Les six syndicats de médecins libéraux représentatifs ont décidé de faire obstacle au projet de convention médicale 2023-2027 qui leur était soumis par l’Assurance maladie à l’issue de quatre mois de négociations difficiles et marquées par une forte mobilisation du terrain. En l’absence d’accord et comme le prévoient les textes, l’Assurance Maladie a saisi l’arbitre qui a été désigné en amont des négociations par les partenaires conventionnels, Mme Annick Morel, qui aura trois mois pour élaborer un règlement arbitral.
La revendication des syndicats de médecins pour une revalorisation des honoraires n’est pas illégitime en soi, surtout pour ce qui concerne les médecins généralistes qui ont été en première ligne de la crise Covid et souffrent d’un manque de considération au sein de la communauté médicale. Par ailleurs, il est vrai que les médecins généralistes ont des conditions de travail éprouvantes. Chacun est libre de juger juger que les revalorisations proposées étaient insuffisantes au vu de la réaction unanime des syndicats médicaux.
En revanche, il est faux de laisser accroire que l’assurance maladie n’a pas proposé de revalorisation : le texte proposé offrait une revalorisation à 26,50 € pour une consultation de généraliste, certes limitée en valeur absolue, mais qui représentait quand même une revalorisation de 6 %, soit 7000 euros annuels par médecin et 600 millions d’euros au total. En outre, la convention rejetée offrait aux médecins une possible revalorisation à 30 euros sous réserve de souscrire un Contrat d’engagement territorial, qui consistait à inciter les médecins à accepter certaines contreparties en termes de participation à la continuité des soins et d’accueil de nouveaux patients, autrement dit des objectifs de santé publique qui peuvent sembler bien légitimes dans un contexte de désertification médicale et de graves menaces sur la permanence des soins. Par ailleurs, il convient de rappeler que les tarifs de consultation ne constituent pas, loin de là, l’unique source de revenus des praticiens. Il convient d’ajouter toutes les autres rémunérations que leur assure l’Assurance maladie sous forme de forfaits divers : forfaits médecin traitant, rémunération sur objectifs de santé publique, forfait structure, rémunération de la permanence des soins, contrats pour l’installation en désert médicale, etc. En réalité, l’Assurance maladie a démultiplié depuis de nombreuses années les rémunérations incitatives qui accroissent considérablement la rémunération des médecins en marge du prix des consultations, ce qui représente presque 20 % de leur rémunération totale. À toutes fins utiles, il convient de rappeler que les revenus annuels moyens des praticiens libéraux frôlent les 90 000 € par an pour un généraliste et 140 000 € pour un spécialiste.
Par ailleurs, les médecins ont fait obstacle à la délégation de tâches aux infirmiers en pratique avancée qui ont pourtant démontré pendant la crise Covid qu’ils étaient en mesure de prendre en charge des actes aussi essentiels que la vaccination. Pourtant cela aurait pu permettre de les décharger d’une partie de leur activité.
Indépendamment de l’échec des négociations, les menaces au déconventionnement avec l’Assurance maladie et à l’ouverture de négociations conventionnelles avec les complémentaires santé qui sont brandies par l’aile la plus libérale du syndicalisme médical sont proprement insupportables. Rappelons que les conventions médicales comportent une contrepartie souvent occultée par les praticiens : leurs cotisations sociales personnelles sont prises en charge par l’Assurance maladie pour les médecins en secteur 1 (et partiellement pour les médecins en secteur 2), ce qui représente quand même 20 000 euros supplémentaires par an et par médecin en secteur 1. Aucune autre profession indépendante dans notre pays ne bénéficie d’une telle prise en charge, ce qui peut à tout le moins justifier que les médecins acceptent quelques contreparties de santé publique. La menace au déconventionnement consiste à empêcher leurs patients de bénéficier de remboursements de soins par l’Assurance maladie. S’ils mettaient leur menace à exécution, cela reviendrait à les priver d’une bonne part de leur patientèle et donc de revenus. C’est d’ailleurs pour cela que 99 % des médecins sont conventionnés, y compris ceux qui sont en secteur 2 à honoraires libres et qui dévoient un système de conventionnement conçu pour garantir une unicité tarifaire et un accès aux soins universel. L’UFAL attire l’attention sur la signification concrète d’une telle menace : un système de convention entre assurances privées et médecins existe aux États-Unis avec pour résultat un système de santé qui coûte 50 % plus cher qu’en France, 60 millions de citoyens sans couverture médicale et des indicateurs de santé publique indignes d’un pays aussi riche. Est-ce cela le modèle rêvé par les praticiens ?
De nombreux praticiens hostiles à toute régulation des soins par l’Assurance maladie laisseraient par ailleurs supposer que l’assurance maladie serait mal gérée et que de nombreuses économies pourraient être trouvées en rationalisant cette institution de Sécurité sociale. L’UFAL tient néanmoins à rappeler quelques ordres de grandeur : les coûts de gestion de l’assurance maladie représentent 6 milliards d’euros par an, aux 3/4 les salaires des 85 000 salariés de l’assurance maladie dont la rémunération médiane est de l’ordre de 2000 euros par mois. En 20 ans, le nombre de caisses d’assurance maladie a été réduit par deux, de telle sorte qu’il n’y a plus qu’une caisse par département et 25 000 postes n’ont pas été remplacés. Les frais de fonctionnement de l’assurance maladie représentent 2,5 % du total des dépenses de l’assurance maladie, bien loin des 15 % de frais de gestion des assurances complémentaires. À l’inverse les dépenses de médecine de ville, essentiellement les rémunérations des professions de santé, représentent 62 milliards d’euros, soit 10 fois plus.
En réalité, cette crise démontre avec acuité que le modèle de médecine libérale, incluant le paiement à l’acte et l’avance de frais, arrive à bout de souffle. La désertification médicale et les ruptures de permanence des soins sont devenues un enjeu majeur de santé publique qui contraignent de nombreux patients à s’adresser aux urgences hospitalières en dernier recours. La pratique de la médecine en cabinet libéral exercée par des médecins isolés garants du « colloque singulier » ne correspond plus aux besoins de la population ni même aux aspirations des nouvelles générations de médecins qui prétendent à des conditions de travail acceptables incluant une conciliation entre vie professionnelle et vie familiale. L’UFAL estime que ce nouvel échec de la négociation conventionnelle démontre qu’il est urgent de construire un nouveau modèle de pratique de la santé en France et sortir du carcan de la pratique libérale.
Plus que jamais l’UFAL défend une transformation radicale de la pratique libérale de la médecine autour du modèle de centres de santé pluridisciplinaires exercés par des praticiens salariés, sans avance de frais et bénéficiant d’une prise en charge à 100 % par l’Assurance maladie.