En plein processus de révision de la loi de bioéthique de 2004, le député UMP Damien Meslot a déposé une proposition de loi « relative au prélèvement et à la conservation des cellules souches issues du sang de cordon ombilical ». Nous allons voir que cette opération est tout sauf anodine, qu’elle est aussi choquante que scandaleuse, et qu’elle bénéficie de soutiens catholiques et affairistes.
Dans le Territoire de Belfort, les députés se suivent mais ne se ressemblent pas. Meslot est en effet le tombeur en 2002 de Raymond Forni, « enfant de la République » décédé il y a 2 ans. En octobre dernier, Meslot était condamné en appel pour outrage à magistrat…
Voilà pour le personnage, mais venons-en à sa proposition de loi, qui a pour objet d’autoriser les banques privées de sang de cordon ombilical pour usage autologue.
Quelques rappels
Le sang de cordon ombilical est un tissu recueilli immédiatement après l’accouchement. Son prélèvement repose sur les principes du don, c’est-à-dire qu’il repose sur une information et un consentement préalable, qu’il est anonyme, gratuit et solidaire. Il est actuellement prélevé dans 16 maternités (dont 9 sont privées !) et est ensuite stocké dans des « banques », au nombre de 5 à ce jour et toutes publiques (4 dépendent de l’Établissement français du sang, et 1 du CHU Saint-Louis). L’utilisation des unités de sang de cordon est ensuite coordonnée par l’Agence de la Biomédecine.
Le sang de cordon est utilisé (on parle de « greffe », en fait une injection intraveineuse) pour ses cellules souches hématopoïétiques (précurseurs des cellules du sang), pour soigner près d’une centaine de maladies (essentiellement des cancers et quelques maladies d’origine génétique). En fait, les indications sont les mêmes que pour les greffes de moelle osseuse, mais l’utilisation est complémentaire, par exemple en l’absence de donneur compatible de moelle osseuse, et son emploi est plus souple (prélèvement facile et non invasif, moindres problèmes de compatibilité).
A ce jour, seule l’utilisation allogénique, c’est-à-dire pour une tierce personne, présente des indications. Aucune utilisation autologue, c’est-à-dire pour soi-même, n’est connue, et les spécialistes n’en entrevoient guère car les maladies soignées par les greffes de sang de cordon sont souvent présentes dès la naissance, au moins potentiellement, et donc greffer son propre sang de cordon reviendrait à inoculer la même maladie qu’on prétend guérir. En l’absence d’indication thérapeutique, la conservation du sang de cordon pour une utilisation autologue n’est pas autorisée en France. Mais dans plusieurs pays, non seulement elle est permise, mais elle fait l’objet d’un commerce lucratif (tarif de 1400 à 2400 € pour une conservation pendant 20 ans) à grand coup de publicité ou de mise en avant de personnalités, en faisant croire à d’hypothétiques potentialités non encore découvertes, reposant sur les espoirs en la médecine régénérative, et s’appuyant sur le fantasme de l’immortalité.
Les protestations
La proposition de loi Meslot, en ouvrant à voie à la création de banques privées de sang de cordon autologue, provoque un tollé. Plusieurs raisons à cela :
- elle vise à encourager une pratique inutile en suscitant de faux espoirs ;
- elle risque de tarir à la source les besoins pour les greffes allogéniques ;
- elle introduit une rupture avec les deux plus importants principes français du don : l’anonymat et la gratuité ;
- elle soumet à la loi du marché une partie du corps humain.
Ainsi, la Société française de greffe de moelle et de thérapie cellulaire soutenue par la Société française d’hématologie d’une part, et le Collège national des gynécologues et obstétriciens français associé au Collège national des sages-femmes d’autre part se sont élevés contre la proposition de loi Meslot.
Mais comme l’offensive bénéficie de nombreux appuis, le soufflé n’est pas retombé et l’Agence de la Biomédecine elle-même a dû intervenir dans le débat.
Déjà en 2002, pendant le processus de révision des lois de bioéthique de 1994, le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé et l’Académie de médecine s’étaient prononcés contre les banques privées.
Si l’offensive est forte, c’est que la situation semblait mûre et que les pièces du puzzle se sont mises en place il y a plus d’un an comme nous allons le voir. La France a pris beaucoup de retard dans le développement du réseau de collecte et des banques de conservation de sang de cordon, à tel point que plus de la moitiés des greffons doivent être importés. Comme nous vivons une époque formidable, quand le service public faillit, plutôt que de lui donner les moyens d’assurer sa mission, rien de tel qu’un coup de main du privé pour redresser la barre.
Ainsi, début novembre 2008, parmi 10 recommandations concluant un rapport d’information, la sénatrice Marie-Thérèse Hermange ouvrait une première brèche en proposant de « Permettre, à titre expérimental, l’implantation de banques privées respectant les principes de solidarité liés aux greffes de sang de cordon, ainsi que le développement d’une activité privée par les banques publiques afin de consolider leur financement ».
Le même mois, la Fondation Générale de santé, appendice de la Générale de santé (bien connue de l’UFAL) créée en septembre 2008, signe un partenariat avec l’Établissement français du sang pour le développement de la collecte du sang de cordon, labellisé grande cause nationale en avril 2009. Cet accord qui se veut un modèle de partenariat public-privé n’aurait pour objet que mettre à disposition les maternités du groupe dans un but altruiste et désintéressé, et de faire la promotion du don de sang de cordon. L’avenir nous dira si c’était vrai, mais on peut quand même supposer qu’il pourrait s’agir d’une stratégie subtile pour se positionner dès maintenant en vue d’une possible évolution de la législation. Toujours est-il que Gregory Katz, le directeur de la Fondation (par ailleurs titulaire de la chaire ESSEC-Sanofi-Aventis Innovation Thérapeutique, sic), est vent debout contre la proposition de loi et a beau jeu de s’opposer à l’autorisation de banques privées au nom de la non-patrimonialité du corps humain.
Les soutiens
Voyons maintenant les soutiens à la proposition de loi Meslot. Remarquons d’abord qu’une première version du texte avait été déposée en son seul nom le 29 septembre. Dans la deuxième version, près de 60 députés ont cosigné la proposition.
La société Cryo-Save revendique 100.000 unités de sang de cordon conservées et propose ses services dans 38 pays, dont la France, alors que faire appel à ses services y est illégal puisque les prélèvements ne pouvant pas être conservés en France, ils doivent être expédiés à l’étranger, ce qui est interdit sans une autorisation qui en l’espèce serait à coup sûr refusée. Elle s’est installée en région lyonnaise fin 2008. Le directeur scientifique est le professeur Colin McGuckin, qui préside aussi l’Institut de recherche en thérapie cellulaire (CTI Lyon) association déposée en novembre 2008, qui est installée dans les mêmes locaux, et dont le vice-président est Nico Forraz, qui est… le directeur général de Cryo-Save Lyon. Les deux co-dirigent aussi Conostem, une start-up de biotechnologie. McGuckin et Forraz ont lié des liens avec la droite catholique intégriste en France. Le professeur Colin McGuckin a créé le Consortium Novus Sanguis avec la Fondation Jérôme Lejeune, organisation militante proche des intégristes catholiques, anti-avortement et opposée à toute recherche sur l’embryon et utilisation des cellules souches embryonnaires, qui mène un lobbying actif dans le domaine de la bioéthique. McGuckin et Forraz ont aussi participé à des réunions organisées par le Forum des républicains sociaux, groupuscule satellite de l’UMP créé par Christine Boutin et qui s’appelle maintenant le Parti Chrétien-Démocrate (c’est moins trompeur), relais politique le plus fidèle de la Fondation Lejeune. Cryo-Save n’a pas qu’une stratégie purement commerciale puisqu’elle revendique une collaboration avec l’Établissement français du sang. Pour finir la boucle, Forraz et McGuckin défendent activement la proposition de loi Meslot, et Forraz a participé au remplissage du site internet lancé le 23 novembre dernier par Meslot pour faire la promotion de sa proposition de loi.
L’affaire est donc un peu plus compliquée qu’il n’y paraît puisque derrière l’opposition entre une organisation publique du don et de son emploi basée sur les principes du consentement, de l’anonymat, de la gratuité et de la solidarité, et une conception mercantile au profit d’intérêts privés, se cachent en fait deux stratégies du secteur privé marchand qui s’affrontent. D’un côté la Générale de santé qui accepte les principes éthiques du don mais mélange intérêts privés et généraux par le biais chimérique d’un partenariat public-privé. De l’autre, une stratégie purement commerciale qui pour se développer a besoin de bafouer les principes éthiques, donc a besoin de relais parlementaires car ces principes sont inscrits dans la loi. C’est là qu’entre en scène le député Damien Meslot.