondité alors que la France est championne d’Europe avec plus de 2 enfants par femme, pourquoi prendre un volant d’immigration annuel de 50.000 personnes quand il est plus proche de 100.000, pourquoi prendre une augmentation d’espérance de vie d’un trimestre par an alors qu’en réalité on est à 0,44 trimestre par an, etc. On voit bien là que le fait de modifier certaines hypothèses influe sur le résultat et que les économistes et experts néolibéraux aux ordres savent aussi manipuler les chiffres!
Eh oui, après les 7 péchés capitaux (dont tous ne sont pas à condamner…) voilà les 7 dogmes qu’il paraît nécessaire de combattre !
- Le revenu différé avec neutralité actuarielle correspond au processus visant à ce que, pour chacun, la somme des retraites obtenues soit égale à la somme des cotisations payées. [↩]